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19 juin 2025
Lorsqu'une partie de l'enquête est écartée des débats sans justification, et que les faits rapportés ne sont pas corroborés par d'autres éléments, les juges du fonds qui en apprécient souverainement la portée peuvent considérer que celle-ci n'est pas suffisamment probante, y compris si elle n'est pas illicite. Dans ce cas, en l'absence de preuve, le doute profite à l'intéressé.

La Cour de cassation précise les contours de la force probante de l'enquête interne. La réalisation d’une telle enquête par l’employeur est recommandée lorsque des faits de harcèlement sexuel ou moral sont dénoncés dans l'entreprise. Pour autant, la réalisation d’une telle enquête est complexe, et les conditions dans lesquelles elle a été réalisée peuvent conduire le juge à l'écarter des débats s’il l’estime illicite, ou à la considérer comme non probante si celle-ci a un contenu insuffisant et n'est pas corroborée par d'autres éléments de preuve.

En l'espèce un salarié directeur associé est convoqué à un entretien préalable avec mise à pied conservatoire. Il est licencié quelques jours plus tard, au motif que celui-ci a commis des actes de harcèlement sexuel vis à vis d'une autre salariée. Il saisit alors le conseil de prud’hommes en contestation de son licenciement et paiement de diverses sommes. La cour d’appel déclare le licenciement comme dénué de cause réelle et sérieuse et condamne en conséquence l’employeur au paiement d’une indemnité correspondante, au motif notamment que l'enquête interne diligentée ne permettait pas de prouver les griefs avancés par la société au soutien du licenciement. 

Les juges du fond doivent apprécier la valeur probante d'une enquête interne au regard des autres éléments de preuve fournis par les parties

La Cour de cassation rappelle d’abord que ce sont les juges du fonds qui apprécient la portée et la valeur probante d’une enquête interne produite par l’employeur, « au regard le cas échéant des autres éléments de preuve produits par les parties » . Elle insiste sur le fait que cette appréciation des éléments de preuve produits par les parties est souveraine. 

En effet, la valeur probante de l'enquête doit nécessairement être appréciée et discutée dès lors que l'enquête n'est pas illicite, et ce même si elle est imparfaite (Cass. soc., 29 juin 2022, n°21-11.437). Dans le litige de l'arrêt di 29 juin 2022 précité, l'enquête comportait les lacunes suivantes : l'employeur n'avait pas auditionné l'ensemble des salariés témoins, les deux salariés auditionnés l'avaient été ensemble, les comptes rendus d'audition n'étaient pas signés, la durée de l'entretien avec le salarié accusé n'était pas précisée et les représentants du personnel n'avaient pas été saisis. Cependant, aucun de ces manquements ne constituait un acte illicite, la procédure des enquêtes internes n'étant pas régi par la loi. La preuve étant libre en droit du travail, les juges du fond étaient donc tenus de la prendre en compte, au même titre que les autres éléments de preuve.

Remarque

 en effet, les juges du fond doivent pouvoir écarter une preuve des débats lorsque les investigations ont été réalisées de façon illicite. Autrement dit, dans une telle situation, l'enquête interne ne serait tout simplement pas prise en compte ni examinée par les juges pour statuer.  

Or en l'espèce, l'employeur soutenait que l'enquête interne, en l'absence de tout caractère illicite, ne pouvait pas être écartée par les juges du fond. Il reprochait en effet à la cour d'appel d'avoir refusé d'apprécier la valeur probante de l'enquête. La Cour de cassation n'adhère pas à cette analyse, et considère que la Cour d'appel n'avait pas écarté l'enquête interne des débats : elle en a au contraire évalué la valeur probante, et constaté que celle-ci, prise parmi les autres éléments de preuve, ne permettait pas d'établir l'existence d'un harcèlement sexuel commis par le salarié licencié.

Mais le juge reste libre de déterminer si les éléments de l'enquête sont suffisamment probants

La Cour de cassation constate que la cour d'appel a relevé les éléments suivants : 

  • le compte rendu avait été partiellement tronqué concernant certains faits décrits par l’une des salariées interrogées ;
  • un des témoignages était manquant dans le compte rendu ;
  • aucune autre personne n’avait été personnellement témoin des faits relatés par l’un des salariés, dont le compte rendu d’entretien comportait des passages tronqués, le nom des personnes citées étant caviardé, sans que ces faits ne soient corroborés par d’autres éléments. Les faits rapportés par ce témoin n’étaient pas confirmés par d’autres salariés;
  • l’intégralité de l’enquête n’était pas versée aux débats, seulement cinq comptes rendus sur quatorze ayant été produits sans que la société ne le justifie ;
  • les conclusions de l’enquête n’étaient pas à même de suppléer cette absence de production ;
  • les conditions de réalisation de l’enquête étaient critiquées de manière similaire par deux témoins.

Il en résulte que l'enquête produite présentait des lacunes. Les éléments et témoignages qu'elles contenaient étaient insuffisants à démontrer en eux-mêmes l'existence d'actes de harcèlement sexuel, et n'étaient corroborés par aucun autre élément. La cour d'appel, en constatant cela, avait donc bel et bien discuté et apprécié la valeur probante de l'enquête au regard des autres éléments de preuve produits, comme elle y était obligée. En revanche, cela ne signifiait pas qu'elle devait nécessairement en conclure à l'existence d'un harcèlement, les juges du fond restant libres dans leur appréciation des éléments qui leur sont soumis.

Remarque

dans l'affaire précitée (Cass. soc., 29 juin 2022, n°21-11.437), l'enquête, si elle avait été imparfaitement menée, avait cependant mis en lumière des éléments suffisamment probants pour convaincre le juge de l'existence d'un harcèlement moral. 

La nécessité de justifier la production incomplète des résultats de l'enquête

Lors des débats, l'intégralité des éléments découverts durant l'enquête n'avait pas été versée et le rapport avait volontairement été tronqué par l'employeur. La société soutenait que cette production partielle s'expliquait par le souhait de certains témoins de préserver leur anonymat. Cet argument ne parvient cependant pas à convaincre la cour d’appel : celle-ci a considéré que l’employeur aurait dû, dans ce cas, produire les courriels adressés aux témoins pour leur demander leur accord, ainsi que les refus. La société n’expliquait pas non plus en quoi il n'était pas possible d'anonymiser le compte rendu. Cette absence de justification entretient le doute chez les juges du fonds : il ne pouvait être exclu que les comptes rendus tronqués l'aient été en raison de leur caractère favorable au salarié accusé de harcèlement. C’est-à-dire pour masquer volontairement une partie des faits découverts au fil des investigations, dans le but d'influencer leur décision. Et ce doute, comme le rappelle la Cour de cassation, doit profiter au salarié contre lequel les griefs sont dirigés.

La réalisation d’une enquête interne et du rapport qui en découle peut représenter une difficulté majeure pour l’employeur qui est confronté à la dénonciation de faits de harcèlement, comme l’illustre cet arrêt. Un manque de rigueur dans la réalisation des investigations et au moment de la production des résultats de l'enquête durant le procès peut affecter sa valeur probatoire. Pour guider les employeurs, une décision-cadre rendue par la Défenseure des droits édicte des recommandations méthodologiques détaillées en la matière.

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Claudiane JAFFRE
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