Fiche thématique
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8 mars 2023
Le droit de grève est un droit à valeur constitutionnelle, qui consiste dans la cessation collective et concertée du travail en vue d'appuyer des revendications professionnelles dont l'employeur a eu connaissance.

Sommaire

La grève est un droit fondamental des travailleurs, reconnu par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, alinéa 7 : « Le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ». Néanmoins, cet alinéa renvoie au législateur le soin de définir le « cadre » de l'exercice légal du droit de grève. Le droit de grève est également protégé par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (art. 28).

Le droit de grève est un moyen d'expression et de défense essentiel pour les travailleurs. Il vise à créer un rapport de force avec l'employeur ou les pouvoirs publics. En France, la grève n'est pas nécessairement cantonnée à l'entreprise et peut être nationale.

La qualification d'un mouvement collectif en grève est lourde d'enjeux. En application de l'article L. 2511-1 du code du travail, l'exercice du droit de grève emporte suspension du contrat de travail et n'entraîne pas la rupture de ce dernier (depuis la loi du 11 févr. 1950). Les salariés ne sont plus tenus de fournir leur travail, mais en contrepartie ils ne sont plus rémunérés. Un tel régime vise à protéger le salarié dans l'exercice de son droit de grève. Au contraire, si le mouvement n'est pas qualifié de grève, le contrat n'est pas suspendu et l'employeur conserve tous ses pouvoirs, y compris disciplinaire.

Qu'est-ce qu'une grève ?

En France, ni le législateur ni le constituant n'ont pris la peine de définir la grève. Il est donc revenu au juge d'en déterminer les critères de qualification. Il en ressort que la grève « consiste dans la cessation collective et concertée du travail, à l'appui de revendications ». Trois critères doivent donc être cumulativement remplis.

Cessation complète du travail

La grève suppose un arrêt total du travail. La durée de cet arrêt relève de la décision des salariés grévistes : une grève peut durer plusieurs mois comme quelques minutes. Un salarié ne peut faire grève pendant une pause, car durant cette période il n'effectue plus de prestation de travail.

Une grève dite « perlée », au cours de laquelle les salariés, sans cesser leur travail, exécutent sciemment de manière défectueuse leur travail, ne constitue pas une grève au sens juridique. En revanche, les grèves de « débrayages » ou « tournantes », qui consistent en un arrêt du travail tour à tour par chacun des services de l'entreprise, doivent être qualifiées de grèves. Néanmoins, de telles pratiques pouvant particulièrement affecter la production de l'entreprise, les juges doivent considérer que ce mouvement a dégénéré en abus s'il désorganise l'entreprise, dans son ensemble.

Cessation collective et concertée du travail

La grève est un droit individuel exercé collectivement. Il est donc nécessaire que le mouvement compte au moins deux salariés. La jurisprudence n'impose pas que le mouvement soit majoritaire.

Par exception, un seul salarié peut faire grève lorsqu'il est l'unique salarié de l'entreprise.

Ce principe ne s'applique toutefois pas concernant les entreprises gérant un service public compte tenu de l'existence d'un préavis mentionnant l'heure de début et de l'heure de fin de l'arrêt de travail. Dans le cadre de ce préavis, la cessation de travail d'un salarié pour appuyer des revendications professionnelles constitue une grève, peu important qu'il soit le seul à s'être déclaré gréviste (Soc. 21 avr. 2022, no 20-18.402 B).

L'existence des revendications

Revendications professionnelles. Depuis l'arrêt du 2 juin 1992, la chambre sociale ne contrôle plus la légitimité des revendications des salariés grévistes. Dorénavant, les juges contrôlent seulement la nature professionnelle des revendications, qui se distinguent des revendications politiques. Toutefois, des revendications professionnelles peuvent avoir des implications politiques.

L'employeur doit avoir connaissance des revendications au moment du commencement de la grève. Il n'est pas nécessaire d'attendre un rejet de sa part.

Ne constitue pas une revendication professionnelle, le mouvement de solidarité en soutien à un salarié de l'entreprise. Toutefois, un tel mouvement sera qualifié de grève si la solidarité s'accompagne de revendications professionnelles autres.

La jurisprudence refuse également de qualifier de grève les mouvements collectifs « d'autosatisfaction », qui consistent à faire « correspondre » l'arrêt du travail, qui constitue l'acte matériel de la grève, avec l'objet de leur revendication. Ce faisant, la cessation complète du travail concrétise l'application de leur revendication : par exemple, les salariés qui refusent de travailler le samedi font grève tous les samedis, ce qui aboutit – en fait – à la mise en œuvre de leur revendication. Toutefois, ce type de mouvement pourra être qualifié de grève si d'autres revendications (notamment sur l'emploi ou les conditions de travail) s'y ajoutent.

Connaissance par l'employeur des revendications professionnelles. L'employeur doit être informé de l'existence des revendications professionnelles au moins au moment de la cessation du travail, peu important les modalités de cette information. Il n'est, par ailleurs, pas nécessaire que l'information soit le fait des salariés ou des syndicats (il a été jugé, par exemple, qu'une lettre de l'inspectrice du travail faisant état des doléances des salariés satisfaisait à la condition de connaissance des revendications par l'employeur).

