Fiche thématique
7 min de lecture
1 septembre 2024
Alerté d’un cas de harcèlement, l’employeur est souvent démuni. S’agit-il réellement d’un harcèlement ? Comment le faire cesser ? Il doit agir au plus vite, sous peine de lourdes sanctions.

Sommaire

Écouter le salarié s’estimant victime de harcèlement

Écouter la victime, quelle que soit la personne ayant donné l’alerte

Informé de faits de harcèlement, l’employeur doit, dès la première alerte et en application de son obligation de sécurité et de prévention, recevoir et écouter la victime.

Remarque

S’il n’est pas informé du harcèlement subi par le salarié, il ne peut pas constater le problème et tenter d’y remédier. Le salarié ne peut alors lui reprocher son inertie et exiger le versement de dommages et intérêts pour harcèlement ( Cass. soc., 26 sept. 2007, no 06-44.767 ).

Ne jamais porter de jugement et se focaliser sur les faits, rien que sur les faits

L’employeur doit écouter le plaignant sans porter de jugement sur son comportement. Il lui faut recueillir des faits précis caractérisant le harcèlement. Il doit le faire sans dramatiser mais sans minimiser les faits non plus !

Remarque

La Cour de cassation estimait auparavant qu’il n’était pas possible d’annuler le licenciement d’un salarié ayant dénoncé des faits de harcèlement moral sans les avoir qualifiés comme tels ( Cass. soc., 13 sept. 2017, no 15-23.045 ). Elle a depuis opéré un revirement et admet que le salarié ne qualifie pas comme tels les faits dénoncés, dès lors que la description donnée des faits et de leurs conséquences ne laisse aucun doute sur leur nature de harcèlement moral, sauf si l’employeur démontre la mauvaise foi du salarié ( Cass. soc., 19 avr. 2023, no 21-21.053, no 502 FP-B + R ).

Le salarié peut produire divers éléments : certificats médicaux attestant d’une souffrance au travail, témoignages écrits de collègues ou de clients, SMS ( Cass. soc., 23 mai 2007, no 06-43.209, no 1145 FS-P + B + I ). Dans le cas du harcèlement sexuel, les témoignages de plusieurs victimes peuvent suffire à le prouver ( Cass. soc., 5 déc. 2018, no 17-24.794 ).

Il ne faut pas perdre de vue que le salarié accusé peut l’être à tort. Si les accusations sont infondées, il peut traverser une période très difficile pouvant agir directement sur sa santé physique et mentale : privation de rémunération pendant plusieurs semaines en cas de mise à pied conservatoire, stress intense lié à l’incertitude de la procédure disciplinaire engagée à son encontre, isolement, sentiment de honte, etc. Si le plaignant a menti pour nuire à l’accusé, il peut être sanctionné, voire licencié, le cas échéant pour faute lourde si la dénonciation de mauvaise foi se double d’une intention de nuire à l’employeur ( Cass. soc., 5 juill. 2018, no 17-17.485 ).

Remarque

Si sa mauvaise foi n’est pas établie, il ne peut être sanctionné, même si les faits dénoncés se sont avérés infondés ( Cass. soc., 10 juin 2015, no 14-13.318, no 1060 FS-P + B  ; Cass. soc., 10 juin 2015, no 13-25.554, no 1058 FS-P + B ). Ne pas avoir mentionné la mauvaise foi du salarié dans la lettre de licenciement n’empêche pas l’employeur de l’alléguer ensuite devant le juge ( Cass. soc., 16 sept. 2020, no 18-26.696, no 699 F-P + B ).

Le passé du harceleur peut être pris en compte, même s’il a déjà été sanctionné et que cette sanction a été amnistiée ( Cass. avis, 21 déc. 2006, no 0060014P ). En revanche, avoir un passé « irréprochable » n’est pas une circonstance atténuante ( Cass. soc., 14 févr. 2024, no 22-23.620 ).

