La notion de « prise d’acte »
Prendre acte de la rupture du contrat consiste, pour le salarié, à quitter l’entreprise et à rompre son contrat de travail tout en reprochant à son employeur d’avoir provoqué son départ. C’est un mode de rupture alternatif au licenciement et à la démission, dont la jurisprudence a construit le régime juridique. Le salarié doit présenter sa demande au bureau de jugement du conseil de prud’hommes, qui a un mois pour statuer à compter de sa saisine.
La prise d’acte n’est soumise à aucun formalisme particulier
La prise d’acte n’est soumise à aucun formalisme. Elle n’a pas à être précédée de la mise en demeure prévue par l’article 1226 du code civil ( Cass. soc. avis, 3 avr. 2019, no 19-70.001 ). Elle peut être présentée par l’avocat d’un salarié au nom de celui-ci ( Cass. soc., 4 avr. 2007, no 05-42.847 ). Dans ce cas, l’avocat doit l’adresser directement à l’employeur, et non au conseil de prud’hommes, sinon elle sera requalifiée en « demande de résiliation judiciaire du contrat aux torts de l’employeur » ( Cass. soc., 16 mai 2012, no 10-15.238 ).
Remarque
La prise d’acte rompt immédiatement le contrat alors que la demande de résiliation nécessite une décision du juge : le contrat est rompu à la date du jugement.
La prise d’acte entraînant la cessation du contrat à l’initiative du salarié, l’employeur n’est pas tenu de délivrer une lettre de licenciement ( Cass. soc., 3 févr. 2010, no 08-40.338 ).
Elle produit les effets d’un licenciement injustifié ou nul, d’une démission ou d’un départ volontaire à la retraite
Une prise d’acte justifiée produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou, dans certains cas, d’un licenciement nul. Si elle ne l’est pas, elle produit ceux d’une démission ou d’un départ volontaire à la retraite. C’est au juge de déterminer si les faits invoqués justifient ou non la rupture et d’en déduire les effets qu’elle produit ( Cass. soc., 25 juin 2003, no 01-42.335 ; Cass. soc., 15 mai 2013, no 11-26.784 ).
Remarque
S’il s’agit d’un salarié protégé, la prise d’acte justifiée produit les effets d’un licenciement nul ( Cass. soc., 29 mai 2013, no 12-15.974 ; Cass. soc., 20 juin 2018, no 16-25.505 ).
Pour que la prise d’acte soit justifiée, les manquements reprochés à l’employeur doivent empêcher la poursuite du contrat de travail, donc être « suffisamment graves » ( Cass. soc., 30 mars 2010, no 08-44.236 ). Si un doute subsiste, il profite à l’employeur. Un manquement grave peut être établi sans pour autant empêcher le contrat de se poursuivre : la prise d’acte pourra alors être jugée non justifiée ( Cass. soc., 11 mars 2015, no 13-18.603 ). L’ancienneté des manquements ne permet pas toujours au juge d’écarter d’office le caractère de gravité de ces manquements ( Cass. soc., 28 sept. 2022, no 21-12.546 ; Cass. soc., 27 sept. 2023, no 21-21.085 ).
Remarque
L’écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail ne fixe pas les limites du litige. Le juge doit examiner les manquements que le salarié invoque devant lui, même non mentionnés dans cet écrit ( Cass. soc., 29 juin 2005, no 03-42.804 ). Mais le salarié ne peut invoquer devant le juge des éléments dont il n’a eu connaissance qu’après la prise d’acte ( Cass. soc., 9 oct. 2013, no 11-24.457 ).
Les actes de l’employeur postérieurs à la prise d’acte sont sans incidence
Dès lors que le salarié a pris acte de la rupture de son contrat de travail, la rupture prend effet immédiatement. Peu importe la lettre envoyée postérieurement par l’employeur pour lui imputer cette rupture ( Cass. soc., 7 avr. 2004, no 02-42.917 ) ou la procédure enclenchée postérieurement à la prise d’acte par le salarié ( Cass. soc., 19 janv. 2005, no 02-41.113 ). Le licenciement prononcé après la prise d’acte est « non avenu » ( Cass. soc., 19 janv. 2005, no 03-45.018 ). Le comportement du salarié après sa prise d’acte est sans incidence sur la rupture. La prise d’acte rompant immédiatement le contrat de travail, elle ne peut être rétractée par la suite ( Cass. soc., 14 oct. 2009, no 08-42.878 ; Cass. soc., 21 nov. 2012, no 10-26.611 ). Une prise d’acte justifiée produit les effets d’un licenciement nul lorsqu’elle intervient entre une demande d’autorisation de licenciement et le licenciement proprement dit ( Cass. soc., 12 nov. 2015, no 14-16.369 ).
Ce à quoi peut prétendre le salarié s’il obtient gain de cause
Si les griefs invoqués sont fondés, la prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (ou nul dans certains cas). L’employeur est alors condamné à verser au salarié :
- l’indemnité compensatrice de préavis ( Cass. soc., 2 juin 2010, no 09-40.215 ) et les congés payés afférents ( Cass. soc., 12 juill. 2010, no 08-45.584 ), même si le salarié a été dispensé, à sa demande, d’exécuter un préavis ( Cass. soc., 20 janv. 2010, no 08-43.471 ), a été en arrêt maladie pendant la moitié du préavis ( Cass. soc., 20 janv. 2010, no 08-43.476 ) ou était en arrêt maladie au moment de la rupture ( Cass. soc., 12 janv. 2011, no 09-41.159 ). Cette indemnité n’est en revanche pas due lorsque le salarié a exécuté son préavis avant d’obtenir la requalification de sa démission en prise d’acte ( Cass. soc., 21 janv. 2015, no 13-16.896 ) ;
Remarque
L’indemnité compensatrice de préavis due au salarié dont la prise d’acte produit les effets d’un licenciement doit être calculée en se basant sur la rémunération que le salarié aurait touchée s’il avait travaillé pendant la période du préavis ( Cass. soc., 17 mars 2010, no 08-44.512 ).
