En quoi consiste la résiliation judiciaire du contrat de travail ?
Une rupture prononcée (ou pas) par le juge à la demande du salarié
La résiliation judiciaire permet à un salarié invoquant des manquements de l’employeur à des obligations considérées comme essentielles de demander en justice la rupture de son contrat de travail ; la demande doit être portée devant le conseil de prud’hommes. Le juge doit alors examiner l’ensemble des griefs invoqués au soutien de celle-ci, quelle que soit leur ancienneté ( Cass. soc., 30 juin 2021, no 19-18.533 ).
Remarque
Le juge des référés ne peut pas prononcer une telle résiliation ( Cass. soc., 13 mai 2003, no 01-17.452 ).
Tant que le juge n’a pas statué, le contrat continue à produire effet.
Remarque
C’est ce qui différencie la résiliation judiciaire de la prise d’acte : dans le cas de la résiliation, le salarié demande au juge de prononcer la rupture du contrat (aux torts de l’employeur) : si le juge refuse, le contrat reste « en vie ». Dans le cas de la prise d’acte, le contrat est rompu dès que le salarié prend acte. Ce n’est que dans un deuxième temps que le juge statue sur la qualification à donner à la rupture : s’il estime que la prise d’acte n’est pas justifiée, le salarié sera considéré comme démissionnaire. De ce point de vue, la prise d’acte est plus risquée pour le salarié.
Si le juge estime que la demande de résiliation qui lui est présentée n’est pas justifiée, le contrat se poursuit aux conditions antérieures et le salarié n’a droit à aucune indemnité.
Circonstances pouvant justifier la résiliation
La gravité du manquement invoqué par le salarié est, en tout état de cause, laissée à l’appréciation du juge. Peuvent être considérés comme des manquements suffisamment graves : le défaut de paiement du salaire ou des heures supplémentaires (mais pas forcément un simple retard de paiement), une modification du mode de rémunération opérée sans l’accord du salarié (si l’impact sur sa rémunération est important), une atteinte aux droits du salarié en ce qui concerne l’organisation de son temps de travail, son temps de repos et les conséquences inévitables que cette situation fait peser sur sa vie personnelle – ici, une convention de forfait jours ne respectant pas les garanties exigées ( Cass. soc., 16 oct. 2019, no 18-16.539 ), des manquements aux règles d’hygiène et de sécurité ou encore des faits de harcèlement. Le juge évalue donc les conséquences du manquement constaté sur l’exécution du contrat, tous les manquements n’empêchant pas le contrat de se poursuivre.
Remarque
La Cour de cassation a jugé qu’une modification unilatérale ne touchant qu’une faible part de la rémunération n’empêchait pas la poursuite du contrat et n’en justifiait pas la résiliation ( Cass. soc., 12 juin 2014, no 12-29.063 ). Mais cela ne signifie pas que l’employeur peut librement et unilatéralement modifier la rémunération du salarié ! Si cela ne justifie pas la résiliation du contrat, il n’en demeure pas moins que l’employeur a manqué à ses obligations et pourra être contraint de dédommager le salarié ou de revenir à la situation antérieure. La même solution est retenue pour un salarié dont la rémunération avait unilatéralement été modifiée par l’employeur, sans que cela n’ait d’influence défavorable sur le montant de celle-ci ( Cass. soc., 12 juin 2014, no 13-11.448 ). La seule signature d’une convention de forfait en jours nulle ne justifie pas, à elle seule, la résiliation ( Cass. soc., 2 mars 2022, no 20-11.092 ).
Effets de la résiliation
La résiliation du contrat prononcée par le juge équivaut à un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou, dans certains cas, à un licenciement nul. Le salarié peut de ce fait prétendre à plusieurs indemnités : indemnité de rupture, indemnité de préavis et dommages et intérêts pour licenciement abusif, ces dommages et intérêts devant, pour les résiliations prenant effet à compter du 24 septembre 2017, être fixés par le juge en application du barème obligatoire prévu à l’article L. 1235-3 du code du travail ( Cass. soc., 16 févr. 2022, no 20-16.184 ), ou indemnité pour licenciement nul.
Remarque
La résiliation prononcée pour des faits de harcèlement moral ou sexuel produit les effets d’un licenciement nul, dont les conséquences financières sont plus lourdes pour l’employeur qu’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ( Cass. soc., 20 févr. 2013, no 11-26.560 ; Cass. soc., 15 févr. 2023, no 21-23.919 ). Le salarié a notamment droit à une indemnité d’au moins 6 mois de salaire destinée à réparer l’intégralité de son préjudice. En outre, lorsque le juge prononce la résiliation judiciaire du contrat d’une salariée déclarée inapte suite à un accident du travail, celle-ci produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et l’indemnité spéciale de licenciement est due ( Cass. soc., 20 févr. 2019, no 17-17.744 ; Cass. soc., 15 sept. 2021, no 19-24.498 ).
