Fiche thématique
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1 octobre 2022

Lorsque les époux sont mariés sous le régime de la communauté, le conjoint du commerçant bénéficie, par l’effet de son régime matrimonial, d’un véritable droit de contrôle sur les actes de disposition réalisés par son époux et ayant pour objet les éléments de l’entreprise dépendant de la communauté.

Mais c’est la participation du conjoint à l’exploitation du fonds de commerce qui est déterminante de ses prérogatives.

Sommaire

Quand le conjoint ne participe pas à l’exploitation

Les régimes de séparation de biens ou de participation aux acquêts

Les règles sont différentes selon que le conjoint participe ou non à l’exploitation du fonds.

Lorsque les époux ont adopté un régime de séparation des biens (C. civ., art. 1536 à 1543) ou de participation aux acquêts (C. civ., art. 1569 à 1581), l’époux entrepreneur bénéficie d’une entière liberté de gestion.

Réciproquement, le patrimoine du conjoint est à l’abri des aléas de ses affaires en raison du cloisonnement patrimonial que ces régimes établissent. C’est d’ailleurs pourquoi ces régimes, et en particulier la séparation de biens, sont très souvent choisis quand un des époux est commerçant.

Le régime de communauté

La nature du fonds

Le fonds commercial ou artisanal ne tombe en communauté que s’il a été créé ou acquis par les époux, ensemble ou séparément, pendant le mariage, et s’il provient de leur industrie personnelle ou des économies faites sur les fruits et revenus de leurs biens propres (C. civ., art. 1401 ).

La jurisprudence compare la date de l’ouverture au public du fonds de commerce avec la date du mariage. Cette solution a été adoptée par un important arrêt de la première chambre civile du 4 décembre 2013, qui consacre, la date de l’ouverture au public du fonds de commerce créé par un époux, comme critère de son inclusion ou de son exclusion de la communauté.

En l’occurrence, lorsque l’officine de pharmacie est ouverte postérieurement à la date de célébration du mariage, sa valeur est à inscrire à l’actif de la communauté ( Cass. 1re civ., 4 déc. 2013, no 12-28.076 ).

La nature des revenus de l’exploitation

Les revenus de l’exploitation constituent des biens de communauté, que le fonds soit propre ou commun. Cependant, aux termes de l’article 223 du code civil, chaque époux perçoit librement ses gains et salaires et en dispose après s’être acquitté des charges du mariage.

Les pouvoirs des époux

Si le fonds de commerce est propre, en vertu de l’article 225 du code civil « chacun des époux administre, oblige et aliène seul ses biens personnels ».

Si le fonds de commerce est commun, l’article 1421, alinéa 2 du code civil prévoit que « l’époux qui exerce une profession séparée a seul le pouvoir d’accomplir les actes d’administration et de disposition nécessaires à celle-ci ». Ce pouvoir exclusif appartient à celui des époux qui exploite le fonds commun.

En cas d’ingérence du conjoint dans la sphère réservée de l’exploitant, l’article 1427 du code civil est applicable.

Aux termes de l’article 1425 du code civil, l’entrepreneur ne peut, sans son conjoint, donner à bail les fonds ruraux ou les immeubles à usage commercial, industriel ou artisanal. En revanche, il peut consentir seul une location-gérance sur le fonds.

Les limites à l’autonomie professionnelle sur un fonds de commerce commun

L’autonomie professionnelle connaît toutefois des limites. Ainsi, l’entrepreneur ne peut seul aliéner ou grever de droits réels un fonds de commerce commun (C. civ., art. 1424 ).

Il résulte de l’article 1424 du code civil que le conjoint doit également donner son consentement à la perception des capitaux provenant de ces opérations, à l’exception de la perception des redevances du contrat de location-gérance auquel il aura dû cependant consentir. Ces redevances ne sont pas en effet des capitaux, mais des revenus.