- le cas échéant, une indemnité de licenciement, légale ou conventionnelle ( Cass. soc., 16 mars 2011, no 09-67.836 ), sachant que si le licenciement est abusif, l’indemnité conventionnelle est due même si la convention collective n’en prévoit l’octroi que dans des cas limités de licenciement ( Cass. soc., 28 juin 2005, no 03-44.819 ) ;
- des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, fixés par le juge en fonction du barème obligatoire prévu à l’article L. 1235-3 du code du travail ;
Remarque
Si la prise d’acte produit les effets non pas d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse mais d’un licenciement nul (en cas de prise d’acte justifiée par des actes de harcèlement ou discriminatoires par exemple), le salarié pourra prétendre à des dommages et intérêts représentant au minimum 6 mois de salaire. En effet, dans cette hypothèse, la loi n° 2018-217 de ratification des ordonnances « Macron » du 29 mars 2018 (JO, 31 mars) exclut l’application du barème d’indemnisation du licenciement abusif.
- éventuellement, des dommages-intérêts pour préjudice distinct si les circonstances qui ont contraint le salarié à prendre acte de la rupture caractérisent un abus de l’employeur (par exemple des mesures vexatoires) ( Cass. soc., 16 mars 2010, no 08-44.094 ) ;
- des intérêts, au taux légal, qui courent à compter de l’exigibilité des sommes sur lesquelles ils portent, c’est-à-dire à compter de la prise d’acte ( Cass. soc., 3 févr. 2010, no 07-42.144 ).
En revanche, cette rupture n’ouvre pas droit à l’indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement car il ne s’agit pas d’un licenciement ( Cass. soc., 23 mars 2011, no 09-42.092 ).
En plus des indemnités ci-dessus, le salarié protégé peut obtenir une indemnité forfaitaire pour violation de son statut protecteur ( Cass. soc., 12 mars 2014, no 12-20.108 ). Mais même si la prise d’acte produit dans son cas les effets d’un licenciement nul, il ne peut demander à être réintégré ( Cass. soc., 29 mai 2013, no 12-15.974 ).
Ce à quoi s’expose le salarié si sa prise d’acte est injustifiée
Si les griefs invoqués par le salarié sont infondés, la prise d’acte produit les effets d’une démission. Dans ce cas, le salarié est redevable de l’indemnité correspondant au préavis qu’il n’a pas exécuté, si l’employeur en réclame le paiement, même en l’absence de tout préjudice ( Cass. soc., 8 juin 2011, no 09-43.208 ). Il en va de même si les manquements invoqués ne sont pas imputables à l’employeur ( Cass. soc., 14 nov. 2018, no 17-11.448 ). Le salarié ne peut pas non plus contester le paiement de cette indemnité au motif que l’employeur ne lui a pas expressément demandé d’effectuer son préavis. L’éventuelle dispense de préavis doit être sans équivoque pour libérer le salarié ( Cass. soc., 23 janv. 2019, no 17-22.394 ).
Remarque
Mais cette indemnité accordée à l’employeur n’ouvre pas droit à son profit à une indemnité correspondant aux congés payés afférents ( Cass. soc., 22 nov. 2017, no 16-12.524 ; Cass. soc., 14 févr. 2018, no 16-15.155 ).
Le salarié peut aussi être condamné à des dommages-intérêts si la prise d’acte s’est accompagnée d’un comportement déloyal créant un préjudice pour l’employeur, tel qu’un détournement de clientèle ( Cass. soc., 17 févr. 2004, no 01-42.427 ).
Remarque
Si le salarié n’est pas tenu d’effectuer un préavis ( Cass. soc., 26 mai 2010, no 08-70.253 ), la prise d’acte n’exclut toutefois pas la possibilité pour le salarié d’en exécuter un ( Cass. soc., 2 juin 2010, no 09-40.215 ). Là se trouve peut-être la solution qui permettrait aux salariés prenant acte de la rupture de leur contrat de minimiser les risques financiers encourus…
Délai de renonciation à la clause de non-concurrence
C’est la date de réception par l’employeur de la lettre de prise d’acte de la rupture par le salarié qui constitue le point de départ du délai de dénonciation de la clause de non-concurrence ( Cass. soc., 8 juin 2005, no 03-43.321 ). En l’absence de fixation par le contrat ou la convention collective des modalités de renonciation au bénéfice de cette clause, l’employeur doit notifier dans un délai raisonnable qu’il renonce à son application. Ce délai court à compter de la date à laquelle l’employeur a eu connaissance de la prise d’acte. Par exemple, la décision de l’employeur de renoncer à la clause de non-concurrence un mois après la réception de la notification de la prise d’acte de la rupture est intervenue dans un délai raisonnable ( Cass. soc., 13 juin 2007, no 04-42.740 ).