Bien qualifier la faute
Faute grave
La faute grave est d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et justifie son départ immédiat, c’est-à-dire dès le licenciement notifié.
Remarque
L’employeur licenciant un salarié pour faute grave tout en lui permettant d’effectuer son préavis, ou après lui avoir proposé une mutation risque de voir la faute requalifiée par le juge.
La faute grave peut aussi résulter de plusieurs actes (ou omissions) qui, pris isolément, ne sont pas graves mais le deviennent par leur accumulation ou leur répétition ( Cass. soc., 17 avr. 2019, no 18-10.632 ).
Faute lourde
La faute lourde est d’une exceptionnelle gravité et manifeste l’intention de nuire de son auteur. C’est bien l’intention de nuire qui la caractérise et sera appréciée par les juges saisis d’un éventuel litige.
Remarque
Cette appréciation est extrêmement délicate car il ne suffit pas que l’acte commis soit préjudiciable à l’entreprise. Les juges ont par exemple considéré qu’un salarié ayant détourné 60 000€, revenant normalement à son employeur, n’avait pas commis de faute lourde. Si ce détournement avait indéniablement porté préjudice à l’employeur, il n’était pas démontré que le salarié l’avait fait dans le but de lui nuire ( Cass. soc., 22 oct. 2015, no 14-11.291 ).
Compte tenu de ces critères d’appréciation assez restrictifs, il peut être préférable pour l’employeur de s’en tenir à une faute grave, même s’il estime avoir des arguments solides en faveur de la faute lourde.
Tenir compte des circonstances atténuantes ou aggravantes
C’est à l’employeur de déterminer le degré de gravité de la faute, sous le contrôle du juge. Pour être le plus objectif possible, il doit aussi tenir compte du contexte, ce qui, selon la faute commise, agira en faveur (ex. : ancienneté importante et absence d’antécédents disciplinaires) ou en défaveur (ex. : harcèlement moral ou propos sexistes d’un manager censé donner l’exemple) du salarié.
Remarque
Il a toutefois été jugé que l’ancienneté d’un salarié licencié en raison de ses pratiques managériales brutales n’était pas une circonstance atténuante ( Cass. soc., 8 févr. 2023, no 21-11.535 ). Même solution pour une salariée ayant effectué une longue et « belle » carrière dans l’entreprise, licenciée pour harcèlement moral à l’encontre de certains collègues ( Cass. soc., 14 févr. 2024, no 22-23.620 ).
Les faits doivent être imputables au salarié
Le licenciement ne peut se fonder que sur des faits personnellement imputables au salarié et pas sur des agissements de tiers. Les injures et menaces proférées par la sœur d’une salariée ne peuvent ainsi justifier le licenciement de celle-ci, même si elle a assisté à la scène ( Cass. soc., 21 mars 2000, no 98-40.130 ).
Remarque
En revanche, le licenciement peut être justifié si le salarié a incité ou provoqué le comportement fautif d’autres personnes. A ainsi été jugé justifié le licenciement d’une salariée ayant incité son mari à commettre des actes de violence dans l’entreprise ( Cass. soc., 2 mars 2017, no 15-15.769 ).
Risque de requalification par le juge
Le juge saisi d’un éventuel litige peut « revoir » le niveau de gravité de la faute au regard des éléments présentés par l’employeur, mais seulement dans un sens plus favorable au salarié : il peut donc requalifier une faute lourde en faute grave, ou une faute grave en faute simple. L’inverse n’est pas possible : il ne peut « aggraver » la qualification retenue par l’employeur en requalifiant par exemple une faute simple en faute grave ( Cass. soc., 16 sept. 2020, no 19-10.583 ).
Remarque
Il ne peut pas non plus changer la nature du licenciement, en requalifiant par exemple un licenciement pour motif disciplinaire en licenciement pour motif non-disciplinaire (ex. : insuffisance professionnelle).
Engager la procédure de licenciement dans un « délai restreint »
En principe, l’employeur doit déclencher la procédure disciplinaire dans les 2 mois du jour où il a eu connaissance des faits fautifs mais, s’agissant de la faute grave (et, a fortiori, de la faute lourde) qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, sa vitesse de réaction doit être proportionnelle à la gravité de la faute qu’il invoque. Il doit donc agir dans un « délai restreint » ( Cass. soc., 22 janv. 2020, no 18-18.530 ), laissé à l’appréciation des juges. S’il tarde à agir, même en restant dans le délai de 2 mois, la qualification de faute grave ou lourde pourra être remise en cause.