Régime du droit de grève

Si le mouvement est bien qualifié de grève, les grévistes bénéficient de la protection de l'article L. 2511-1 du code du travail. En revanche, si le mouvement des salariés ne constitue pas une grève, leurs contrats ne sont pas suspendus et les salariés peuvent être sanctionnés par l'employeur en raison de leur participation à ce mouvement.

En France, l'exercice du droit de grève doit être concilié avec la liberté du travail des salariés non grévistes et la continuité du service public. De ces exigences découlent l'interdiction faite aux grévistes d'empêcher les non-grévistes de travailler (par des « blocus » notamment) et dans certains cas prévus par la loi, les grévistes peuvent être réquisitionnés afin d'assurer la continuité du service public.

Incidence de la grève sur le contrat de travail

Suspension du contrat de travail. Lors de la grève, le contrat étant suspendu, l'employeur ne peut plus, en principe, exercer ses pouvoirs sur les grévistes. En particulier, il ne peut exercer son pouvoir disciplinaire à leur encontre.

L'employeur ne peut sanctionner les salariés pour les faits commis à l'occasion de la grève, sauf faute lourde (C. trav., art. L. 2511-1). Une faute simple ou grave accomplie au cours de la grève par un gréviste ne peut être sanctionnée, toute sanction étant nulle de plein droit. La commission d'une faute lourde par le salarié gréviste autorise l'employeur à engager une procédure de licenciement. Il doit alors s'agir :

  • d'une faute personnelle (l'employeur devra alors prouver que les faits qu'ils qualifient de fautes lourdes sont bien imputables personnellement au salarié ; ce qui suppose que ce dernier a été clairement identifié) ;
  • d'une faute intentionnelle (ce qui suppose la preuve de l'intention de nuire du gréviste ; il peut alors s'agir d'une intention de nuire à l'égard de l'employeur mais également à l'égard des salariés non grévistes ;
  • de violences contre les biens ou les personnes (les violences volontaires dès lors qu'elles sont établies caractérisent la faute lourde) ;
  • de l'entrave à la liberté du travail (la participation active à des piquets de grève destinée à empêcher l'accès de l'employeur ou des grévistes à l'entreprise caractérise la faute lourde ; la pratique du piquet de grève qui consiste en un regroupement pacifique des salariés grévistes devant l'entreprise et les sites dès lors qu'elle n'entraîne pas la désorganisation de l'entreprise et n'entrave pas la liberté du travail ne pourra pas être sanctionnée).

Rémunération du gréviste. Le contrat étant suspendu, les salariés grévistes ne sont pas rémunérés le temps de la grève, c'est-à-dire le temps de la cessation de travail. La retenue sur salaire doit être strictement proportionnelle à l'arrêt de travail : si l'arrêt de travail pour grève a été d'une heure, la retenue de salaire doit correspondre à une heure de travail. Une retenue de salaire plus importante constituerait une sanction pécuniaire interdite. L'employeur et les salariés peuvent toutefois parvenir à un accord de fin de conflit qui prévoit les modalités de paiement de toute ou partie des jours de grève.

Situation des salariés non-grévistes. La grève d'une partie des salariés n'a en principe pas d'incidence pour les salariés non-grévistes. Leur contrat de travail n'est pas suspendu ; l'employeur reste tenu de leur fournir du travail et de les rémunérer. Lorsque les salariés non-grévistes sont mis dans l'impossibilité de travailler, l'employeur n'est libéré de son obligation de les rémunérer que s'il justifie d'une situation contraignante l'ayant empêché de leur fournir du travail et contraint de procéder à la fermeture de l'entreprise.

L'employeur peut également demander à un salarié non-gréviste d'occuper provisoirement le poste d'un salarié gréviste.

Abus du droit de grève

Les salariés grévistes peuvent être éventuellement sanctionnés si le mouvement dégénère en abus. Pour qu'un tel abus soit caractérisé, il faut démontrer la volonté des grévistes de désorganiser l'entreprise.

Droit de grève et ripostes de l'employeur : interdiction du « lock-out »

Le « lock-out » consiste en la fermeture de l'entreprise par l'employeur. Il peut être préventif, concomitant au mouvement de grève ou a posteriori. Il constitue une riposte de l'employeur à l'exercice du droit de grève. Il emporte l'arrêt du travail des non-grévistes. De telles pratiques sont admises dans certains États européens. En revanche, en France l'employeur ne dispose pas d'un tel droit, car il doit remplir ses obligations contractuelles de fournir du travail aux non-grévistes. L'employeur peut néanmoins demander au juge l'autorisation de fermer l'entreprise en cas de danger, pour des raisons d'ordre public ou lorsque la grève bloque l'entreprise à tel point que l'employeur n'est plus en mesure de fournir du travail aux non-grévistes.

