Fiche thématique
5 min de lecture
28 février 2023
L'abus de bien sociaux consiste dans le fait, pour certains dirigeants de sociétés commerciales, de faire, de mauvaise foi, des biens de la société un usage qu'ils savent contraire à l'intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement.

Sommaire

Incrimination

Personnes punissables

Le délit d'abus de biens sociaux est susceptible d'être commis par le gérant de SARL (y compris d'EURL), ainsi que par le président, les directeurs généraux et les administrateurs de société anonyme (ou de tout autre société de capitaux). Le dirigeant de fait de ces groupements entre également dans le champ de l'incrimination. Ainsi, le dirigeant de fait d'une société qui fait attribuer à une autre société dont il est le dirigeant des fonds pour des prestations fictives de formation du personnel commet un abus de biens sociaux (Crim. 19 mai 2016, no 14-88.387).

Peuvent, par ailleurs, être condamnées en qualité de complice certaines personnes qui ne pourraient l'être en tant qu'auteur principal de l'infraction, par exemple, le commissaire aux comptes, l'expert-comptable ou encore le banquier de la société (pour l'hypothèse de la condamnation d'un ancien ministre en qualité de complice, v. Cass., ass. plén., 4 juin 2021, no 21-81.656). Il en est de même du receleur.

Nécessité d'un usage…

Le délit d'abus de biens sociaux suppose un usage des biens de la société contraire à l'intérêt de celle-ci. Les biens sociaux doivent être entendus largement : il s'agit de tous ceux dont la société est propriétaire, qu'ils soient corporels ou incorporels, mobiliers ou immobiliers, étant entendu que, en pratique, il va sans dire que les biens les plus fréquemment utilisés de manière illicite sont les fonds de la société.

La notion d'usage est également très malléable. Il s'agit le plus souvent d'un acte positif et qui consiste en l'appropriation d'un bien appartenant à la société. C'est par exemple le cas lorsque le gérant cède, sans réelle contrepartie, un contrat de crédit-bail au profit d'une société dans laquelle le gérant de la société cédante est associé.

L'usage peut également résulter d'une abstention. Constitue ainsi un abus de biens sociaux le fait, pour les gérants d'une SARL en même temps associés d'une société civile immobilière, d'omettre de réintégrer dans l'actif de la société une somme perçue par erreur par la SCI à la suite d'une erreur du banquier (Crim. 28 janv. 2004, no 02-87.585). La simple passivité du dirigeant social n'est toutefois pas suffisante.

… contraire à l'intérêt social

La notion de contrariété à l'intérêt social a été source de controverses. Il va de soi que cette condition est remplie si le dirigeant agit dans son intérêt personnel, par exemple, si, avec les fonds de la société, il fait effectuer des travaux dans un immeuble lui appartenant ou règle ses dettes personnelles.

Par ailleurs, si des fonds sociaux ont été prélevés de manière occulte par le dirigeant et que celui-ci n'a pas justifié qu'ils ont été utilisés dans le seul intérêt de la société, la jurisprudence considère qu'ils l'ont nécessairement été dans son intérêt personnel. Il s'agit d'une présomption simple que le dirigeant peut toujours renverser en apportant la preuve contraire, c'est-à-dire de la conformité à l'intérêt social du prélèvement ainsi réalisé.

Une difficulté s'est posée lorsqu'un acte illicite a été commis mais dont la société est susceptible de tirer profit, par exemple des faits de corruption dans l'espoir de décrocher un marché public ou de maintenir un courant d'affaires avec un partenaire économique. La Cour de cassation tend désormais, dans cette hypothèse, à retenir qu'un acte illicite est par nature contraire à l'intérêt social, notamment parce qu'il porte atteinte à la réputation de la société (Crim. 27 oct. 1997, no 96-83.698) ou parce qu'il expose la société et ses dirigeants à un risque anormal de poursuites pénales et/ou fiscales.

Finalité de l'usage

Il faut au surplus que le dirigeant ait agi à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle il est intéressé directement ou indirectement. Pour condamner le dirigeant, les juges doivent absolument rechercher s'il avait pris un intérêt personnel direct ou indirect dans l'opération litigieuse.

Élément intentionnel : la mauvaise foi du dirigeant

L'usage d'un bien contraire à l'intérêt social ne suffit pas. Le dirigeant doit, en outre, avoir agi de mauvaise foi. Ce qui signifie qu'il doit simplement avoir conscience que cet usage est contraire à l'intérêt de la société. L'abus de biens sociaux est clairement une infraction intentionnelle.

