Fiche thématique
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1 novembre 2022
La résiliation du bail peut s’avérer très dangereuse pour les créanciers inscrits sur le fonds de commerce. C’est pourquoi les dispositions du code de commerce édictent-elles un régime particulier protecteur des créanciers.

Sommaire

L’obligation de notification de la résiliation aux créanciers inscrits

Le bail visé

Un régime protecteur des créanciers

Le bailleur qui poursuit la résiliation du bail de l’immeuble dans lequel s’exploite un fonds de commerce grevé d’inscriptions doit notifier sa demande aux créanciers antérieurement inscrits, aux domiciles déclarés par eux dans leurs inscriptions (C. com., art. L. 143-2 ).

La notification vaut mise en demeure d’exécuter les clauses du bail ( Cass. 3e civ., 8 févr. 1989, no 87-11.919 ). Elle a pour but d’informer les créanciers inscrits du risque de disparition du droit de bail qui constitue un élément très important du fonds de commerce, qui lui donne souvent sa valeur économique. C’est en plus un élément qui ne perd pas de valeur même quand l’activité économique est mauvaise. La notification vise ainsi à permettre aux créanciers inscrits d’avoir un moyen de sauvegarde.

Quelles que soient sa forme et sa durée, tout bail d’immeuble est soumis à la règle de l’article L. 143-2 précité. Ainsi, un bail dérogatoire de moins de 2 ans, sera soumis au texte. Cela n’est pas le cas d’une convention d’occupation précaire (qui n’est pas un bail), ni du contrat de location-gérance (qui n’est pas un bail d’immeuble).

Les résiliations visées

La notification doit être faite dans tous les cas de résiliation du bail : résolution unilatérale (par voie de notification au cocontractant), résiliation amiable (ou révocation mutuelle), résolution judiciaire et résiliation de plein droit par application d’une clause résolutoire insérée dans le contrat de bail.

Remarque

En ce qui concerne la résiliation prononcée en justice à la demande du locataire, la question est assez théorique, mais la nécessité de protéger les créanciers n’en existe pas moins, surtout qu’un tel cas peut dissimuler un concert frauduleux entre le locataire et le bailleur. Le texte devrait donc s’appliquer.

Jugé que ne constituaient pas des cas de résiliation obligeant le bailleur à effectuer une notification :

  • l’expulsion du locataire ordonnée par le juge des référés en raison du caractère immoral et scandaleux de l’exploitation, la demande d’expulsion n’étant ni une résiliation ni l’équivalent d’une résiliation (Cass. req., 29 oct. 1934 : DH 1934, p. 553, Gaz. Pal. 1934, 2, jur., p. 1007) ;
  • l'expiration du bail par l’effet d’un congé délivré par le précédent propriétaire, le locataire se trouvant de surcroît en situation de maintien dans les lieux ( CA Paris, 16e ch., sect.B, 2 avr. 1999, no 1997/24978 ) ;
  • le congé donné par le locataire à l’issue d’une période triennale (CA Paris, 17 nov. 2000, no 99-23483, 16e ch. B).

Remarque

En ce qui concerne la résiliation prononcée en justice à la demande du locataire, la question est assez théorique, mais la nécessité de protéger les créanciers n’en existe pas moins, surtout qu’un tel cas peut dissimuler un concert frauduleux entre le locataire et le bailleur. Le texte devrait donc s’appliquer.

Les créanciers destinataires de la notification

Les créanciers destinataires de la notification sont l’ensemble des créanciers ayant requis un nantissement sur le fonds de commerce .

Il importe peu que l’inscription ait été prise du chef du locataire actuel ou des locataires antérieurs, même si les différentes cessions intervenues n’ont pas été notifiées au bailleur ( Cass. 3e civ., 8 déc. 1993, no 91-19.869, no 1934 P ).

Les créanciers subrogés doivent également être destinataires de la notification à condition que leur subrogation ait été mentionnée en marge de l’inscription du privilège (CA Paris, 18 nov. 1988, no 88-6364, 14e ch. B).

En revanche, l’article L. 143-2 du code de commerce ne s’applique pas :

  • au créancier bénéficiaire d’une inscription provisoire devenue rétroactivement sans effet, faute d’inscription complémentaire ( Cass. 3e civ., 6 déc. 1995, no 94-10.001, no 2210 P ) ;
  • ni a fortiori au créancier titulaire d’une inscription périmée ;
  • encore moins aux créanciers chirographaires, ou encore aux créanciers inscrits du sous-locataire (CA Paris, 15 mai 1933 : Gaz. Pal. 1933, 2, jur., p. 381), même si la question pourrait se discuter au regard des protections accordées au sous-locataire par le statut des baux commerciaux.

Les créanciers destinataires de la notification sont les créanciers « antérieurement » inscrits.

