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19 juin 2024
Décryptage d’un propos tenu par Jordan Bardella au micro de France Inter, le 7 mai dernier, par notre partenaire Les Surligneurs.

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« Ce que l’on appelle le reporting extra-financier, c'est la multiplication de contraintes, de normes administratives avec à l’intérieur des engagements sur le respect de l’environnement et des conditions sociales…. je parle du devoir de vigilance, c’est tellement de paperasse aujourd’hui à remplir pour des chefs d’entreprise, de TPE, PME, d’ETI que beaucoup passent plus de temps dans leur bureau que dans l’atelier », a expliqué Jordan Bardella, le président du Rassemblement national (RN) le 7 mai sur France Inter.

L’extrait suggère une confusion entre deux textes du Pacte vert européen adoptés lors de la précédente législature, que l’eurodéputé d’extrême-droite semble en effet prendre pour un seul et même texte - confusion déjà constatée deux jours plus tôt sur le plateau du Grand Jury RTL- Le Figaro-M6.

D’un côté, « le reporting extra-financier » évoqué par le chef du RN renvoie à la directive dite « CSRD » (pour Corporate Sustainability Reporting Directive). Adoptée par le Conseil de l’UE en novembre 2022 et déjà transposée en France, celle-ci exige des entreprises de déclarer chaque année une multitude de données sur leurs performances environnementales, sociales et de gouvernance (ESG). Par exemple : leurs émissions de CO2, la manière dont elles traitent les déchets et les eaux usées, les écarts de rémunération femmes-hommes, leur politique d’intéressement… Le principal objectif de la directive est d’aider les investisseurs à distinguer les sociétés aux pratiques les plus vertueuses.

Mentionné ensuite par Jordan Bardella, « le devoir de vigilance » est une autre directive européenne qui vise, quant à elle, à contraindre les grandes entreprises à combattre les atteintes aux droits humains, notamment l’esclavage, le travail des enfants, ou encore l’exploitation par le travail, mais aussi les atteintes à l’environnement (érosion de la biodiversité, pollution ou destruction du patrimoine naturel) sur l’ensemble de leurs chaînes de valeur mondiales.

La CSRD s'impose uniquement aux PME cotées

Jordan Bardella affirme en outre que ces directives affectent « aujourd’hui » les « TPE » et les « PME ». « Quand les grandes boîtes peuvent engager des cabinets de conseil, embaucher des experts-comptables pour remplir l’intégralité de ces paperasses, les plus petites entreprises n’ont pas cette possibilité », insiste-t-il d’ailleurs par la suite. Or, pour ce qui est de la CSRD, ce n’est pour le moment en rien le cas : au terme de longs pourparlers au sujet du champ d’application, les co-législateurs de l’Union européenne ont convenu de ne cibler, parmi les PME, que celles cotées en Bourse, soient seulement 1000 entreprises au sein de l’UE (environ une centaine en France). Et ce, seulement à partir de l’exercice comptable 2026, selon l’article 5 de la directive. En tout état de cause, la quasi-totalité des PME et l’ensemble des TPE ne sont pas contraintes de réaliser ces déclarations. Même si les grandes entreprises avec lesquelles elles travaillent peuvent leur demander de fournir des informations de durabilité pour réaliser leurs propres rapports.

Pas de devoir de vigilance pour les PME

Côté devoir de vigilance, la directive européenne n’ayant été adoptée que le 24 mai dernier par le Conseil de l’Union européenne, sa transposition n’a eu lieu dans aucun des États membres à ce stade - ils disposeront d’un délai de 2 ans. Ne seront, de surcroît, ciblées que les entreprises comportant plus de 1 000 salariés et générant un chiffre d'affaires supérieur à 450 millions d’euros par an. Les PME et TPE ne sont donc pas visées… du moins pas directement. « Bien que les PME ne relèvent pas du champ d’application de la présente directive, elles pourraient subir les effets de ses dispositions en leur qualité de contractants ou de sous-traitants des entreprises en relevant », est-il en effet indiqué en préambule de la directive européenne.

Parmi les dispositions susceptibles de concerner des PME, on trouve les obligations pour les grandes entreprises directement visées de faire respecter à leurs partenaires des codes de conduites, de négocier avec eux des garanties contractuelles, ou encore de prévoir des audits sur leurs sites de production.

Cependant, « la directive organise une forme de coopération entre les grandes entreprises sur lesquelles pèsent les obligations de vigilance, et leurs fournisseurs ou sous-traitants afin que les entreprises de plus petites tailles soient, en particulier, véritablement accompagnées dans l’atténuation du risque », souligne Rodolphe Boissau, avocat consultant au cabinet UGGC Avocats, qui renvoie, entre autres, à l’article 10. Dans son point 2.e) cet article requiert des grandes entreprises en question de fournir « un soutien ciblé et proportionné », y compris financier, aux PME qui en auraient besoin pour se plier aux mesures de vigilance.

Il faut enfin préciser que si la directive européenne n’est pas encore transposée, une loi française sur le devoir de vigilance est en vigueur depuis 2017. Son champ d’application est cependant bien plus restreint, et les obligations qu’elle prévoit autrement moins détaillées. « En pratique, ce que demandent les multinationales françaises à leurs cocontractants ne me semble pas assimilable à une forte surcharge administrative pour les PME partenaires, estime Rodolphe Boissau. D’ailleurs, que ce soit dans le cadre de la loi française ou de la directive, les partenaires des multinationales ont plutôt tendance à être elles-mêmes des grandes entreprises, car il s’agit souvent de répondre à des commandes de volumes assez massifs ». L’un dans l’autre, l’incidence sur les plus petites entreprises est donc limitée, et l’affirmation de Jordan Bardella largement exagérée.

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Clément Solal, journaliste Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur au laboratoire VIP