Déclencher une enquête pour établir les faits

Le salarié s’estimant victime de harcèlement doit établir les faits qui permettent d’en présumer l’existence, mais l’employeur peut déclencher une enquête pour en établir la réalité, au titre de son obligation de prévention des risques professionnels ( Cass. soc., 27 nov. 2019, no 18-10.551 ). Si une telle enquête est préférable, il ne semble pas pour autant qu’elle soit obligatoire, dès lors que l’employeur démontre avoir pris d’autres mesures et que les juges les estiment suffisantes ( Cass. soc., 12 juin 2024, no 23-13.975, no 634 FS-B ). L’employeur est libre de choisir comment organiser l’enquête, qui n’a pas à être menée de manière contradictoire, la personne mise en cause pouvant très bien n’être ni entendue ni même informée de son déclenchement ( Cass. soc., 29 juin 2022, no 20-22.220, no 787 FS-B ). Toutefois, il est important que l’enquête reste discrète, impartiale et approfondie. Il n’est pas obligatoire de la mener auprès de tous les collaborateurs du « présumé harceleur » ( Cass. soc., 8 janv. 2020, no 18-20.151  ; Cass. soc., 1er juin 2022, no 20-22.058 ), ni d’y associer les représentants du personnel ( Cass. soc., 1er juin 2022, no 20-22.058 ). Un audit consécutif à des actes présumés de harcèlement n’est pas un moyen de preuve illicite, même si l’auteur n’a pas été informé ni entendu ( Cass. soc., 17 mars 2021, no 18-25.597 ). Tant que l’employeur n’a pas mené d’investigations illicites, les juges peuvent apprécier la valeur probante d’une enquête interne ( Cass. soc., 29 juin 2022, no 21-11.437 ).

Remarque

Attention ! Des courriels dont l’authenticité n’est pas établie ne sont pas recevables ( Cass. soc., 22 mars 2011, no 09-43.307 ).

Protéger la victime et prévenir toute récidive

Soustraire le plaignant à toute situation dangereuse au risque de sanctions

L’employeur doit, sous peine d’engager sa responsabilité, protéger les salariés de tout harcèlement. Lorsqu’il est informé de tels faits, il doit rapidement tout mettre en œuvre pour soustraire le salarié s’en estimant victime à cette situation, au besoin en le retirant de son poste de travail, ou en prononçant une mise à pied conservatoire à l’égard de l’auteur présumé.

Remarque

Il peut aussi, s’il n’a pas d’autres moyens à sa disposition, le renvoyer vers son médecin traitant qui peut l’arrêter en attendant la mise en place de solutions temporaires ou permanentes.

Il a la même obligation en matière de harcèlement sexuel, même si les faits se sont produits hors temps et lieu de travail, dès lors que les salariés concernés travaillent ensemble ( Cass. soc., 2 mai 2024, no 21-14.828 ).

A défaut, le salarié victime peut demander la résiliation judiciaire à ses torts ou faire requalifier sa démission par le juge en licenciement abusif. Il peut aussi demander réparation de son préjudice moral ou corporel pour méconnaissance par l’employeur de son obligation de sécurité et de prévention. Celui-ci peut être condamné même s’il a agi très rapidement pour faire cesser les faits de harcèlement ( Cass. soc., 19 nov. 2014, no 13-17.729 ). Il peut aussi être condamné à réparer les actes de harcèlement proprement dits s’ils lui sont imputables ( Cass. soc., 6 juin 2012, no 10-27.694 ). La prohibition des agissements de harcèlement moral et sexuel est distincte de l’obligation de sécurité et de l’obligation de prévention des risques professionnels : une cour d’appel ne peut écarter le versement de dommages et intérêts pour violation par l’employeur de son obligation de sécurité au motif que le harcèlement n’est pas établi ( Cass. soc., 8 juill. 2020, no 18-24.320 ).

Remarque

L’employeur doit mener toutes les investigations nécessaires au sein de l’entreprise pour obtenir les informations utiles à la prise de mesures de prévention. A défaut, il s’agit d’une « abstention fautive » et un manquement à son obligation de sécurité ( Cass. soc., 29 juin 2011, no 09-70.902 ).

L’employeur risque des poursuites pénales pour méconnaissance de son obligation de sécurité. Les problèmes de santé causés par un harcèlement pouvant être pris en charge au titre des AT/MP, sa faute inexcusable, voire intentionnelle, peut être reconnue.

Ne pas hésiter à recourir au médecin du travail

Le médecin du travail peut être sollicité par la victime mais mieux vaut anticiper. Il peut proposer des solutions à l’employeur (mutation, transformation de poste).

Remarque

Attention ! Une fois le médecin du travail saisi du dossier, l’employeur doit tenir compte de ses propositions et, s’il refuse de leur donner suite, en faire connaître les motifs.

