Fiche thématique
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12 octobre 2023

Par la déspécialisation, le locataire va pouvoir, en cours d'exécution du bail commercial, obtenir le changement de la destination des lieux définie contractuellement.

À côté de la déspécialisation partielle et de la déspécialisation plénière, il existe la cession-déspécialisation.

Sommaire

Déspécialisation partielle

Définition

La déspécialisation partielle est une faculté pour le locataire d'adjoindre à l'activité prévue au bail des activités connexes ou complémentaires (C. com., art. L. 145-47) ou, pour le tribunal de commerce, dans le cadre d'un plan de cession, de permettre au repreneur d'adjoindre à l'activité prévue au contrat des activités connexes ou complémentaires.

Cette notion d'« activités connexes et complémentaires » n'est définie que par la jurisprudence.

Il a ainsi été considéré comme activités connexes et complémentaires l'activité d'hôtel meublé et de bar à celle de piano-bar et de karaoké (Civ. 3e, 17 juill. 1996, no 94-19.784) ou encore celle de coiffure pour hommes par rapport à celle pour dames (Paris, 27 févr. 2013).

Il s'agit d'activités qui sont voisines ou qui complètent l'activité du preneur telle qu'elle résulte du contrat.

Elles se distinguent de celle d'activités incluses, que le preneur peut librement exercer en dehors de toute procédure (Civ. 3e, 25 janv. 2006, no 04-20.173, AJDI 2006. 279, obs. C. Denizot ; Civ. 3e, 16 sept. 2015, no 14-18.708, D. 2015. 1895 ; AJDI 2016. 115, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; JT 2015, no 179, p. 13, obs. Y. Rouquet).

Régime de la déspécialisation partielle hors plan de cession

Aux termes des articles L. 145-47 et L. 145-55 du code de commerce, le locataire commercial est tenu de faire connaître son intention au propriétaire par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, en indiquant les activités dont l'exercice est envisagé.

À partir de cette signification, le propriétaire dispose de deux mois, à peine de déchéance, pour indiquer à son cocontractant s'il conteste le caractère connexe ou complémentaire de ces activités.

Le silence vaut acceptation.

En cas de contestation, que le bailleur n'a pas à motiver (Civ. 3e, 9 févr. 2017, no 15-28.759, D. 2017. 405 ; D. 2017. 1572, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; RTD com. 2017. 293, obs. J. Monéger), le tribunal judiciaire, saisi par la partie la plus diligente, se prononce en fonction notamment de l'évolution des usages commerciaux.

Lors de la première révision triennale suivant la notification de déspécialisation, il peut être tenu compte, pour la fixation du loyer, des activités commerciales adjointes, dès lors que celles-ci ont entraîné par elles-mêmes une modification de la valeur locative des lieux loués.

Le preneur dispose d'un droit de renonciation à exercer ses prérogatives issues de la déspécialisation partielle : à tout moment et jusqu'à l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle la décision est passée en force de chose jugée, le locataire qui a formé une demande de déspécialisation partielle peut y renoncer en le notifiant au bailleur par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Il supporte alors tous les frais de l'instance (C. com., art. L. 145-55).

Régime de la déspécialisation partielle dans le cadre d'un plan de cession

Selon l'article L. 642-7 du code de commerce, alinéa 4, issu de la loi no 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, après avoir entendu ou dûment appelé le bailleur, le tribunal de commerce peut, si un contrat de bail commercial portant sur un ou plusieurs immeubles ou locaux utilisés pour l'activité de l'entreprise figure dans le plan de cession, autoriser dans le jugement arrêtant le plan le repreneur à adjoindre à l'activité prévue au contrat des activités connexes ou complémentaires.

Ces dispositions sont applicables aux procédures de liquidation judiciaire ouvertes à compter du 20 juin 2014.

Déspécialisation plénière

Définition

La déspécialisation plénière permet au preneur à bail commercial, sur sa demande, d'exercer dans les lieux loués une ou plusieurs activités différentes de celles prévues au bail (C. com., art. L. 145-48).

Le changement doit être dicté par la conjoncture économique et les nécessités de l'organisation rationnelle de la distribution.

Ces activités doivent par ailleurs être compatibles avec la destination, les caractères et la situation de l'immeuble ou de l'ensemble immobilier.

La Cour de cassation a par exemple indiqué qu'était justifié l'arrêt qui, pour autoriser un locataire à adjoindre à son activité de vente et toilettage d'animaux de compagnie, prévue par le bail, celle de vente d'accessoires, cadeaux et petits objets, après avoir pris en considération la conjoncture économique en constatant que la profession de toiletteur était peu rentable dans un marché presque saturé, a retenu que ce type de vente ne mettait pas en cause l'organisation rationnelle de la distribution et que cette activité était compatible avec la destination, les caractères et la situation de l'immeuble (Civ. 3e, 4 mars 1992, no 90-20.323).

Champ d'application

Le droit à déspécialisation totale appartient à tout locataire soumis au statut des baux commerciaux, à l'exception du premier locataire d'un local compris dans un ensemble constituant une unité commerciale définie par un programme de construction.

Cette exception vaut pendant un délai de neuf ans à compter de la date de l'entrée en jouissance du locataire.

