Est-il possible de conclure un contrat dont le prix n’est pas fixé à l’origine ?
Un contrat doit répondre à trois conditions cumulatives pour disposer d’une valeur juridique (C. civ., art. 1128 ) :
- « la capacité à engager de celui ou celle qui prend l’engagement pour le compte du partenaire (représentant légal dont le nom figure sur l’extrait K-Bis, titulaire d’un pouvoir de représentation : délégation de signature ou de pouvoirs) ;
- un contenu licite et certain ;
- le consentement des parties ».
Aucune condition particulière n’est donc imposée directement dans le texte quant au prix. Ce dernier constitue cependant la plupart du temps l’un des éléments essentiels et déterminants de l’engagement des partenaires commerciaux.
Le prix doit donc généralement être pris en compte dans le processus de formation du contrat. En effet, l’offre de contracter doit établir « les éléments essentiels du contrat envisagé » (C. civ., art. 1114 ) pour qu’elle soit transformée en engagement contractuel liant les parties en cas d’acceptation pure et simple de cette offre par le destinataire.
Le code civil dispose d’ailleurs que la vente « est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur, dès qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé » (C. civ., art. 1583 ). Cette disposition ne s’applique cependant pas aux typologies de contrat autres que la vente (prestations de service ou location par exemple).
Mais il peut exister des hypothèses dans lesquelles les partenaires n’en sont pas encore à ce stade de précision, sont en désaccord ou sont bien embarrassés au moment de définir un prix dès l’origine de la relation. Est-on alors en quelque sorte « interdit de contrat » ?
Les auteurs du code civil (applicable aux contrats conclus depuis le 1er octobre 2016) ont voulu donner une marge de liberté aux acteurs économiques. A ce titre, ils ont intégré au code des solutions jurisprudentielles autorisant les parties à manifester leur consentement exprès ou tacite sur le fait que le prix sera fixé ultérieurement. Ces jurisprudences et ces textes visent expressément le contrat de prestation de service d’une part et les contrats cadre d’autre part. Ils ont aussi encadré l’exercice de cette liberté.
Un fournisseur avec qui vous avez commencé à travailler sans accord sur le prix peut-il vous facturer un prix qu’il a fixé unilatéralement ?
Contrairement à ce qui existe pour le contrat de vente, la jurisprudence a pu estimer qu’un « accord préalable sur le montant exact de la rémunération n’est pas un élément essentiel du contrat d’entreprise », autre nom du contrat de prestation de service ( Cass. 1re civ., 28 nov. 2000, no 98-17.560 ). Si le prix n’est pas un élément essentiel de ce type de contrat, il n’a donc pas nécessairement à figurer dans l’offre de contracter. Et si les prestations sont commandées et démarrent avant qu’il y ait accord sur le prix, le contrat est malgré tout valablement formé.
C’est ce qu’ont décidé les juges, par exemple, dans l’hypothèse d’un contrat de ramassage des ordures ménagères ( Cass. 1re civ., 28 nov. 2000, no 98-17.560 ). Dans cette affaire, le prestataire avait notifié à son client son désaccord sur les modalités de révision du prix devant intervenir au moment du renouvellement du contrat. Il avait également notifié sa décision de ne plus ramasser les ordures après la date d’expiration de la période contractuelle venant à échéance. Pourtant, la collecte des ordures s’est poursuivie sans qu’un nouvel accord ait été trouvé et la Cour de cassation a alors estimé que « la poursuite du dépôt des ordures ménagères, et l’acceptation de celles-ci manifestaient l’accord des parties sur le principe de la prestation ». La cour d'appel avait donc pu légitimement en déduire que les parties avaient conclu un nouveau contrat de prestation de service à l’issue du précédent.
C’est ce qui est appliqué aux contrats conclus depuis le 1er octobre 2016 en disposant que « dans les contrats de prestation de service, à défaut d’accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier » (C. civ., art. 1165 ).
Dans un contrat cadre, est-il possible de remettre la définition du prix à plus tard et de commencer à travailler ensemble sans attendre ?
