La notion de déplacement du fonds de commerce
Avant d’envisager le sort du nantissement en cas de déplacement du fonds de commerce, il convient de préciser ce qu’on entend par déplacement du fonds.
Pour savoir s’il y a déplacement du fonds de commerce, ce qui est essentiel, est de savoir si le lieu principal d’exploitation, à savoir le siège du fonds, est déplacé. Le déplacement d’un local accessoire ne constitue donc pas un déplacement du fonds ; ainsi, le déplacement d’un atelier ou d’un hangar, n’emporte pas déplacement du fonds. Est au contraire un déplacement du fonds le fait de louer ou d’acheter un autre local pour continuer le même genre d’exploitation avec les mêmes autres éléments.
Les formalités en cas de déplacement du fonds de commerce
L’information des créanciers par la notification d’un avis
Le propriétaire du fonds de commerce peut librement déplacer celui-ci mais il doit en informer les créanciers inscrits par un avis, au moins 15 jours avant le déplacement projeté, en leur indiquant le nouveau siège du fonds (C. com., art. L. 143-1, al. 1).
La loi ne précise pas la forme de cet avis, mais mentionne l’existence d’un avis notifié à l’article L. 143-1, al. 2. Il est donc conseillé d’envoyer cet avis au moins par une lettre recommandée avec accusé de réception ; il est même plus prudent de le faire par exploit d’huissier ou de commissaire de justice.
Un arrêt ancien enseigne qu’une notification tardive serait sans effet (CA Paris, 7 janv. 1932 : Gaz. Pal. 1932, 2, 577).
Les conséquences de l’absence d’information des créanciers inscrits
L’article L. 143-1 du code de commerce a pour but de protéger le créancier nanti contre un déplacement du fonds dont il n’aurait pas été informé.
L’exigibilité immédiate de la créance
En l’absence d ’information des créanciers inscrits dans les délais requis, leurs les créances deviennent de plein droit exigibles (C. com., art. L. 143-1, al. 1).
L’exigibilité doit être prononcée par le tribunal de commerce, mais elle est de droit, de sorte que le tribunal n’ait aucun pouvoir d’appréciation (T. com. Seine, 27 oct. 1922 : Gaz. Trib. 1923, 2,132 ; Cass. 3e civ., 16 févr. 1982 : Rev. Loyers 1982, p. 391 note Viatte).
L'exception à l'exigibilité immédiate de la créance
La jurisprudence admet que la connaissance personnelle du déplacement du fonds d’un créancier inscrit équivaut à une notification ( Cass. com., 29 janv. 2002, no 99-18.092, no 272 FS-P ).
La connaissance du déplacement du fonds ne peut se déduire ni de la connaissance par le créancier du changement d’adresse du propriétaire du fonds, le déplacement du siège social d’une société propriétaire d’un fonds n’emportant pas nécessairement transfert de ce fonds, ni de la seule mention du déplacement du fonds au registre du commerce et des sociétés ( Cass. com., 7 déc. 2004, no 02-16.002 ). En revanche, le fait de diligenter des mesures d’exécution au nouveau lieu d’exploitation, notamment en faisant procéder en ce lieu à la saisie de matériels d’exploitation démontre bien que le créancier avait une connaissance effective du déplacement ( Cass. com., 7 juill. 2009, no 08-17.792, no 698 F-P + B ).
La réaction du créancier nanti averti du déplacement du fonds de commerce
L’option du créancier
La doctrine considère que le créancier inscrit dispose de deux options :
- soit le créancier nanti reste un créancier à terme, et il doit régulariser son inscription ;
- soit il choisit de demander l’exigibilité immédiate, et il n’a pas à régulariser.
La régularisation de l’inscription
S'il a eu connaissance du déplacement du fonds, le créancier inscrit le plus diligent doit faire mentionner, en marge de l'inscription initiale, le nouveau siège du fonds. Cette régularisation doit intervenir dans les 15 jours qui suivent la notification qui lui a été adressée ou la date à laquelle il aura eu personnellement connaissance du déplacement (C. com., art. L. 143-1, al. 2).
La loi ne précise pas l’effet de la régularisation. Toutefois, l’esprit du texte est de permettre au créancier de conserver ses droits, et donc le bénéfice du rang que lui donnait l’inscription primitive et de primer le créancier qui prendrait une inscription entre l’inscription initiale et la régularisation.
Lorsque le créancier n’a pas fait régulariser l’inscription alors qu’il en avait connaissance, la perte du privilège peut être prononcée si le défaut de régularisation a causé un préjudice aux tiers induits en erreur sur l’état des inscriptions grevant le fonds (Cass. req., 19 oct. 1943 : DC 1944,112, note Chéron, JCP 1943, II, 2464, rapp. Lescot).
Remarque
Le créancier qui n'a pas eu connaissance du déplacement du fonds et n'a pas, pour ce motif, procédé à la modification de son inscription au nouveau lieu d'exploitation ne saurait être sanctionné par la déchéance de son privilège ( Cass. com., 6 oct. 1998, no 96-15.903, no 1497 P ; Cass. com., 26 mars 2002, no 99-21.070 ).
La demande d’exigibilité des créances
Le créancier inscrit qui a été averti, mais n’a pas donné son accord au déplacement du fonds (ni expressément, ni tacitement), peut saisir le tribunal de commerce afin que celui-ci prononce l’exigibilité immédiate de sa créance, à condition que le déplacement entraîne une dépréciation du fonds (C. com., art. L. 143-1, al. 3).
S’il a demandé la régularisation de son inscription, et qu’il ne veut pas que cela vaille acceptation tacite, il doit réserver ses droits.
Remarque
La déchéance du terme n’implique pas, par elle-même, le paiement effectif du créancier. La prudence impose donc de régulariser en tout état de cause, que l’on veuille invoquer ou non en outre la déchéance du terme. Et cela est d’autant plus vrai que le délai pour régulariser est très bref (« dans la quinzaine de l’avis à eux notifié ou dans la quinzaine du jour où ils auront eu connaissance du déplacement »).