Régime

Une demande doit être faite au bailleur par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception et comporter, à peine de nullité, l'indication des activités dont l'exercice est envisagé (C. com., art. L. 145-49).

Selon la même forme, elle doit être dénoncée aux créanciers inscrits sur le fonds de commerce ; ces derniers peuvent demander que le changement d'activité soit subordonné aux conditions de nature à sauvegarder leurs intérêts.

Dans le mois de cette demande, le bailleur doit en aviser (par acte d'huissier), ceux de ses locataires envers lesquels il se serait obligé à ne pas louer en vue de l'exercice d'activités similaires à celles visées dans la demande.

Ceux-ci doivent, à peine de forclusion, faire connaître leur attitude dans le mois de cette notification.

À défaut par le bailleur d'avoir, dans les trois mois de la demande, notifié son refus (qui ne peut être motivé que par un motif grave et légitime ou par la volonté du bailleur de reprendre les locaux à l'expiration de la période triennale en cours pour réaliser des travaux), son acceptation ou encore les conditions auxquelles il subordonne son accord, il est réputé avoir acquiescé à la demande (Civ. 3e, 11 juin 2008, no 07-14.551, D. 2008. 1764 ; AJDI 2009. 27, obs. M.-P. Dumont-Lefrand).

Le changement d'activité peut motiver le paiement, à la charge du locataire, d'une indemnité égale au montant du préjudice dont le bailleur établirait l'existence.

Ce dernier peut en outre, en contrepartie de l'avantage procuré, demander, au moment de la transformation, la modification du prix du bail à la valeur locative sans attendre la prochaine échéance triennale.

Le tribunal judiciaire peut autoriser la transformation totale ou partielle malgré le refus du bailleur, dès lors que ce refus n'est pas justifié par un motif grave et légitime.

Si le différend porte seulement sur le prix du bail, c'est le président du tribunal qui est saisi, dans le cadre d'une procédure sur mémoire.

Comme en matière de déspécialisation partielle, le preneur bénéficie d'un droit de renonciation.

Cession-déspécialisation

Définition

Il faut entendre par cession-déspécialisation la possibilité, pour le preneur à bail commercial ayant demandé, de bénéficier de ses droits à la retraite ou ayant été admis au bénéfice d'une pension d'invalidité attribuée par le régime d'assurance invalidité-décès des professions artisanales ou des professions industrielles et commerciales, de céder son fonds de commerce (C. com., art. L. 145-51). L'associé unique d'une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, tout comme le gérant majoritaire depuis au moins deux ans d'une société à responsabilité limitée, lorsque celle-ci est titulaire du bail, sont éligibles à ce dispositif.

Régime

Le locataire doit signifier à son propriétaire et aux créanciers inscrits sur le fonds de commerce son intention de céder son bail en précisant la nature des activités dont l'exercice est envisagé ainsi que le prix proposé.

Pendant deux mois, le bailleur dispose d'une priorité de rachat aux conditions fixées dans la signification.

À défaut d'usage de ce droit par le bailleur, son accord est réputé acquis si, dans le même délai de deux mois, il n'a pas saisi le tribunal judiciaire.

La nature des activités dont l'exercice est envisagé doit être compatible avec la destination, les caractères et la situation de l'immeuble.

La cession du droit au bail dans les conditions de l'article L. 145-51 du code de commerce emporte, malgré une déspécialisation, le maintien du loyer jusqu'au terme du bail (Civ. 3e, 15 févr. 2023, no 07-14.551, D. 2023. 341; ibid. 724, note V. Fourment  ; AJDI 2023. 427, obs. J.-P. Blatter). En revanche, à l'occasion du renouvellement, la cession-despécialisation ne prive pas le bailleur du droit d'invoquer le changement de destination intervenu au cours du bail expiré au soutien d'une demande en fixation du loyer du bail renouvelé (Civ. 3e, 15 févr. 2023, no 07-14.551, préc.).

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Questions fréquemment posées

Quelles sanctions encourt le locataire commercial en cas d’extension d’activité sans l’accord du bailleur ?

Toute extension de la destination des lieux, même limitée à une activité connexe ou complémentaire, réalisée sans l'autorisation préalable du bailleur ou du tribunal constitue un manquement du locataire commercial à ses obligations susceptible d'entraîner différentes sanctions à son encontre : condamnation à des dommages-intérêts, refus de renouvellement du bail pour motif grave et légitime ou encore résiliation de celui-ci, soit par les juges s'ils estiment que l'extension constitue un manquement suffisamment grave aux obligations du locataire, soit par le jeu de la clause résolutoire insérée au bail.

Quels sont les effets d’une déspécialisation plénière à l’égard des tiers ?

Les droits des créanciers inscrits sur l'ancien fonds de commerce sont reportés sur le fonds transformé avec leur rang antérieur (C. com., art. L 145-50, al. 3). Ces créanciers ne peuvent pas s'opposer au changement d'activité mais, s’ils craignent d'être lésés par la transformation du fonds, ils peuvent demander que le changement d'activité soit subordonné à certaines conditions de nature à sauvegarder leurs intérêts (C. com., art. L 145-49, al. 1).

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