Écouter le salarié s’estimant victime de harcèlement
Écouter la victime, quelle que soit la personne ayant donné l’alerte
Informé de faits de harcèlement, l’employeur doit, dès la première alerte et en application de son obligation de sécurité et de prévention, recevoir et écouter la victime.
Remarque
S’il n’est pas informé du harcèlement subi par le salarié, il ne peut pas constater le problème et tenter d’y remédier. Le salarié ne peut alors lui reprocher son inertie et exiger le versement de dommages et intérêts pour harcèlement ( Cass. soc., 26 sept. 2007, no 06-44.767 ).
Ne jamais porter de jugement et se focaliser sur les faits, rien que sur les faits
L’employeur doit écouter le plaignant sans porter de jugement sur son comportement. Il lui faut recueillir des faits précis caractérisant le harcèlement. Il doit le faire sans dramatiser mais sans minimiser les faits non plus !
Remarque
La Cour de cassation estimait auparavant qu’il n’était pas possible d’annuler le licenciement d’un salarié ayant dénoncé des faits de harcèlement moral sans les avoir qualifiés comme tels ( Cass. soc., 13 sept. 2017, no 15-23.045 ). Elle a depuis opéré un revirement et admet que le salarié ne qualifie pas comme tels les faits dénoncés, dès lors que la description donnée des faits et de leurs conséquences ne laisse aucun doute sur leur nature de harcèlement moral, sauf si l’employeur démontre la mauvaise foi du salarié ( Cass. soc., 19 avr. 2023, no 21-21.053, no 502 FP-B + R ).
Le salarié peut produire divers éléments : certificats médicaux attestant d’une souffrance au travail, témoignages écrits de collègues ou de clients, SMS ( Cass. soc., 23 mai 2007, no 06-43.209, no 1145 FS-P + B + I ). Dans le cas du harcèlement sexuel, les témoignages de plusieurs victimes peuvent suffire à le prouver ( Cass. soc., 5 déc. 2018, no 17-24.794 ).
Il ne faut pas perdre de vue que le salarié accusé peut l’être à tort. Si les accusations sont infondées, il peut traverser une période très difficile pouvant agir directement sur sa santé physique et mentale : privation de rémunération pendant plusieurs semaines en cas de mise à pied conservatoire, stress intense lié à l’incertitude de la procédure disciplinaire engagée à son encontre, isolement, sentiment de honte, etc. Si le plaignant a menti pour nuire à l’accusé, il peut être sanctionné, voire licencié, le cas échéant pour faute lourde si la dénonciation de mauvaise foi se double d’une intention de nuire à l’employeur ( Cass. soc., 5 juill. 2018, no 17-17.485 ).
Remarque
Si sa mauvaise foi n’est pas établie, il ne peut être sanctionné, même si les faits dénoncés se sont avérés infondés ( Cass. soc., 10 juin 2015, no 14-13.318, no 1060 FS-P + B ; Cass. soc., 10 juin 2015, no 13-25.554, no 1058 FS-P + B ). Ne pas avoir mentionné la mauvaise foi du salarié dans la lettre de licenciement n’empêche pas l’employeur de l’alléguer ensuite devant le juge ( Cass. soc., 16 sept. 2020, no 18-26.696, no 699 F-P + B ).
Le passé du harceleur peut être pris en compte, même s’il a déjà été sanctionné et que cette sanction a été amnistiée ( Cass. avis, 21 déc. 2006, no 0060014P ). En revanche, avoir un passé « irréprochable » n’est pas une circonstance atténuante ( Cass. soc., 14 févr. 2024, no 22-23.620 ).
Déclencher une enquête pour établir les faits
Le salarié s’estimant victime de harcèlement doit établir les faits qui permettent d’en présumer l’existence, mais l’employeur peut déclencher une enquête pour en établir la réalité, au titre de son obligation de prévention des risques professionnels ( Cass. soc., 27 nov. 2019, no 18-10.551 ). Si une telle enquête est préférable, il ne semble pas pour autant qu’elle soit obligatoire, dès lors que l’employeur démontre avoir pris d’autres mesures et que les juges les estiment suffisantes ( Cass. soc., 12 juin 2024, no 23-13.975, no 634 FS-B ). L’employeur est libre de choisir comment organiser l’enquête, qui n’a pas à être menée de manière contradictoire, la personne mise en cause pouvant très bien n’être ni entendue ni même informée de son déclenchement ( Cass. soc., 29 juin 2022, no 20-22.220, no 787 FS-B ). Toutefois, il est important que l’enquête reste discrète, impartiale et approfondie. Il n’est pas obligatoire de la mener auprès de tous les collaborateurs du « présumé harceleur » ( Cass. soc., 8 janv. 2020, no 18-20.151 ; Cass. soc., 1er juin 2022, no 20-22.058 ), ni d’y associer les représentants du personnel ( Cass. soc., 1er juin 2022, no 20-22.058 ). Un audit consécutif à des actes présumés de harcèlement n’est pas un moyen de preuve illicite, même si l’auteur n’a pas été informé ni entendu ( Cass. soc., 17 mars 2021, no 18-25.597 ). Tant que l’employeur n’a pas mené d’investigations illicites, les juges peuvent apprécier la valeur probante d’une enquête interne ( Cass. soc., 29 juin 2022, no 21-11.437 ).