Des régimes particuliers de grève : le droit de grève dans les transports terrestres de voyageurs

En matière de fonction publique ou de service public (dont les emplois peuvent être occupés par des salariés et non des fonctionnaires), il existe différents régimes spécifiques de grève. Malgré les différences de régime, l'objectif est toujours de concilier exercice du droit de grève par les travailleurs et continuité du service public.

Le code des transports prévoit un régime spécifique pour les entreprises chargées d'une mission de service public de transports terrestres réguliers de voyageurs. L'exercice du droit de grève est subordonné à des obligations particulière. Il est notamment prévu un volet de prévention des conflits collectifs par voie de négociation collective obligatoire, préalable à la grève. Ainsi le dépôt d'un préavis de grève par un ou plusieurs syndicats ne peut intervenir qu'après cette négociation avec l'employeur. Les salariés doivent par ailleurs informer l'employeur de leur intention de prendre part à la grève au plus tard 48 h avant. Enfin un syndicat ne peut pas déposer un nouveau préavis de grève pour les mêmes motifs avant la fin du préavis en cours (C. transp., art. L. 1324-7 s.).

Des aménagements de l'exercice du droit de grève similaires sont prévus pour les entreprises concourant au transport aérien de passagers (C. transp., art. L. 1114-1 s.).

Règlement de fin des conflits collectifs et protocole de fin de grève

Il existe quatre techniques de règlement des conflits collectifs, les trois premières étant prévues dans le code du travail mais sont quelque peu tombées en désuétude (C. trav., art. L. 2521-1 s.).

Conciliation. La conciliation est une procédure - dont le recours est facultatif - qui permet aux parties de soumettre leur différend à une commission de conciliation. Cette commission est tripartite, elle comprend des représentants des organisations représentatives d'employeurs et des salariés et des représentants des pouvoirs publics. À l'issue des réunions de la commission de conciliation, le président établit un procès-verbal constatant l'accord ou le désaccord - total ou partiel - des parties. L'accord conclu a le même effet qu'un accord collectif. Si la conciliation échoue, le conflit est alors soumis à la procédure de médiation ou d'arbitrage.

Arbitrage. Les parties peuvent décider, d'un commun accord, de soumettre à l'arbitrage d'un tiers les conflits collectifs subsistant à l'issue d'une procédure de conciliation ou de médiation. Une procédure contractuelle d'arbitrage peut également être prévue par la convention où l'accord collectif de travail dont relèvent les parties au litige. Dans les deux cas, l'arbitre est librement choisi par les parties. Les sentences arbitrales produisent les mêmes effets qu'un accord collectif de travail.

Médiation. Pour favoriser le règlement amiable d'un conflit collectif, il peut être fait appel à un médiateur choisi par les parties ou, à défaut, par l'autorité administrative à partir d'une liste de personnalités désignées en fonction de leur autorité morale et de leur compétence économique et sociale. Après avoir essayé de concilier les parties, le médiateur leur soumet, sous forme de recommandations motivées, des propositions en vue du règlement des points en litige dans un délai d'un mois à compter de sa désignation. Si le médiateur constate que le conflit porte sur l'interprétation ou la méconnaissance des dispositions légales ou des dispositions conventionnelles, il recommande aux parties de soumettre le conflit soit à la juridiction compétente, soit à la procédure contractuelle d'arbitrage. La recommandation n'a aucun caractère obligatoire et les parties ont un délai de 8 jours pour notifier au médiateur qu'elle rejette sa proposition. Au terme du délai de 8 jours, le médiateur constate l'accord ou le désaccord. Cet accord sur la recommandation du médiateur lie les parties qui ne l'ont pas rejeté et produit les mêmes effets qu'un accord collectif (C. trav., art. L. 2523-1 s.).

Protocole de fin de grève. La négociation directe dans l'entreprise paraît la voie la plus naturelle de règlement des conflits collectifs. Il est fréquent que la grève se termine par la signature d'un procès-verbal de fin de conflit ou d'un protocole d'accord qui règle notamment les aspects disciplinaires du conflit, les heures de récupération, le paiement de tout ou partie des salaires…

Le protocole de fin de grève s'analyse soit en accord collectif d'entreprise lorsqu'il est signé après négociation avec un ou des délégués syndicaux, soit en un engagement unilatéral de l'employeur.

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Questions fréquemment posées

Quelles sont les conditions pour faire grève ? 

Il en existe trois : le salarié doit cesser le travail ; cet arrêt du travail doit être collectif (il doit donc concerner au moins deux salariés dans l’entreprise) et doit viser à la satisfaction de revendications professionnelles portant par exemple sur les salaires, les conditions de travail, l’emploi… Dans le secteur privé, la grève peut être déclenchée à tout moment : aucun préavis n’est imposé aux salariés grévistes.

Quelles sont les conséquences pour les salariés grévistes ?

Pour la durée de la grève, les salariés grévistes ne sont pas payés. En revanche il est interdit à l’employeur de prendre à leur encontre des mesures de rétorsion du fait de leur participation au mouvement collectif. Les salariés qui ont participé à une grève ne peuvent pas de ce fait être ni sanctionnés ni licenciés.

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