Remplir éventuellement une déclaration d’accident du travail

L’employeur adresse à la CPAM une déclaration d’accident du travail pour les salariés présentant un état de souffrance morale lié au travail, chaque fois qu’il est en mesure de la rattacher à un fait accidentel précis, daté et localisé. A défaut, le salarié peut toujours effectuer une déclaration de maladie professionnelle.

Remarque

Il n’y a pas de tableau de maladie professionnelle pour la souffrance au travail. Le salarié doit donc faire reconnaître sa maladie comme professionnelle.

Médiation : seulement pour le harcèlement moral

L’employeur peut solliciter l’intervention d’un médiateur, mais uniquement pour les cas de harcèlement moral. Un tiers est alors désigné par les parties pour favoriser le règlement du conflit (C. trav., art. L. 1152-6 ).

Le médiateur s’informe de l’état des relations entre les parties et tente de les concilier en leur soumettant des propositions qu’il consigne par écrit dans un procès-verbal en vue de mettre fin au harcèlement. En cas d’échec, il informe les parties des éventuelles sanctions encourues et des garanties procédurales prévues en faveur de la victime.

Enquête de l’inspection du travail

Les agents de l’inspection du travail ont compétence en matière de harcèlement et peuvent réaliser une enquête dans l’entreprise sur signalement du salarié victime. Avant d’intervenir, ils prennent le soin de s’assurer à partir des éléments recueillis que les faits sont bien constitutifs d’un harcèlement. Les agents doivent vérifier que la matérialité des faits peut être établie par des preuves telles que des écrits ou des témoignages avant de débuter toute enquête. Lorsque le harcèlement ne peut être établi, du fait notamment de la difficulté à rassembler les preuves, le procureur de la république est informé ( Circ. DGT 2012/14, 12 nov. 2012 ).

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Questions fréquemment posées

L’employeur informé de faits de harcèlement a-t-il l’obligation de déclencher une enquête ?

Oui. Dans le cadre de son obligation générale de prévention et de protection de la santé et de la sécurité de ses salariés, l’employeur ne peut rester inactif sous peine de se voir reprocher un manquement à ses obligations. Dès lors qu’il est informé de faits de harcèlement, il doit réagir immédiatement : sa première action est donc effectivement de mener une enquête interne. Celle-ci doit être exhaustive et impartiale.

Le salarié accusé de harcèlement doit-il être informé de ce qu’une enquête est menée par l’employeur ?

L’enquête déclenchée par l’employeur informé de faits de harcèlement moral ne relève pas des règles relatives au contrôle de l’activité du salarié et celui-ci n’a donc pas à en être informé.

Comment la victime peut-elle prouver les dommages causés par le harcèlement ?

La définition légale précise que les agissements de harcèlement moral doivent être susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité de la victime, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Il n’est donc pas nécessaire de démontrer la nature et l’étendue du dommage causé. Une dégradation « potentielle » peut donc suffire à établir le harcèlement moral. Bien évidemment, tout élément complémentaire attestant d’une dégradation de l’état de santé du salarié (exemple : certificat médical) est un élément supplémentaire permettant de présumer l’existence d’un harcèlement moral.

Quelle est la responsabilité de l’employeur en matière de harcèlement moral ?

La responsabilité de l’employeur peut être engagée à deux titres : s’il s’est lui-même rendu coupable d’actes de harcèlement moral ou si ces actes ont été commis par un salarié dans le cadre de ses fonctions sur le lieu de travail. Dans ce deuxième cas, il pourra s’exonérer de sa responsabilité s’il a pris toute les mesures propres à faire cesser les agissements de harcèlement et s’il a plus généralement pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des salariés et protéger leur santé physique et morale (actions de prévention, d’information et de formation).

Quelles sanctions peut-on prendre à l’encontre d’un salarié lorsque les faits de harcèlement sont établis ?

Dès lors que les faits sont établis, le salarié auteur de harcèlement moral peut faire l’objet de sanctions disciplinaires (mise à pied, rétrogradation…) ou être licencié pour cause réelle et sérieuse, voire pour faute grave. L’employeur a 2 mois à partir du moment où il a eu connaissance des faits pour sanctionner le salarié.

Lorsqu’une enquête est déclenchée, le délai de 2 mois commence à courir le jour où l’employeur a « pleine connaissance » des faits reprochés au salarié, donc une fois les résultats de l’enquête connus.

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