L’article 1111 du code civil dispose depuis le 1er octobre 2016 que « le contrat cadre est un accord par lequel les parties conviennent des caractéristiques générales de leurs relations contractuelles futures. Des contrats d’application en précisent les modalités d’exécution ». L’organisation de la relation contractuelle en contrat cadre est le plus souvent motivée par la variété des fournitures concernées et l’incertitude sur les dates et quantités des commandes à venir. En outre, on se place le plus souvent dans des relations s’inscrivant dans la durée. Il est donc possible que les partenaires souhaitent se donner de la souplesse en ne fixant pas dès l’origine tout ou partie du ou des prix ou bien qu’ils soient incapables matériellement de fixer ce prix dès l’origine.
Les juges ont décidé en 1995 dans une affaire de « location-entretien » d’installations téléphoniques de bureaux que « lorsqu’une convention prévoit la conclusion de contrats ultérieurs, l’indétermination du prix de ces contrats dans la convention initiale n’affecte pas, sauf dispositions légales particulières, la validité de celle-ci » ( Cass. ass. plén., 1er déc. 1995, no 91-15.999 ). La jurisprudence est ainsi venue déroger à l’article 1591 du code civil qui interdit par principe la fixation unilatérale du prix dans le contrat de vente : « le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties ».
Le code civil reprend le dispositif jurisprudentiel et l’applique aux contrats conclus depuis le 1er octobre 2016 en précisant toutefois que les parties doivent être d’accord pour renvoyer la définition du prix à la décision unilatérale future d’une des parties (sauf rapport de force économique contraire, on peut présupposer qu’il s’agit généralement du fournisseur) : « Dans les contrats cadre, il peut être convenu que le prix sera fixé unilatéralement par l’une des parties » (C. civ., art. 1164 ).
Existe-t-il des garde-fous pour se protéger d’une partie fixant unilatéralement un prix déraisonnable ?
Si le législateur a voulu donner de la souplesse aux acteurs économiques, il a aussi voulu protéger le partenaire placé en situation de faiblesse dans ces schémas spécifiques.
Ainsi, celui qui se voit appliquer un prix qu’il estime injustifié peut toujours en demander l’explication. Les articles 1164 et 1165 du code civil précisent ainsi qu’en cas de contestation il appartient à la partie qui a fixé le prix d’en motiver le montant. Cette obligation de justifier le prix ne va tout de même pas jusqu’à devoir produire la marge que le fournisseur entend réaliser : « le prestataire de services d’investissement qui est partie à une opération de couverture à prime nulle contre le risque de fluctuation du cours de matières premières n’est pas tenu de révéler à son cocontractant le profit qu’il compte retirer de cette opération » ( Cass. com., 17 mars 2015, no 13-25.142 ). (Entre ce que le client exigera et ce que le fournisseur sera prêt à communiquer, l’exercice risque de s’avérer délicat. Si cette demande de motivation et les discussions qui s’ensuivent ne permettent pas de trouver un accord, la partie qui estime que le prix est abusif peut s’adresser au juge.)
Dans l’hypothèse d’un contrat de prestation de service, les décisions de justice rendues sous l’empire du droit applicable aux contrats conclus avant le 1er octobre 2016 disposaient que « la rémunération pouvait être fixée par le juge en fonction des éléments de la cause, à défaut d’accord entre les parties » ( Cass. 1re civ., 9 févr. 1977, no 75-11.922 ).
Le juge pourra être saisi d’une demande en résolution du contrat et d’une demande en dommages et intérêts : « En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande tendant à obtenir des dommages et intérêts et, le cas échéant, la résolution du contrat » (C. civ., art. 1164 ).
La question des contrats complexes
Le critère de spécificité utilisé par la jurisprudence pour qualifier un contrat « complexe » prend une nouvelle fois du relief : quelle est la qualification juridique d’un contrat mêlant prestation de service et une autre nature de contrat (vente ou location par exemple) ? Les juges du fond ont par exemple caractérisé « la fourniture et l’installation de moteurs neufs dans une structure appartenant au client et présentant des caractéristiques techniques propres » comme un contrat d’entreprise - et non pas un contrat de vente - car portant non sur des choses déterminées à l’avance mais sur un travail spécifique destiné à répondre aux besoins particuliers exprimés par le donneur d’ordre ( Cass. 1re civ., 14 déc. 1999, no 97-19.620 ).