L’antériorité de l’inscription s’apprécie différemment selon le type de résiliation :

  • en cas de résiliation judiciaire, l’inscription doit être antérieure à la date de la demande en justice [en ce sens (C. com., art. L. 143-2, al. 1)] ;
  • en cas de résiliation amiable, l’inscription doit être antérieure à la date de l’accord [en ce sens (C. com., art. L. 143-2, al. 2)] ;
  • en cas de résolution par voie de notification au cocontractant, l’inscription doit être antérieure à la date de réception de la notification par le cocontractant qui en est destinataire [en ce sens (C. civ., art. 1226, al. 2)] ou, en cas de contestation de la notification, antérieure à la date fixée par le juge [en ce sens (C. civ., art. 1229, al. 2)] ;
  • lorsque la résiliation opère de plein droit par l’effet d’une clause résolutoire, la notification doit être faite à tous les créanciers inscrits avant la date à laquelle le bailleur poursuit en justice la cons-tatation de l’acquisition de cette clause ( Cass. 3e civ., 22 mars 2006, no 04-16.747, no 385 FS-P + B + R  ; Cass. com., 16 oct. 2007, no 05-19.756, no 1101 F-P + B ). Cette date est celle de l’assignation ou de la demande reconventionnelle du bailleur (Cass. 3e civ., 22 mars 2006, préc.) mais pas celle du commandement de payer car il ne constitue pas une demande en justice ( Cass. 3e civ., 3 oct. 2007, no 05-22.031, no 879 FS-P + B ).

Le contenu de l’obligation de notification de la résiliation aux créanciers inscrits et ses conséquences

Les formes de la notification

Les formes de la notification

L’article L. 143-2 du code de commerce ne prévoit aucun formalisme particulier pour la notification de la résiliation du bail aux créanciers inscrits. Le plus souvent, elle s’effectue par acte extrajudiciaire dans le but d’attirer l’attention du créancier inscrit sur le fait que la résiliation peut gravement porter atteinte à ses intérêts (CA Limoges, 1re ch. civ., 10 juin 1991 : Rev. Loyers 1992 p. 450).

La notification n’a pas à indiquer qu’elle est faite au créancier inscrit en cette qualité et en application de l’article L. 143-2 du code de commerce ( Cass. 3e civ., 16 févr. 2000, no 98-12.159 ).

L’objectif de cette notification étant de permettre au créancier inscrit de préserver son gage, il importe qu’il soit clairement et sans équivoque informé de la résiliation. C’est pourquoi la Cour de cassation a considéré que la forme de la notification importe peu dès lors qu’une information claire et sans équivoque a été fournie au créancier ( Cass. com., 16 janv. 2001, no 98-21.440, no 112 FS-P ). La Cour a ainsi estimé que la lettre adressée par le bailleur au créancier inscrit, aux termes de laquelle il lui rappelait les pourparlers engagés entre eux en vue de la « relocation » des lieux par celui-ci et les différents « contacts » déjà intervenus, consacrait la connaissance certaine et non équivoque, par ce dernier, de la résiliation intervenue et valait dès lors notification au créancier inscrit au sens de l’article L. 143-2 (Cass. 3e civ., no 98-21.440, préc.).

Le moment de la notification

L’article L. 143-2, al. 1 du code de commerce, qui vise la résiliation judiciaire, indique que le propriétaire doit notifier « sa demande » aux créanciers antérieurement inscrits. Par conséquent, la dénonciation de la demande en justice, soit l’assignation, soit la demande reconventionnelle, vaut notification.

Le jugement prononçant la résiliation devant être rendu au minimum un mois après la notification, celle-ci pourra intervenir à tout moment en cours d’instance, et donc postérieurement à la date de l’assignation, dès lors qu’elle aura été faite plus d’un mois avant le jugement |en ce sens (C. com., art. L. 143-2, al. 1).

S'agissant de la résiliation amiable, le texte précise que la résiliation ne devient définitive qu’un mois après la notification qui en est faite aux créanciers inscrits. La notification peut donc avoir pour objet l’accord amiable intervenu entre les parties.

En cas de résolution par voie de notification au cocontractant, la notification aux créanciers inscrits doit, à notre avis, avoir lieu au moins au moment où le demandeur notifie à son cocontractant la résolution du contrat et les raisons qui la motivent, en application de l’article 1226, alinéa 3 du code civil.

Lorsque la résiliation opère de plein droit par l’effet d’une clause résolutoire, la notification au créancier inscrit du commandement de payer visant la clause résolutoire ne constitue pas la notification au sens de la loi ( Cass. 3e civ., 16 mars 2017, no 15-29.206, no 312 FS-P + B ), dès lors qu’elle manifeste seulement l’intention de se prévaloir d’une résiliation encore éventuelle, le délai de paiement accordé au locataire n’étant pas encore expiré (Cass. com., 6 nov. 1961, no 60-11.908 : Bull. civ. III no 393 ; Cass. 3e civ., 21 juill. 1975, no 74-11.033  ; Cass. com., 3 mars 1992, no 89-19.172, no 427 P ).

