Vous avez le droit de rompre les pourparlers
La rupture des pourparlers : un droit
Les négociations obéissent au principe de la liberté contractuelle qui implique que chacun est libre de ne pas engager de négociations, ou de les rompre à tout moment. La rupture, lorsqu’elle n’est pas fautive, peut donc être tout à fait légitime.
L’aléa : personne n’est fautif
Il n’y a pas de faute à rompre les pourparlers lorsqu’une grande incertitude plane encore sur la conclusion du contrat au moment de la rupture, et que la conclusion est subordonnée à un événement extérieur. Le risque de non-conclusion doit être accepté.
Le blocage des négociations : la rupture s’impose
Lorsque les négociations sont bloquées, qu’il existe un profond désaccord, les négociateurs peuvent légitimement rompre les discussions.
La modification des prévisions : la bonne foi facilite la rupture
Si une modification importante des prévisions intervient pendant les discussions, celui qui rompt n’est pas fautif. Une augmentation de l’estimation du coût du projet envisagé ou la détérioration considérable de la situation financière du partenaire constituent un motif légitime de rupture des pourparlers.
Remarque
Quand la personne du contractant est déterminante, la « perte de confiance » envers l’éventuel cocontractant justifie également la rupture.
Seules les ruptures fautives sont condamnables
La rupture fautive : la preuve doit être rapportée
Dans la mesure où la rupture des pourparlers n’est pas fautive, la partie qui considère qu’il y a eu faute à les rompre doit prouver la faute de l’auteur de la rupture, le préjudice subi du fait de cette rupture, et le lien de causalité entre les deux. L’auteur d’une rupture fautive de pourparlers peut ainsi voir sa responsabilité délictuelle engagée, en application des articles 1240 et 1241 du code civil. Une fois la preuve rapportée de ces éléments, elle peut engager la responsabilité de son auteur. Le juge apprécie la faute au cas par cas, compare le comportement de l’auteur de la rupture à celui d’une partie « honnête et diligente », et examine les circonstances dans lesquelles intervient la rupture.
Remarque
Si les critères sont variés, aucun n’est en soi un critère déterminant et autonome : c’est un faisceau d’indices que le juge prend en compte pour apprécier si la rupture des pourparlers est fautive ou non.
La durée des négociations : un gage de sérieux
La longueur de la discussion est un critère déterminant pour apprécier la faute de celui qui rompt les pourparlers. Des pourparlers qui durent longtemps sont a priori un gage de sérieux, ce qui rend leur rupture potentiellement encore plus fautive. Plus les pourparlers sont avancés, plus la conclusion du contrat définitif est proche et plus la liberté des parties de ne pas conclure est réduite.
Remarque
Attention, car le juge peut très bien considérer que la rupture de négociations qui ont peu duré mais qui étaient très avancées est fautive.
La brutalité de la rupture : une faute
La brutalité avec laquelle on rompt les négociations est une faute et se produit par exemple lorsqu’une partie rompt des négociations qui avaient duré plusieurs années par un simple coup de téléphone le jour de l’expiration du délai de réflexion fixé.
Remarque
La rupture unilatérale et brutale est fautive lorsque les négociations sont très avancées, et qu’un accord est sur le point d’aboutir sur les délais de livraison, qui ne sont que le seul point de désaccord ( CA Paris, 7 juill. 2006, no 04/21813 ).
La croyance en la bonne foi de l’opération : un élément à prendre en considération
La rupture des pourparlers est de moins en moins acceptable à mesure que les discussions avancent et qu’augmente la croyance de l’autre partie en la bonne fin de l’opération. Cette croyance peut en effet conduire une partie à accomplir des actes, engager des frais de déplacements, d’études, dévoiler un secret commercial, etc., sans attendre la conclusion du contrat.
Remarque
La rupture est également fautive si l’auteur de la rupture a fait traîner les pourparlers alors qu’il savait qu’ils n’aboutiraient pas et qu’il avait décidé de rompre.
Par contre, la Cour de cassation a jugé que la rupture d’une relation commerciale établie qui entraînerait la rupture des pourparlers ne constitue pas forcément une faute ni ne caractérise un abus dans l'exercice du droit de rompre ces pourparlers, la preuve de la faute doit être rapportée par la partie qui s'estime victime ( Cass. com., 18 nov. 2020, no 18-25.709 ; Cass. com., 20 nov. 2019, no 17-26.541 ).
L’intention de nuire : le juge sanctionne
Lorsque la négociation n’a été entreprise ou poursuivie qu’en vue d’empêcher le partenaire de traiter avec un tiers ou dans le but d’obtenir la révélation de secrets ou d’informations confidentielles en cours de discussions, les juges considèrent qu’il y a intention de nuire.
La victime peut demander des dommages et intérêts
L’indemnisation : seul le préjudice effectif est pris en compte
En cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser la perte des avantages attendus du contrat non conclu.
Remarque
Il ne peut y avoir d’exécution en nature, sauf à considérer que le contrat était déjà intervenu au moment de la rupture.
De plus, la faute de la victime dans la rupture des pourparlers réduit le montant de son indemnisation à due proportion ( Cass. com., 14 avr. 2021, no 19-13.998 ).
Le montant : une appréciation réaliste des frais engagés
Les dépenses engagées, les frais de voyage ou d’études sont indemnisables tout comme le temps perdu, notamment lorsque les négociations ont duré longtemps. Mais si la victime a, par précipitation, imprudemment engagé des frais non justifiés, anticipant sur une hypothétique conclusion du contrat, elle ne sera pas remboursée. Enfin, le contrat n’ayant pas été conclu, la victime ne peut pas demander à être indemnisée au titre de la compensation ni de la perte des avantages attendus du contrat non conclu ni de la perte de chance d’obtenir ces avantages.
Le préjudice moral : l’atteinte à l’image est indemnisable
L’atteinte à l’image de la victime de la rupture peut être indemnisée. Enfin, la rupture des négociations peut aussi aller de pair avec une action en concurrence déloyale : tel est le cas lorsque le partenaire a profité des pourparlers pour s’emparer d’indications techniques protégées par un droit de propriété industrielle et les a exploitées sans l’autorisation du titulaire, à condition de prouver l’existence d’un préjudice.
Quelle est la loi applicable ?
La phase des pourparlers correspond à une phase précontractuelle où le contrat, par définition, n’est pas formé. C’est donc une responsabilité délictuelle et non contractuelle qui est en jeu, en cas de faute.