Quand l'insuffisance professionnelle peut-elle justifier un licenciement ?
Notion d'insuffisance professionnelle. L'insuffisance professionnelle se caractérise par le fait que le salarié n'est pas en mesure d'exécuter sa prestation de travail dans des conditions que l'employeur peut légitimement attendre en application du contrat de travail. Cette notion couvre une grande variété de situations et s'étend à la notion d'insuffisance de résultats. Son régime a été déterminé par la jurisprudence.
Motif spécifique de licenciement. L'insuffisance professionnelle est un motif spécifique de licenciement. Emportant une évaluation sur les capacités professionnelles, elle constitue un motif personnel de licenciement.
Elle ne constitue cependant pas un motif disciplinaire de licenciement, en absence d'une faute invoquée par l'employeur. Le salarié a en conséquence droit à la fois au respect du préavis et au bénéfice des indemnités de licenciement.
Caractère objectif de l'insuffisance professionnelle. Le licenciement pour insuffisance professionnelle doit reposer sur des éléments objectifs. L'appréciation de l'insuffisance professionnelle relève en principe du seul pouvoir de l'employeur mais doit reposer sur des griefs vérifiables et précis que le juge contrôle.
Contrôle judiciaire du licenciement pour insuffisance professionnelle
L'appréciation de l'insuffisance professionnelle relève du pouvoir de direction de l'employeur. Afin de limiter les décisions arbitraires et subjectives, la Cour de cassation a imposé certains contrôles de la décision patronale de licenciement.
Contrôle du caractère objectif de la reconnaissance de l'insuffisance professionnelle. L'appréciation de l'employeur porte ici sur les compétences du salarié et sa faculté à accomplir le travail. Aussi, l'employeur devra démontrer l'objectivité des motifs de sa décision qui devra reposer sur des faits précis et vérifiables (Soc. 7 févr. 1980).
Si l'employeur est juge des qualités du salarié, il ne pourra pas, par exemple :
- procéder au licenciement d'un salarié dont il connaissait les limites des compétences et à qui il n'avait jamais adressé aucune remarque professionnelle (Soc. 12 mars 1992, no 90-45.224) ;
- procéder au licenciement d'une salariée s'il est démontré que reposaient sur elle de nombreuses tâches liées à la comptabilité, aux ressources humaines que l'employeur avait maintenues malgré l'accroissement de l'effectif, sans apporter à la salariée une aide pérenne quelconque de sorte que ses insuffisances, que pouvait pallier un effort de formation, ne peuvent être totalement imputées à la salariée et justifier un licenciement pour insuffisance professionnelle (Reims, 5 janv. 2022, no 21/00089) ;
- procéder au licenciement d'un salarié ayant commis quelques erreurs dans la période suivant l'adoption de nouveaux logiciels (Soc. 21 oct. 1998, no 96-44.109).
À l'inverse, peut être licencié :
- le salarié qui n'a pas agi avec la rigueur et la diligence qui étaient attendues en sa qualité de directeur de la société internationale (Paris, 16 nov. 2022, no 20/04025) ;
- le salarié dont l'insuffisance professionnelle se traduit par une absence de résultats et qui manifeste en outre une certaine résistance dans les actions à mener et démontre la persistance de celle-ci malgré les alertes de la hiérarchie et de ses collègues (Paris, 22 juin 2022, no 18/12651).
Le juge doit donc prendre en compte divers indices pour contrôler le motif d'insuffisance professionnelle. Afin de contrôler l'objectivité du motif, le juge prend en considération l'absence ou l'existence de reproches formulés au salarié, sa carrière (promotions, rétrogradations), sa qualification professionnelle, l'évolution de son emploi et des tâches qui y ont trait, son ancienneté…
Le motif tiré de l'insuffisance professionnelle « constitue un motif matériellement vérifiable qui peut être précisé et discuté devant les juges du fond » (Soc. 23 mai 2000, no 98-42.064). Cette formule indique en réalité que la seule mention de l'insuffisance professionnelle ne suffit pas à priver le licenciement de cause réelle et sérieuse, l'employeur pouvant étayer et discuter du motif au moment de l'instance.
Responsabilité de l'employeur dans l'inadaptation professionnelle du salarié. Par ailleurs, l'employeur qui licencie un salarié pour insuffisance professionnelle doit avoir respecté son obligation d'adaptation du salarié à l'évolution de son poste de travail (C. trav., art. L. 6321-1), aussi le licenciement pour insuffisance professionnelle est injustifié s'il apparaît que les erreurs du salarié sont directement imputables à un manque de formation.
Le contrôle du motif de licenciement engage le juge à contrôler non seulement l'objectivité et la réalité du motif tiré de l'insuffisance professionnelle, mais aussi la cohérence de la démarche de l'employeur. L'insuffisance professionnelle entretient, à ce titre, des liens forts avec l'évaluation du salarié : il sera d'autant plus difficile pour l'employeur de relever une insuffisance professionnelle si les entretiens d'évaluation ne font pas état de problèmes ou si, ayant connu la faiblesse du salarié, il avait décidé de le confirmer à son poste après une période d'essai, par exemple.
Distinction entre licenciement pour insuffisance professionnelle et licenciement pour insuffisance de résultats
On distingue en général l'insuffisance professionnelle, appréciée de façon qualitative, et l'insuffisance de résultats, appréciée de façon quantitative, le salarié n'étant en ce cas pas parvenu à atteindre les objectifs chiffrés qu'il est tenu d'atteindre.
Cause non autonome de licenciement. L'utilisation de ce motif de licenciement a toutefois été considérablement réduite, la Cour de cassation considérant que la seule insuffisance de résultats n'était pas en soi une cause réelle et sérieuse de licenciement (Soc. 14 nov. 2000, no 98-42.371 P).
Ainsi, la cause réelle et sérieuse de licenciement n'est constituée que si l'employeur démontre que l'insuffisance des résultats est liée au comportement du salarié, qu'il y a eu faute ou carence de sa part. L'insuffisance de résultat agit comme un révélateur d'un autre motif de licenciement. L'employeur devra donc démontrer que la non-réalisation des objectifs est due, par exemple, à une activité insuffisante ou à des négligences du salarié.
Par ailleurs, les clauses de résultats (clauses d'objectifs ou clauses résolutoires) sont inopérantes. En effet, les clauses prévoyant que la non-réalisation des objectifs fixés constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement ne privent pas les juges de leur pouvoir d'appréciation de la cause réelle et sérieuse de licenciement (Soc. 14 nov. 2000, préc.). Dans l'hypothèse d'une clause de résultats ou d'objectifs et d'une insuffisance de résultats motivant un licenciement, les juges contrôlent le caractère réalisable ou non de l'objectif prévu, celui-ci devant être nécessairement raisonnable et compatible avec le marché pour que la non-atteinte des objectifs puisse être imputable au salarié.
Licenciement pour insuffisance professionnelle : procédure et indemnités de licenciement
Dans la mesure où l'insuffisance professionnelle ne constitue pas une faute, le licenciement doit respecter la procédure de licenciement pour motif personnel non disciplinaire (v. Fiche « Licenciement pour motif personnel (Procédure) »).
Le salarié aura droit aux indemnités légales ou conventionnelles de licenciement. Le bénéfice des indemnités conventionnelles de licenciement nécessite toutefois que la convention collective n'exclut pas expressément le motif d'insuffisance professionnelle.
Il faut relever notamment que le motif d'insuffisance professionnelle qui a conduit au prononcé du licenciement n'obéit pas non plus au délai de prescription de deux mois applicable à la faute disciplinaire.
Enfin le salarié pourra bénéficier des allocations de chômage.