Répression de l'abus de biens sociaux

Prescription

En matière d'abus de biens sociaux, une partie importante du contentieux actuel se focalise autour de la question du point de départ du délai de prescription. La solution de principe est la suivante : ce point de départ doit être fixé au jour où le délit est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique. Il s'agit, en principe, du jour de la présentation des comptes annuels aux associés, par lesquels les dépenses litigieuses sont indûment mises à la charge de la société. S'il y a dissimulation (ne permettant pas la constatation de la commission du délit), le délai ne court donc pas. Le problème est que les tribunaux sont tentés de retenir une conception extensive de la notion de dissimulation, de telle sorte que l'on risque d'aboutir à une quasi-imprescriptibilité de fait du délit d'abus de biens sociaux.

Depuis la loi du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale, la prescription est de six ans à compter du fait dommageable ou, s'il a été dissimulé, de sa révélation, sachant que le report du point de départ du délai de prescription ne peut conduire à ce que le délai de prescription excède douze années à compter du jour où l'infraction a été commise (L. no 2017-242 du 27 févr. 2017).

Exercice de l'action civile

La jurisprudence contemporaine tend à restreindre l'exercice de l'action civile du chef du délit de biens sociaux contre les dirigeants sociaux (voire leurs complices ou receleurs). Cette action est, bien entendu, recevable lorsqu'elle émane du dirigeant. Il s'agit alors, comme en matière de responsabilité civile, d'une action sociale ut universi, destinée à réparer le préjudice subi par la société. Les tribunaux se montrent, en revanche, beaucoup plus réticents si l'action est intentée par une personne qui n'a pas cette qualité, par exemple un associé, voire un créancier.

Sanctions pénales et civiles

Le délit d'abus de biens sociaux est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 375 000 € d'amende. Aux sanctions pénales viennent s'ajouter les sanctions civiles, sous forme de dommages-intérêts, destinées à réparer le préjudice subi par la société, prononcées en vertu d'une action sociale. En sus de la réparation du préjudice, l'opération litigieuse, à l'origine de l'abus de biens, peut également être annulée, car revêtant un caractère illicite.

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Questions fréquemment posées

Que faut-il entendre par « usage » en matière d’abus de biens sociaux ?

Le délit d’abus de biens sociaux suppose un usage des biens de la société contraire à l’intérêt de celle-ci.

La notion d’usage couvre le plus souvent un acte positif, qui consiste, par exemple, en l’appropriation d’un bien appartenant à la société ; seront considérés comme tels, une rémunération excessive perçue pour un dirigeant (l’abus pouvant s’apprécier au regard de la situation financière et des ressources de la société ) ou un salaire versé à un tiers auquel a été consenti un contrat de travail fictif (receleur), ou encore une utilisation abusive d’un élément du patrimoine social.

L’usage peut également résulter d’une abstention. Il a été jugé que constitue un abus de biens sociaux, le fait, pour les gérants d’une SARL en même temps associés d’une société civile immobilière, d’omettre de réintégrer dans l’actif de la SARL une somme perçue par erreur par la SCI à la suite d’une erreur du banquier.

La simple passivité du dirigeant social n’est toutefois pas suffisante. Sa condamnation pour abus de biens sociaux exige une participation personnelle aux faits incriminés. Si des fonds sociaux ont été utilisés par un associé à l’insu du dirigeant, ce dernier doit donc être relaxé.

Les dirigeants d’une société ayant son siège hors de France peuvent-ils être condamnés pour abus de biens sociaux ?

Le délit d’abus de biens sociaux suppose que la société victime de celui-ci soit immatriculée en France et qu’elle y ait son siège social. Toutefois, une société qui a son siège social statutaire à l’étranger, mais dont le siège social réel est situé en France, relève du droit français, et ses dirigeants peuvent valablement être poursuivis et condamnés du chef du délit d’abus de biens sociaux. En revanche, à titre de principe, si le siège social réel est à l’étranger, mais que les détournements ont lieu en France, les dirigeants sociaux ne pourraient être poursuivis que pour abus de confiance, délit qui est bien plus difficile à établir.

Quels sont les conséquences civiles attachés à la condamnation d’un dirigeant social pour abus de biens sociaux ?

Les sanctions pénales attachés à la condamnation d’un dirigeant social pour abus de biens sociaux ne sont pas exclusives de sanctions civiles, destinées à réparer le préjudice subi par la société. Conformément au droit commun de la responsabilité civile, le préjudice doit être intégralement réparé. En conséquence, selon la Cour de cassation, il est indifférent que, depuis que les faits d’abus de biens sociaux ont été commis, la société ait été restructurée sur le plan financier, notamment du fait de l’apport de fonds propres de la part de son ancien actionnaire et dirigeant. Un tel apport ne peut en lui-même avoir pour effet de réparer le préjudice social causé par l’infraction.

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