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25 mars 2024
Le projet de directive sur le devoir de vigilance (CS3D), adopté le 15 mars par les Etats membres de l'UE, inquiète les grandes entreprises. Selon Philippe Métais et Elodie Valette, associés au sein du cabinet international Bryan Cave Leighton Paisner (BCLP), il demeure notamment un certain flou sur le périmètre dans lequel les obligations des entreprises concernées sont applicables. Des difficultés pouvant mettre à mal la mise en œuvre concrète du texte.

Après des semaines de négociations, plusieurs reports de vote, les 27 pays de l’Union européenne se sont finalement mis d’accord sur la directive européenne CS3D sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité le 15 mars dernier. Philippe Métais et Elodie Valette, associés chez Bryan Cave Leighton Paisner (BCLP) au sein du pôle contentieux et investigations, reviennent sur la teneur de l'accord et les enjeux posés par le texte.

Quelles conclusions tirez-vous de cet accord final ?

Elodie Valette : Si un accord provisoire avait été trouvé en trilogue le 14 décembre 2023, l’adoption du texte a été reportée à plusieurs reprises. Le compromis ainsi trouvé a été rejeté par le Comité des représentants permanents (Coreper) le 28 février 2024 et il a fallu répondre aux préoccupations de plusieurs États membres, en particulier sur le champ d’application de la directive, en revoyant les seuils pour cibler les plus grandes entreprises, en prévoyant une introduction progressive du texte, ainsi que la responsabilité et la désignation d’une autorité de contrôle et de sanction.

On rappellera que la directive CS3D tend à faire peser sur les entreprises européennes la prévention et l’atténuation des effets néfastes que peuvent avoir leurs activités sur les droits humains et l’environnement, étant précisé que le texte européen est largement inspiré des modèles français et allemand, en particulier sur les questions de responsabilité.

Sur quels éléments les États membres se sont-ils mis d’accord ?

Elodie Valette : Sur le champ d’application tout d'abord. Alors que la proposition initiale visait les entreprises de l'UE employant 500 salariés et réalisant un chiffre d'affaires net mondial supérieur à 150 millions d'euros, ainsi qu'aux entreprises non européennes réalisant un CA net dans l'UE supérieur à 150 millions d'euros (avec des seuils plus bas pour les secteurs dits à haut risque), le compromis prévoit que :

  • les entreprises non européennes - y compris la société mère ultime non européenne d'un groupe d'entreprises - devront se conformer à la directive si elles réalisent plus de  450 millions d'euros de CA net dans l'UE au cours de chacun des 2 derniers exercices consécutifs et
  • les entreprises de l'UE seront tenues de se conformer, si elles atteignent ce seuil et si elles emploient plus de 1 000 salariés. L’approche par secteurs à haut risque a été abandonnée. Les entreprises concernées devront se conformer progressivement, en fonction de leur nombre de salariés et de leur chiffre d'affaires net mondial, entre 3 et 5 ans après l'entrée en vigueur de la directive, étant précisé que les États membres devront transposer la directive dans leurs droits internes.

Philippe Métais : Le  compromis vise, par ailleurs, les activités propres des entreprises, celles de leurs filiales et de leur chaînes d’activité comprenant leurs relations commerciales en amont (activités liées à la production de biens ou à la fournitures de services par l’entreprise) et en aval (les activités liées à la distribution, au transport et au stockage des produits).

Le texte prévoit une certaine flexibilité en matière de responsabilité civile en renvoyant au droit interne de chaque Etat membre.

Elodie Valette : Enfin, les États membres devront mettre en place une autorité de contrôle et de sanction ayant pour objet de veiller à la mise en œuvre de la directive.

L’adoption du texte représente-t-elle un obstacle concurrentiel pour les entreprises européennes ?

Elodie Valette : On rappellera, tout d’abord, que la France fait depuis longue date figure de précurseur en matière de responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Elle a adopté une succession de textes (loi NRE, loi Sapin II, loi sur le devoir de vigilance, loi Pacte, loi Climat et Résilience) qui ont contribué à inciter les entreprises à être plus attentives à leur environnement sociétal. Cet accord intervient à un moment où la promotion de la RSE se poursuit à tombeau ouvert en France. En effet, cette dernière a été le premier Etat membre à transposer en droit interne la directive CSRD sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises. Une première décision sur le fond de la loi française sur le devoir de vigilance a été rendue le 5 décembre 2023 par le Tribunal judiciaire de Paris et la Cour d’appel de Paris a créé en janvier 2024 une chambre dédiée aux contentieux environnementaux. 

On observera que le Président français avait appelé en mai 2023 à une « pause réglementaire européenne » sur les normes environnementales au nom de la compétitivité, ces dernières imposant aux grandes entreprises des obligations toujours plus nombreuses et encore trop floues pour s’y conformer, et partant créent une distorsion avec des opérateurs économiques soumis à d’autres législations.

Philippe Métais : Nous retrouvons cette difficulté sur d’autres discussions de textes européens comme le futur IA Act ou encore en matière d’actions de groupe.

Concernant la directive sur le devoir de vigilance, il demeure un certain flou sur le périmètre dans lequel les obligations des entreprises concernées sont applicables : jusqu’où doit s’opérer cette vigilance ? Est-ce une obligation de moyens ? En cas de dommage à l’étranger, le juge français sera compétent. Cela inquiète légitimement les entreprises.

Ce flou constitue un frein considérable à la mise en œuvre concrète et pratique de la future directive.

Quelles sont les étapes à venir ?

Philippe Métais :  Le texte devra encore être approuvé par le Parlement européen, vraisemblablement à la mi-avril, soit avant les élections européennes.

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