La protection du consentement
Information précontractuelle à la cession
En application du droit commun des contrats, les parties à une cession de fonds de commerce sont tenues d’un devoir d’information réciproque avant la conclusion de la cession : celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant (C. civ., art. 1112-1 ). Ce devoir, qui ne peut pas être contractuellement limité ou exclu, concerne les informations en lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat (à l’exception de la valeur du fonds) ou la qualité des parties.
Le non-respect de ce devoir engage la responsabilité de la partie défaillante et, lorsqu’il est à l’origine d’un vice du consentement de l’autre partie, il peut entraîner l’annulation de la vente.
La garantie de l’exactitude des mentions de l’acte de cession
Le vendeur du fonds de commerce est garant envers l’acheteur de l’exactitude de ses énonciations dans les conditions édictées par les articles 1644 et 1645 du code civil applicables à l’action en garantie des vices cachés (C. com., art. L. 141-3, al. 1).
L'inexactitude est donc assimilée à un vice caché (Cass. 1re civ., 3 juill. 1996, no 94-16.196) et permet, comme ce dernier, à l’acheteur de choisir entre [(C. com., art. L. 141-3, al. 1) et sur renvoi (C. civ., art. 1644 )] :
- soit rendre le fonds de commerce au vendeur et se faire restituer le prix (action dite rédhibitoire, qui correspond à une action en résolution de la vente) ;
- soit garder le fonds de commerce et demander une diminution du prix de vente (action dite estimatoire).
Cette garantie pesant sur le vendeur « nonobstant toute stipulation contraire », les parties à la vente ne peut pas convenir de l’exclure ou de la limiter à certaines mentions.
Les intermédiaires, rédacteurs des actes et leurs préposés, sont tenus solidairement avec le vendeur s’ils connaissent l’inexactitude des énonciations faites (C. com., art. L. 141-3, al. 2).
L'acheteur doit agir en garantie dans un délai d’un an à compter de sa prise de possession du fonds de commerce (C. com., art. L. 141-4 ), et non dans le délai de deux ans prévu pour la mise en œuvre de la garantie des vices cachés ( Cass. com., 23 juin 2004, no 02-13.084 ).
La communication des informations comptables
Au jour de la cession du fonds de commerce, le vendeur et l’acquéreur visent un document présentant les chiffres d’affaires mensuels réalisés entre la clôture du dernier exercice comptable et le mois précédant celui de la vente (C. com., art. L. 141-2, al. 2). Cette formalité n’est pas requise à peine de nullité de la vente ; toutefois son non-respect peut participer d’une dissimulation volontaire d’informations comptables par le vendeur, l’acquéreur pouvant alors invoquer un dol pour demander l’annulation de la vente [pour des illustrations sous l’empire de l’ancienne réglementation qui imposait aux parties de viser les livres comptables et de signer un inventaire de ceux-ci, voir ( CA Caen, Ch. civ. et com., 26 sept. 2013, no 12/00709 ; Cass. com., 5 juin 2019, no 17-31.503 ).
Par ailleurs, pendant 3 ans à compter de l’entrée de l’acheteur en jouissance du fonds, le vendeur doit mettre à sa disposition, à sa demande, tous les livres de comptabilité qu’il a tenus durant les trois exercices comptables précédant celui de la vente (C. com., art. L. 141-2, al. 1).
Toute clause contraire à ces obligations est réputée non écrite (C. com., art. L. 141-2 ).
Les vices du consentement
Pour être valablement conclue, la vente du fonds suppose, comme tout contrat, que le vendeur et l’acheteur y aient consenti (C. civ., art. 1128 ) et que leur consentement soit exempt de vice, c’est-à-dire qu’il n’ait pas été donné par erreur, dol ou violence (C. civ., art. 1130 ). Ces vices peuvent affecter tant le consentement du vendeur que celui de l’acquéreur ; en pratique, c’est généralement ce dernier qui les invoque.
L’erreur
L’erreur sur les qualités essentielles du fonds
L’erreur de droit ou de fait sur les qualités essentielles de la prestation due est une cause de nullité de contrat (C. civ., art. 1132 ). Les qualités essentielles de la prestation sont celles qui ont été expressément ou tacitement convenues et en considération desquelles les parties ont contracté (C. civ., art. 1133 ).
