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30 mai 2024
L’UE a adopté sa directive sur le devoir de vigilance. L’objectif : forcer les grandes entreprises à s'interesser aux atteintes aux droits humains et à l’environnement sur leurs chaînes de valeurs mondiales. Comme la loi française de 2017, dont il est inspiré, le texte européen prévoit que la responsabilité des entreprises pourra être engagée, à certaines conditions, en cas de dommages. Plusieurs éléments de la directive laissent augurer un renforcement du régime de responsabilité civile introduit par le devoir de vigilance français. Explications.

Un article proposé en Partenariat avec Les Surligneurs  

Les ministres des Etats membres de l’UE à Bruxelles ont tourné la page de longs mois d’âpres négociations en entérinant définitivement, vendredi 24 mai, la directive européenne sur le devoir de vigilance (la « Corporate Sustainability Due Diligence Directive », « dite CS3D »). Ce texte, qui avait déjà été adopté en session plénière par le Parlement européen le 24 avril, doit contraindre les grandes entreprises à combattre les atteintes aux droits humains (esclavage, travail des enfants, exploitation par le travail) ou à l’environnement (érosion de la biodiversité, pollution ou destruction du patrimoine naturel) sur l’ensemble de leurs chaînes de valeurs mondiales.

Comme la loi française de 2017 sur le devoir de vigilance, dont elle est plus largement inspirée, la CS3D prévoit que la responsabilité des entreprises pourra être engagée, à certaines conditions, en cas de dommages causés. A y regarder de plus près, ce régime de responsabilité civile, dessiné à l’article 29 du texte européen, paraît-il plus ou moins robuste que celui contenu dans la loi française ? Et quelles seront les implications dans l’Hexagone ? Il faut premièrement noter que, l’UE ayant fait le choix de légiférer par une directive, les États membres bénéficieront de certaines marges de manœuvre au moment de transposer le texte dans leur droit national (dans les 2 ans).

Plusieurs éléments laissent néanmoins augurer un renforcement du régime français après cette transposition. Le plus évident d’abord : le champ d’application de la directive est sensiblement plus large. Au total, environ 5.500 entreprises seront concernées à l’échelle de l’UE - dont certaines issues de pays tiers -, 481 en France (contre environ 150 qui sont concernées par le droit français à l’heure actuelle), selon les estimations du Centre de recherche sur les sociétés multinationales citées par Euractiv. Le nombre d’entreprises susceptibles de voir leur responsabilité engagée augmentera donc d’autant. Mais selon quelles modalités ?

La CS3D prévoit que les entreprises pourront être tenues responsables de dommages si des mesures de vigilance exigées par la directive qui auraient permis de recenser, d’éviter, d’atténuer, de supprimer ou de réduire au minimum l’« incidence négative » en question n’ont pas été respectées. Ce fonctionnement, via une responsabilité pour faute, fait certes largement écho à celui du régime figurant dans la loi française. Cependant, les obligations, listées aux articles 10 et 11 de la directive, sont autrement plus détaillées dans la copie européenne, relève Lucie Chatelain, responsable contentieux et plaidoyer de l’association Sherpa.

Les entreprises seront, entre autres, tenues de modifier leurs politiques d’achat, de s’efforcer d’obtenir de  leurs partenaires commerciaux directs des garanties contractuelles (bien que cela ne les dédouane pas), d’apporter leur soutien aux PME partenaires pour s’assurer qu’elles se conforment aux nouvelles obligations, ou encore, en dernier recours, de suspendre des relations commerciales. Ce haut niveau de précision pourrait donner aux juridictions nationales compétentes plus de facilité à caractériser les manquements. En France, le tribunal judiciaire de Paris devrait conserver sa compétence exclusive.

En revanche, l’UE n’a pas décidé de l’inversion de la charge de la preuve - des plaignants vers les entreprises -  dans les contentieux de responsabilité pourtant préconisée par le Parlement européen dans sa résolution du 10 mars 2021. Une telle mesure, défendue par les ONG, aurait eu vocation à remédier à  « l’asymétrie d’informations » qui cause « la plupart des difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de la loi française », selon un rapport publié en juillet 2023 par Le Club des juristes. « La plupart des informations qui permettraient de qualifier la faute de l’entreprise (études d’impact, audits et autres informations) sont détenues par les entreprises et ne sont pas transmises au public », indique ce document rédigé sous la direction de l’ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve.

Néanmoins, en guise d’alternative, la directive prévoit que « les juridictions puissent ordonner que ces éléments de preuve soient divulgués par la société », à une série de conditions détaillées dans l’alinéa 3, e) de l’article 29. La rédaction de celui-ci fait douter à Lucie Chatelain que cette disposition puisse réellement changer la donne.

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Clément SOLAL, journaliste et Vincent Couronne, docteur en droit européen