Date de la résiliation
Le contrat est considéré rompu à la date de la décision judiciaire (et non à la date de la saisine du juge) ( Cass. soc., 20 févr. 2019, no 17-17.487 ), dès lors qu’à cette date, il n’a pas déjà été rompu et que le salarié est toujours au service de l’employeur ( Cass. soc., 4 sept. 2019, no 18-10.541 ). Cela vaut également lorsque la résiliation judiciaire porte sur un CDD. Dans ce cadre, attention à ne pas confondre résiliation judiciaire et rupture anticipée aux torts de l’employeur ( Cass. soc., 22 juin 2022, no 20-21.411 ). Si l’employeur fait appel de la décision prud’homale confirmant la résiliation et que cette décision est confirmée en appel, le contrat est réputé rompu à la date du jugement prud’homal, sauf s’il s’avère que le salarié est resté au service de son employeur après ce jugement ( Cass. soc., 21 janv. 2014, no 12-28.237 ).
Remarque
Attention ! C’est aussi à la date du jugement que les juges apprécieront la gravité des manquements reprochés à l’employeur. Si celui-ci, fût-ce in extremis, les a régularisés en totalité à la date du jugement, la demande de résiliation pourra être rejetée ( Cass. soc., 29 janv. 2014, no 12-24.951 ).
Si le contrat a été rompu avant que le juge ne se soit prononcé sur la demande de résiliation, la résiliation prend effet au jour de la rupture ( Cass. soc., 15 mai 2007, no 04-43.663 ), mais seulement si l’employeur démontre qu’à la date de la décision prononçant la résiliation judiciaire, le salarié ne se tenait plus à sa disposition ( Cass. soc., 28 sept. 2022, no 21-18.122 ). Si le salarié décède en cours d’instance, la résiliation prend effet au jour du décès ( Cass. soc., 12 févr. 2014, no 12-28.571 ).
Coexistence de plusieurs actions
Résiliation et licenciement
Si l’employeur décide de déclencher une procédure de licenciement pour des faits différents de ceux invoqués par le salarié à l’appui de sa demande de résiliation (inaptitude, faute grave…), le juge doit d’abord se prononcer sur la résiliation : s’il l’estime justifiée, le contrat est rompu aux torts de l’employeur. Dans le cas contraire, il doit se prononcer sur le licenciement. Les manquements invoqués par le salarié sont appréciés par les juges au jour où ils statuent ( Cass. soc., 29 janv. 2014, no 12-24.951 ). En cas de demande de résiliation suivie d’un licenciement, le juge peut tenir compte des régularisations opérées par l’employeur, mais uniquement jusqu’à la date du licenciement, pour statuer sur la demande du salarié ( Cass. soc., 2 mars 2022, no 20-14.099 ).
Une demande de résiliation postérieure à la notification du licenciement est sans objet.
Remarque
Notons que lorsqu’un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail et la nullité de son licenciement au cours d’une même instance, le juge, qui constate la nullité du licenciement, ne peut faire droit à la demande de réintégration ( Cass. soc., 27 janv. 2021, no 19-21.200 ).
Résiliation judiciaire et rupture conventionnelle
Un salarié ayant demandé la résiliation judiciaire de son contrat peut conclure une rupture conventionnelle avec son employeur. La demande de résiliation devient alors sans objet, sauf si le salarié se rétracte dans les 15 jours de la signature de la rupture conventionnelle ou en conteste l’homologation dans le délai d’un an.
Résiliation judiciaire et démission
Un salarié ayant demandé la résiliation judiciaire de son contrat peut démissionner. Sa demande de résiliation devient alors sans objet. Il peut ensuite demander réparation, voire demander la requalification de sa démission en prise d’acte. Le juge examinera les manquements invoqués à l’appui de la demande et ceux intervenus après ( Cass. soc., 30 avr. 2014, no 13-10.772 ).
Résiliation judiciaire et adhésion à un CSP
Le contrat étant rompu par l’adhésion du salarié au contrat de sécurisation professionnelle, la demande postérieure du salarié de résiliation judiciaire de son contrat est sans objet ( Cass. soc., 20 oct. 2021, no 19-24.596 ).
Résiliation demandée par un élu du personnel
Lorsqu’un élu du personnel demande la résiliation de son contrat, le juge doit apprécier les manquements reprochés à l’employeur compte tenu de l’ensemble des règles applicables au contrat et des exigences propres au mandat dont est investi le salarié ( Cass. soc., 27 mai 2009, no 08-42.555 ). Un élu du personnel obtenant la résiliation judiciaire de son contrat ne peut ensuite demander à être réintégré même si la rupture produit les effets d’un licenciement nul pour, par exemple, violation de son statut protecteur ( Cass. soc., 3 oct. 2018, no 16-19.836 ). Il peut prétendre à l’indemnité pour violation du statut protecteur, même s’il aurait été susceptible de partir à la retraite avant l’expiration de sa période de protection ( Cass. soc., 25 sept. 2019, no 18-15.952 ). Les prud’hommes ne peuvent se prononcer sur la demande de résiliation judiciaire d’un salarié protégé licencié sur autorisation, même si cette saisine est antérieure à la rupture. Il en va de même si l’autorisation de licenciement a été annulée, dès lors que le salarié n’a pas demandé sa réintégration ( Cass. soc., 10 nov. 2021, no 20-12.604 ).