Remarque
Exemples 1 : ont été considérées comme des erreurs sur une qualité essentielle (ou substantielle comme exigé sous l’empire des textes antérieurs) du fonds de commerce vendu celles portant sur l’existence ou la nature de la clientèle du fonds cédé ( Cass. com., 18 juin 1996, no 93-19.645 ) ou sur la nature du commerce (CA Rouen, 2e ch., 28 juin 1979 : Gaz. Pal. 1980, 1, jur., p. 19).
Exemple 2 : en revanche, il a été jugé que l’erreur quant à l’obtention d’un prêt bancaire par l’acheteur pour financer l’achat ne portait pas sur la substance du fonds de commerce, objet de la vente et n’entraînait pas l’annulation de cette dernière (Cass. com., 8 nov. 1994, no 92-19.429).
Même lorsque l’erreur sur une qualité essentielle du fonds est caractérisée, l’existence d’un vice du consentement est écartée si :
- l’erreur n’a pas été déterminante du consentement de la partie qui l’invoque (C. civ., art. 1130 ) ;
- cette partie a accepté un aléa sur cette qualité (C. civ., art. 1133, al. 3) ;
- l’erreur commise est inexcusable (C. civ., art. 1132 ), c’est-à-dire lorsqu’elle résulte d’une faute, telle un manquement de celui qui l’invoque à son obligation de se renseigner [cas de la personne qui a omis, avant de signer le contrat, de prendre connaissance de la comptabilité du fonds de commerce ( Cass. com., 11 févr. 1992, no 89-13.812, no 229 )].
L’erreur sur la valeur du fonds
L’erreur sur la valeur par laquelle, sans se tromper sur les qualités essentielles de la prestation, un contractant fait seulement de celle-ci une appréciation économique inexacte, n’est pas une cause de nullité (C. civ., art. 1136 ). L’erreur sur la valeur du fonds ne saurait en principe entraîner la nullité de la vente ( Cass. com., 28 juin 1994, no 92-19.202 ).
Les autres erreurs
L’erreur commise par une partie sur les qualités essentielles de l’autre partie (par exemple, sur son identité, sa qualité de personne physique ou morale ou encore sur sa capacité juridique) n’est une cause de nullité de la vente du fonds que si cette dernière a été conclue en considération de cette personne (C. civ., art. 1134 ). Cette erreur doit en outre être déterminante et excusable (C. civ., art. 1130 et 1132 ).
L’erreur sur les motifs de la vente qui, étrangers aux qualités essentielles du fond, ont pu inciter l’une des parties à contracter ne peut pas constituer un vice du consentement sauf si ce motif a été érigé expressément en condition de la vente ou de l’acquisition (C. civ., art. 1135 ).
Le dol : une partie à la vente a été trompée par l’autre
Le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges ou par réticence dolosive, c’est-à-dire en dissimulant intentionnellement d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie (C. civ., art. 1137 ). Le dol est également constitué s’il émane du représentant, gérant d’affaires, préposé ou porte-fort du contractant ou d’un tiers de connivence (C. civ., art. 1138 ).
Remarque
Exemples : l’existence d’un dol a été retenue en cas de dissimulation intentionnelle par le vendeur du fonds :
- d’un contentieux portant sur le bail commercial des locaux où le fonds est exploité ( Cass. com., 14 nov. 1995, no 92-18.140 ; Cass. 3e civ., 11 févr. 2016, no 14-16.309 ) ;
- du fait que le fonds était exploité par un locataire-gérant qui n’assumait plus ses obligations locatives et que le fonds avait été fermé pendant plus de quatre mois, ce qui avait entraîné une perte de clientèle ( Cass. com., 6 janv. 2015, no 13-27.340 ) ;
- de la précarité du seul accès adapté à l’usage de la clientèle du fonds ( Cass. com., 6 oct. 1992, no 90-19.783 ) ;de la nécessité d’effectuer des travaux de mise en conformité du fonds ordonnés par l’administration ( Cass. 3e civ., 6 juill. 2005, no 01-03.590, no 840 FS-P + B ; Cass. com., 31 janv. 2012, no 10-27.232 ) ;
- en cas de vente d’un restaurant, de la clause du règlement de copropriété interdisant la réception de client après 20 heures ( Cass. com., 6 janv. 2021, no 18-25.098 ).