En revanche, la notification est régulière dès lors que le bailleur adresse au créancier inscrit soit l’assignation délivrée après expiration du délai d’un mois suivant le commandement et tendant à la constatation de la résiliation ( Cass. 3e civ., 4 mars 1998, no 94-12.977, no 346 P + B ), soit la décision de justice constatant celle-ci ( Cass. 3e civ., 4 mars 1998, no 95-18.900, no 347 P + F ).

La notification de l’assignation dispense de la notification de l’ordonnance de référé rendue sur cette assignation (Cass. 3e civ., no 94-12.977 préc. ; Cass. 3e civ., 10 juin 1998, no 96-20.672 ).

Les sanctions de l’obligation de notifier la résiliation

La sanction de la notification tardive ou de l’absence de toute notification est l’inopposabilité de la résiliation intervenue, qu’elle soit judiciaire, amiable, ou résulte d’une clause résolutoire (Cass. 3e civ., 17 juill. 1965 no 62-11.443).

Le créancier inscrit a le droit, lorsqu’une décision judiciaire a prononcé la résiliation, sans qu’aucune notification ne lui ait été faite, de faire tierce opposition à cette décision afin d’exiger le maintien du bail pour la sauvegarde de son gage ( Cass. 3e civ., 15 déc. 1976, no 75-14.898  ; Cass. 3e civ., 8 févr. 1989, no 87-11.919 ). La décision rendue sur sa tierce opposition et qui déclare la résiliation inopposable au créancier inscrit entraîne rétractation à l’égard de toutes les parties de la décision initiale constatant la résiliation du bail, en raison de l’impossibilité absolue d’exécuter simultanément les deux décisions (Cass. 3e civ., no 75-14.898, préc. ; Cass. 3e civ., 3 nov. 1988, no 86-18.180  ; Cass. 3e civ., 22 mars 1989, no 87-19.019 ).

Le créancier inscrit est également en droit de demander la réalisation du gage dont le droit au bail est l’un des éléments constitutifs : il peut donc poursuivre la vente forcée du fonds de commerce, y compris le droit au bail, la résiliation ne lui étant pas opposable (Cass. req., 3 déc. 1930 : Gaz. Pal. 1931 p. 113).

Dès lors qu’il a subi un préjudice du fait du défaut de notification, le créancier inscrit peut agir en dommages-intérêts à l’encontre du bailleur (Cass. req., 21 mars 1938 : DH 1938 p. 308 ; Cass. com., 1er févr. 1971, no 69-14.379  ; Cass. 3e civ., 14 déc. 1988, no 87-10.620 ). Encore faut-il que soit établi le lien de causalité entre le préjudice né de la perte de la sûreté et le défaut de notification. Tel n’est pas le cas lorsque ce préjudice résulte de la seule inertie du créancier ( Cass. 3e civ., 9 nov. 2011, no 10-20.021, no 1309 FS-P + B ). Il convient également qu’une faute puisse être retenue à l’encontre du bailleur ( Cass. com., 3 juill. 1978, no 77-10.526 ). L’omission de notifier la demande de résiliation du bail ne constitue pas une telle faute lorsqu’elle résulte d’une erreur invincible ( Cass. com., 24 janv. 1995, no 92-21.456 ). Lorsqu’il existe, le préjudice subi par le créancier inscrit s’analyse dans la perte d’une chance pour celui-ci de recouvrer sa créance ( Cass. com., 11 juill. 2006, no 05-18.267, no 917 F-P + B  ; CA Paris, 16e ch. A, 12 janv. 1993).

Les droits des créanciers ayant reçu notification

Les créanciers inscrits ont un délai d’un mois avant le prononcé judiciaire de la résiliation du bail, ou avant la résiliation amiable, pour intervenir.

Mais le texte ne dit pas exactement en quoi leur intervention consistera :

  • ils peuvent d’abord exécuter les obligations que le locataire n’a pas respectées, par exemple en payant les loyers (outre intérêts et frais) et en mettant ainsi fin à la menace de résiliation. Dans ce cas, il est préférable, pour les créanciers, de se faire consentir une quittance subrogative pour pouvoir récupérer ensuite auprès du locataire ce paiement ;
  • si l’obligation méconnue n’est pas pécuniaire, ils peuvent accomplir les obligations nées du bail aux lieu et place du locataire ( Cass. 3e civ., 17 mai 1977, no 75-14.976 ) ;
  • ils peuvent intervenir à l’instance en résiliation, soit pour mieux défendre les intérêts du locataire, soit pour parer à tout risque de collusion frauduleuse entre bailleur et locataire. Ils pourront agir par la voie paulienne, si la fraude peut être démontrée. Ils peuvent agir par la voie oblique pour exercer les droits du débiteur négligent, droit à renouvellement ou à indemnité d’éviction.
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