L’article 1424 du code civil doit être appliqué à l’acte qui embrasse la totalité des éléments de l’universalité que tout fonds de commerce ou exploitation constitue. Réciproquement, l’entrepreneur recouvre la plénitude de ses pouvoirs de disposition lorsque l’acte ne concerne que certains éléments détachés du fonds de commerce ou du fonds artisanal ( Cass. 1re civ., 4 mars 1986, no 85-10.560 : JCP CI 1987, II, 14899, note M. Henry).

Mais il ne faut pas que ces éléments soient essentiels au fonds, comme le véhicule de l’entrepreneur de taxi ou le four du boulanger. Il s’agit là de pièces « maîtresses » des entreprises évoquées.

La nullité de l’acte irrégulier

La violation de l’article 1424 est sanctionnée par la nullité relative de l’acte irrégulier. L’action doit être exercée dans un délai de 2 ans à partir du jour où le conjoint a eu connaissance de l’acte sans pouvoir être intentée plus de 2 ans après la dissolution de la communauté (C. civ., art. 1427 ).

S’agissant d’une nullité relative, le conjoint qui n’a pas donné son consentement exprès peut ultérieurement confirmer l’acte nul. L’époux exploitant peut également se porter fort dans l’acte de la ratification de celui-ci par son conjoint. La technique du mandat peut également être utilisée par les époux (Cass. 1re civ., 16 juill. 1985 : Defrénois 1985, art. 33636, p. 1470, obs. G. Champenois).

L’autorisation du juge

A défaut de consentement ou de concours de son conjoint, l’entrepreneur doit demander au juge l’autorisation de passer seul l’acte. Il doit recourir à l’article 217 du code civil, qui n’envisage que deux hypothèses, celle dans laquelle le conjoint est hors d’état de manifester sa volonté ou celle dans laquelle son refus n’est pas justifié par l’intérêt de la famille. Mais le juge ne peut pas suppléer un refus qui serait non conforme à l’intérêt de l’entreprise, sauf à admettre dans ce cas que c’est contraire à l’intérêt de la famille, ce qui serait très artificiel.

La procédure collective

Lorsque le commerçant est en procédure collective, les biens en communauté sont intégrés dans la procédure ; les pouvoirs du conjoint se trouvent donc altérés par les dispositions qui organisent le dessaisissement du débiteur et le contrôle de l’administrateur. Dans cette hypothèse, il a été jugé que l’article 1424 ne s’appliquait pas aux aliénations de biens communs consenties par le syndic de la liquidation des biens (Cass. 1re civ., 21 nov. 1978 : D. 1979, jurispr. p. 365, note M. Jeantin).

Quand le conjoint participe à l’exploitation

Les pouvoirs des époux

Le renforcement de la cogestion

L ’article L. 121-5, alinéa 1er du code de commerce énonce qu’une personne immatriculée au Répertoire des métiers ou un commerçant ne peut, sans le consentement exprès de son conjoint, lorsque celui-ci participe à son activité professionnelle en qualité de conjoint travaillant dans l’entreprise, aliéner ou grever de droits réels les éléments du fonds de commerce ou de l’entreprise artisanale (…).

Cette fois, la protection embrasse, très largement, tous types d’éléments nécessaires à l’exploitation, mais ne s’applique qu’à ceux d’entre eux dépendant d’une communauté de biens entre époux.

Le mandat d’accomplir des actes d’administration

Le conjoint collaborateur, lorsqu’il est mentionné au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers ou au registre des entreprises tenu par les chambres de métiers d’Alsace et de Moselle (ou à compter du 1er janvier 2023, au registre du commerce et des sociétés ou au registre national des entreprises) est réputé avoir reçu du chef d’entreprise le mandat d’accomplir au nom de ce dernier les actes d’administration concernant les besoins de l’entreprise (C. com., art. L. 121-6, al. 1).

Il peut être mis fin à la présomption de mandat par déclaration faite devant notaire. La déclaration notariée a effet, à l’égard des tiers, 3 mois après que mention en aura été portée au RCS ou au RNE. En l’absence de cette mention, elle n’est opposable aux tiers que s’il est établi que ceux-ci en ont eu connaissance.