Le dol est écarté :
- s’il n’a pas été déterminant du consentement de la partie qui l’invoque (C. civ., art. 1130 ), ses conséquences étant minimes ou non prouvées ;
- si l’information prétendument dissimulée était en réalité connue de la partie qui invoque le dol ;
- si l’information n’était pas connue de la partie à laquelle on impute le dol ou si celle-ci en ignorait l’importance pour l’autre ;
- s’il n’est pas intentionnel (Cass. com., 7 juin 2011, no 10-13.622) ;
- lorsqu’une partie ne révèle pas à l’autre son estimation de la valeur de la prestation ; ainsi l’acheteur n’a pas à informer le vendeur que la valeur du fonds est supérieure au prix demandé.
Remarque
Exemples : le dol n’a pas été retenu en cas :
- de déclaration que le fonds n’était pas grevé d’un nantissement dès lors que le nantissement existant n’avait plus de cause à la date de la cession, de sorte que la déclaration n’était pas mensongère ( Cass. com., 26 nov. 2013, no 12-26.613 ) ;
- de silence du vendeur d’une brasserie sur le départ d’un organisme professionnel voisin, l’influence de ce départ sur la baisse du chiffre d’affaires du fonds après la cession n’étant pas établie ( Cass. com., 24 mars 1998, no 96-12.022 ) ;
- de défaut de communication d’une analyse sommaire de bilan réalisée à partir de pièces comptables accessibles à tous et dont les conclusions optimistes n’étaient pas de nature à dissuader l’acheteur d’acquérir au prix convenu ( Cass. com., 20 oct. 1998, no 96-15.871 ) ;
- de présence de surfacturations dans la comptabilité, dès lors que leur montant était insuffisant pour avoir eu une influence sur le consentement de l’acheteur ( Cass. com., 23 juin 2004, no 03-11.713 ) ;
- de dissimulation par le vendeur d’une crêperie des préconisations de la préfecture limitant de la puissance des points de cuisson et rendant impossible l’exploitation d’un restaurant traditionnel, dès lors que le fonds de crêperie restait exploitable et que le vendeur ignorait que l’acheteur voulait en faire un restaurant traditionnel ( Cass. com., 30 mai 2012, no 11-19.594 ).
L’erreur qui résulte d’un dol est toujours excusable ; elle est une cause de nullité même si elle porte sur la valeur de la prestation ou sur un simple motif du contrat (C. civ., art. 1139 ). Le dol ne peut donc pas être écarté au regard notamment des compétences ou de l’expérience professionnelles de l’acheteur ou de son obligation de se renseigner avant de s’engager ( Cass. 3e civ., 21 févr. 2001, no 98-20.817, no 233 FS-P + B + I ; Cass. com., 13 févr. 2007, no 04-16.520 ).
La violence : la vente a été imposée par une partie à l’autre
Il y a violence viciant le consentement d’une partie lorsque cette dernière s’est engagée (C. civ., art. 1140, 1141 et 1143 ) :
- sous la pression d’une contrainte lui faisant craindre d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable ;
- sous la menace d’une voie de droit (telle une action en justice) mais seulement si cette voie a été détournée de son but ou si elle a été invoquée ou exercée pour obtenir un avantage manifestement excessif ;
- alors qu’elle était en état de dépendance à l’égard de l’autre partie qui a usé de cette dépendance pour obtenir un engagement qu’elle n’aurait pas obtenu sans cette contrainte et en a tiré un avantage manifestement excessif ; la vente d’un fonds de commerce à un prix faible, dans une situation de dépendance économique du vendeur à l’égard de l’acheteur, peut donner lieu à la mise en œuvre de ce texte.
Les sanctions des vices du consentement
L’erreur, le dol ou la violence affectant le consentement du vendeur ou de l’acheteur sont une cause de nullité relative de la vente du fonds de commerce, comme le prévoit le droit commun des contrats (C. civ., art. 1131 ). Seule la partie dont le consentement a été vicié peut donc demander l’annulation de la vente ou, au contraire, la confirmer (C. civ., art. 1181 ).
Indépendamment de l’annulation du contrat, la partie lésée peut demander la condamnation de l’autre partie à lui payer des dommages et intérêts en réparation du dommage subi, dans les conditions du droit commun de la responsabilité extracontractuelle (C. civ., art. 1178, al. 4). Elle peut demander une indemnisation au lieu de l’annulation ou en complément de celle-ci. Dans ce dernier cas, elle doit justifier d’un préjudice distinct de celui réparé par l’annulation et les restitutions du prix et du fonds ( Cass. com., 12 juill. 2011, no 10-19.297 ).