Remarque
Attention ! Des courriels dont l’authenticité n’est pas établie ne sont pas recevables ( Cass. soc., 22 mars 2011, no 09-43.307 ).
Protéger la victime et prévenir toute récidive
Soustraire le plaignant à toute situation dangereuse au risque de sanctions
L’employeur doit, sous peine d’engager sa responsabilité, protéger les salariés de tout harcèlement. Lorsqu’il est informé de tels faits, il doit rapidement tout mettre en œuvre pour soustraire le salarié s’en estimant victime à cette situation, au besoin en le retirant de son poste de travail, ou en prononçant une mise à pied conservatoire à l’égard de l’auteur présumé.
Remarque
Il peut aussi, s’il n’a pas d’autres moyens à sa disposition, le renvoyer vers son médecin traitant qui peut l’arrêter en attendant la mise en place de solutions temporaires ou permanentes.
Il a la même obligation en matière de harcèlement sexuel, même si les faits se sont produits hors temps et lieu de travail, dès lors que les salariés concernés travaillent ensemble ( Cass. soc., 2 mai 2024, no 21-14.828 ).
A défaut, le salarié victime peut demander la résiliation judiciaire à ses torts ou faire requalifier sa démission par le juge en licenciement abusif. Il peut aussi demander réparation de son préjudice moral ou corporel pour méconnaissance par l’employeur de son obligation de sécurité et de prévention. Celui-ci peut être condamné même s’il a agi très rapidement pour faire cesser les faits de harcèlement ( Cass. soc., 19 nov. 2014, no 13-17.729 ). Il peut aussi être condamné à réparer les actes de harcèlement proprement dits s’ils lui sont imputables ( Cass. soc., 6 juin 2012, no 10-27.694 ). La prohibition des agissements de harcèlement moral et sexuel est distincte de l’obligation de sécurité et de l’obligation de prévention des risques professionnels : une cour d’appel ne peut écarter le versement de dommages et intérêts pour violation par l’employeur de son obligation de sécurité au motif que le harcèlement n’est pas établi ( Cass. soc., 8 juill. 2020, no 18-24.320 ).
Remarque
L’employeur doit mener toutes les investigations nécessaires au sein de l’entreprise pour obtenir les informations utiles à la prise de mesures de prévention. A défaut, il s’agit d’une « abstention fautive » et un manquement à son obligation de sécurité ( Cass. soc., 29 juin 2011, no 09-70.902 ).
L’employeur risque des poursuites pénales pour méconnaissance de son obligation de sécurité. Les problèmes de santé causés par un harcèlement pouvant être pris en charge au titre des AT/MP, sa faute inexcusable, voire intentionnelle, peut être reconnue.
Ne pas hésiter à recourir au médecin du travail
Le médecin du travail peut être sollicité par la victime mais mieux vaut anticiper. Il peut proposer des solutions à l’employeur (mutation, transformation de poste).
Remarque
Attention ! Une fois le médecin du travail saisi du dossier, l’employeur doit tenir compte de ses propositions et, s’il refuse de leur donner suite, en faire connaître les motifs.
Remplir éventuellement une déclaration d’accident du travail
L’employeur adresse à la CPAM une déclaration d’accident du travail pour les salariés présentant un état de souffrance morale lié au travail, chaque fois qu’il est en mesure de la rattacher à un fait accidentel précis, daté et localisé. A défaut, le salarié peut toujours effectuer une déclaration de maladie professionnelle.
Remarque
Il n’y a pas de tableau de maladie professionnelle pour la souffrance au travail. Le salarié doit donc faire reconnaître sa maladie comme professionnelle.
Médiation : seulement pour le harcèlement moral
L’employeur peut solliciter l’intervention d’un médiateur, mais uniquement pour les cas de harcèlement moral. Un tiers est alors désigné par les parties pour favoriser le règlement du conflit (C. trav., art. L. 1152-6 ).
Le médiateur s’informe de l’état des relations entre les parties et tente de les concilier en leur soumettant des propositions qu’il consigne par écrit dans un procès-verbal en vue de mettre fin au harcèlement. En cas d’échec, il informe les parties des éventuelles sanctions encourues et des garanties procédurales prévues en faveur de la victime.
Enquête de l’inspection du travail
Les agents de l’inspection du travail ont compétence en matière de harcèlement et peuvent réaliser une enquête dans l’entreprise sur signalement du salarié victime. Avant d’intervenir, ils prennent le soin de s’assurer à partir des éléments recueillis que les faits sont bien constitutifs d’un harcèlement. Les agents doivent vérifier que la matérialité des faits peut être établie par des preuves telles que des écrits ou des témoignages avant de débuter toute enquête. Lorsque le harcèlement ne peut être établi, du fait notamment de la difficulté à rassembler les preuves, le procureur de la république est informé ( Circ. DGT 2012/14, 12 nov. 2012 ).