La présomption de mandat cesse également de plein droit en cas d’absence présumée de l’un des époux, de séparation de corps ou de séparation de biens judiciaire, de même que lorsque les conditions prévues au premier alinéa ci-dessus ne sont plus remplies (C. com., art. L. 121-6, al. 2 et 3).

La Cour de cassation précise que, s’il reçoit mandat pour accomplir des actes d’administration pour les besoins de l’entreprise, le conjoint collaborateur ne devient pas pour autant titulaire des contrats conclus. Elle juge ainsi que le fait qu’un fonds de commerce constitue un acquêt de communauté n’entraîne pas la cotitularité d’un bail commercial consenti à un seul des époux ( Cass. 3e civ., 17 sept. 2020, no 19-18.435, no 600 F-P + B + I ). Ainsi, le fonds de commerce peut être commun, mais un seul époux sera titulaire du bail commercial s’il a seul signé le bail. Si les conjoints souhaitent que la situation change, il faut choisir un autre régime et faire du conjoint collaborateur un coexploitant.

L’article 1421, alinéa 1er du code civil donne aux époux des pouvoirs concurrents et égaux pour administrer l’entreprise commune (J.-C. Chevallier et M.-C. Leproust-Larcher, Pouvoirs de gestion et autonomie professionnelle des époux : JCP N 2002, 1296).

Remarque

On peut se demander si les articles 1421 du code civil et L. 121-6 du code de commerce ne font pas double emploi.

Il est cependant indispensable de savoir en quelle qualité le conjoint a agi, car il y a des différences :

  • fin des pouvoirs : l’époux entrepreneur peut mettre fin au mandat légal du conjoint par une simple déclaration notariée alors que le pouvoir de gestion de la communauté ne cesse qu’avec celle-ci ;
  • actes permis : le pouvoir légal de représentation ne couvre que les actes d’administration alors que le pouvoir concurrent de gestion permet au conjoint d’accomplir des actes d’administration et de disposition ;
  • droit de poursuite des créanciers : enfin, la qualité en laquelle l’époux agit a une incidence directe sur le droit de poursuite des créanciers.

Quelle récompense pour la communauté ?

Quand un époux permet une amélioration de la valeur du fonds propre grâce à son industrie personnelle, la communauté a-t-elle droit à récompense ?

A priori, il n’en est rien, car pour la Cour de cassation, « un époux ne doit récompense à la communauté que lorsqu’il est pris une somme sur celle-ci ou, plus généralement, lorsque l’époux a tiré un profit personnel des biens de la communauté ; qu’il s’ensuit que la plus-value procurée par l’activité d’un époux ayant réalisé des travaux sur un bien appartenant en propre à son conjoint ne donne pas lieu à récompense au profit de la communauté » ( Cass. 1re civ., 29 mai 2013, no 11-25.444 ).

L’industrie personnelle déployée à l’amélioration d’un bien propre ne forme point une cause de récompense pour la communauté, car elle ne représente ni le prélèvement d’une somme commune ni un profit personnel retiré d’un bien commun ( Cass. 1re civ., 5 avr. 1993, no 90-20.491  ; Cass. 1re civ., 18 mai 1994, no 92-14.881  ; Cass. 1re civ., 28 févr. 2006).

Remarque

Voir à propos de la plus-value procurée par l’industrie personnelle d’un époux au fonds de commerce propre de son conjoint (Cass. 1re civ., 30 juin 1992 : JCP G 1993, I, 3656, obs. A. Tisserand).

Un arrêt de 2013 est difficile à interpréter à cet égard ( Cass. 1re civ., 20 nov. 2013, no 12-23.914 ). Il ne signifie probablement pas que la communauté aurait droit à récompense, quand un époux permet une amélioration de la valeur du fonds propre grâce à son industrie personnelle, mais plutôt que lorsque les conditions classiques de la récompense sont remplies, on ne doit la fixer qu’au profit subsistant lié aux versements faits par la communauté, et non à celui qui est dû à l’industrie d’un époux.

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Quelle est la durée d’application du statut du conjoint collaborateur ?

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