Remarque
Laisser le salarié travailler durant un mois après la connaissance des faits fautifs est incompatible avec la qualification de faute grave ( Cass. soc., 23 oct. 2012, no 11-23.861 ). De même pour un employeur attendant 25 jours pour engager une procédure de licenciement pour faute grave ( Cass. soc., 20 mars 2024, no 23-13.876 ).
Si des vérifications sont nécessaires pour établir les faits, l’employeur peut immédiatement mettre à pied le salarié à titre conservatoire afin de mener une enquête interne. Le délai de prescription pour agir ne commencera à courir qu’à l’issue de l’enquête. Selon les circonstances (absence prolongée du salarié par exemple), le juge admet que l’employeur attende pour engager la procédure disciplinaire, sans que cela ne remette en cause la faute grave ( Cass. soc., 9 mars 2022, no 20-20.872, no 274 F-B ; Cass. soc., 7 déc. 2022, no 21-14.484 ). Dans cette affaire, l’employeur avait attendu plus d’un mois avant d’engager la procédure.
Notifier le licenciement
La lettre notifiant le licenciement au salarié ne doit pas lui être envoyée plus d’un mois après l’entretien mais il ne serait pas cohérent d’invoquer une faute grave ou lourde et tarder à notifier la décision après l’entretien. L’employeur doit évidemment respecter le délai minimal de 2 jours ouvrables suivant l’entretien mais une fois celui-ci écoulé, il a tout intérêt à notifier le licenciement sans attendre.
Remarque
Bien souvent, le salarié aura été mis à pied à titre conservatoire jusqu’à la notification du licenciement. La mise à pied conservatoire n’est cependant pas un passage obligé pour pouvoir licencier pour faute grave ( Cass. soc., 9 févr. 2022, no 20-17.140 ; Cass. soc., 7 déc. 2022, no 21-14.484 ; Cass. soc., 2 mai 2024, no 22-13.869 ).
Conséquences de la qualification de faute grave ou lourde
Rupture immédiate du contrat, sans indemnité de rupture
La faute grave ou lourde permet de congédier immédiatement le salarié avec effet immédiat, sans avoir à lui verser d’indemnité de préavis ni de licenciement.
Remarque
Attention à vérifier les dispositions conventionnelles ou contractuelles applicables : si le contrat de travail prévoit par exemple qu’un préavis sera effectué par le salarié sans distinguer selon le motif de rupture, l’employeur devra le respecter et lui verser l’indemnité compensatrice correspondante (en revanche, la qualification de faute grave justifiera qu’il le dispense d’exécuter ce préavis).
Certains éléments de salaire restent dus
D’autres éléments de salaire restent dus au salarié, comme l’indemnité compensatrice de congés payés ou de RTT, ou la contrepartie financière d’une éventuelle clause de non-concurrence prévue par le contrat de travail.
Remarque
La contrepartie financière étant une condition de validité de la clause de non-concurrence, elle ne peut être subordonnée à l’absence de faute grave ou lourde ( Cass. soc., 10 déc. 2008, no 06-45.544 ).
Si le salarié bénéficie d’une garantie de rémunération variable, il ne peut pas non plus en être privé, sans quoi cela constituerait une sanction pécuniaire prohibée ( Cass. soc., 13 oct. 2015, no 14-14.440 ). Les sommes issues de l’intéressement et de la participation lui restent également dues.
La faute lourde peut engager la responsabilité du salarié
Seule la faute lourde peut engager la responsabilité pécuniaire du salarié. L’employeur peut lui demander en justice des dommages et intérêts, pour compenser le préjudice subi, sachant que le montant de cette réparation ne peut être supérieur au préjudice réellement subi.
Remarque
Quelle que soit la gravité de la faute, l’employeur peut agir pour obtenir la restitution de biens ou de sommes d’argent volés par le salarié. Cette restitution est différente de l’action en responsabilité engagée en matière de faute lourde, qui suppose une intention de nuire et peut justifier un droit à réparation ( Cass. soc., 19 nov. 2002, no 00-46.108 ; Cass. soc., 14 juin 2023, no 21-23.031 ).
Cas du licenciement justifié mais vexatoire
Même si les faits commis par le salarié justifient son licenciement immédiat, l’employeur doit s’en tenir aux faits et à la procédure. Un salarié licencié dans des conditions vexatoires subit un préjudice dont il peut demander réparation, même si le licenciement est par ailleurs justifié. Citons le cas d’un serveur de bar licencié pour faute grave, dont l’employeur avait répété à qui voulait l’entendre qu’il était un « drogué » et un « voleur ». La Cour de cassation a estimé que ces propos avaient causé au salarié un préjudice distinct de celui découlant de la perte de son emploi ( Cass. soc., 16 déc. 2020, no 18-23.966 ).