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L’étau se resserre autour des ambitieuses réglementations ESG adoptées par l’Union européenne ces dernières années. Début novembre, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, restée en poste pour un second mandat de 5 ans ayant officiellement débuté le 1er décembre, a annoncé son intention d’alléger trois textes piliers de l’ESG : la taxonomie verte, la directive CSRD et celle sur le devoir de vigilance (dite « CS3D »).
Ces textes pourraient-ils être profondément remis en cause comme le craignent leurs défenseurs, dont les forces de gauche et les ONG climatiques à Bruxelles ? Sur ce sujet, Ursula von der Leyen, s’est voulue rassurante : « Le contenu de ces lois est bon, et on le maintiendra, mais le nombre de questions que nous posons, la masse de données que nous collectons, est excessive et parfois redondante », avait-elle expliqué le 8 novembre à Budapest.
Sauf qu’en réalité, la Commission n’aura pas le dernier mot. La conservatrice allemande a confirmé, le 27 novembre, que cette vague de simplification serait « l’un des premiers pas du nouveau mandat », et qu’elle passerait par « une nouvelle législation dite omnibus ». L’exécutif de l’UE sera certes responsable de proposer cet « omnibus », un terme qui renvoie en réalité à la modification de plusieurs textes législatifs à la fois, par le biais d'un seul acte législatif. Mais le projet sera ensuite entre les mains des co-législateurs de l’UE, le Parlement européen et le Conseil de l’UE, susceptibles de s’orienter vers un rabotage plus radical.
Rabotage plus radical ?
Au Parlement européen, les groupes politiques de droite et d'extrême droite qui critiquent âprement les textes ESG, sont arithmétiquement majoritaires. Une telle alliance s’est d’ailleurs déjà constituée mi-novembre au sein de l’Assemblée de l’UE afin d’alléger le règlement contre la déforestation, un autre texte emblématique du Pacte vert.
A la table du Conseil de l’UE aussi, les droites sont en position de force, et pourraient l’être d’autant plus si les chrétiens-démocrates allemands de la CDU-CSU, parmi les plus mobilisés contre le « Green Deal » – et singulièrement contre le devoir de vigilance – remportent les élections législatives anticipées du 23 février prochain, comme l’annoncent les sondages outre-Rhin.
Mais, concrètement, quels reculs sont envisageables ? Pour ce qui est de la CS3D, ses défenseurs craignent premièrement que l’on revienne sur le régime de responsabilité civile introduit à l’article 29 de ce texte. Il est censé contraindre, à partir de 2027, les grandes entreprises à combattre les atteintes aux droits humains (esclavage, travail des enfants...) ou à l’environnement (érosion de la biodiversité, pollution...), éventuellement causées par leur activité.
« Sans responsabilité civile associée aux potentiels manquements des multinationales, le texte perdrait de son caractère contraignant et trahirait son objectif de protéger les populations et la planète », s’alarment ainsi neuf associations, dont Oxfam France, Terre Solidaire et Reclaim Finance, dans un récent communiqué.
Plusieurs sources au Parlement européen pronostiquent, en outre, qu’une éventuelle alliance des droites chercherait à supprimer du texte la nécessité pour les grandes entreprises d’établir et de suivre des plans de transition climatique, introduite à l’article 22.
L’obligation - relative - de publier de tels documents figure certes dans la CSRD, où elle vise d’ailleurs un nombre bien plus large de sociétés. Mais « la CS3D ajoute l’obligation de déployer les moyens humains et financiers nécessaires à la réalisation des objectifs climatiques fixés au sein de ces plans, en cohérence avec les accords de Paris, précise Roxane Chaplain, juriste en droit de l’environnement et assistante parlementaire de l’eurodéputée écologiste Marie Toussaint. Il ne s’agit donc plus seulement d’une obligation de transparence, mais également d’une obligation de moyens afin de mettre en œuvre les plans ».
Côté CSRD, le projet d’omnibus visera très probablement à réduire le nombre d’entreprises figurant dans le champ d’application (environ 42 500 à cette heure). « La volonté, poussée notamment par le patronat allemand, est d’épargner les sociétés de 200 à 1000 voire 1500 employés », glisse une source européenne. Ceci dit, il est possible que ledit projet ne puisse être proposé, négocié, et adopté à temps, avant le 1er janvier 2026, date à laquelle une large partie des sociétés concernées commenceront à publier leurs rapports de durabilité.
« Une forte incertitude juridique »
De la même manière, si, comme suggéré par Ursula von der Leyen début novembre, il s’agit aussi de diminuer le nombre de données que les entreprises sont tenues de divulguer, il pourrait être nécessaire d’en passer par l’omnibus. Jusque-là, les informations que doivent communiquer les entreprises sont essentiellement prévues par la directive comptable (articles 19 bis et 29 bis notamment, tels que modifiés par la directive CSRD). Mais la Commission doit aussi préciser les informations à fournir, les fameux standards ESRS, via des actes délégués. C’est ainsi que le premier lot de standards dits agnostiques, développé par l’EFRAG et revu par la Commission européenne, est paru en décembre 2023.
Ainsi, s’il s’agit d’alléger à la marge, alors la Commission peut agir elle-même. Mais s’il s’agit d’aller plus loin, comme par exemple de supprimer l’obligation pour l’entreprise de décrire son processus de vigilance raisonnable mis en place sur les questions de durabilité, il faudra amender la directive comptable. Dans un tel cas, il paraît très difficile d’amender la loi dans ce sens avant que la plupart des premiers rapports soient publiés.
Plus généralement, modifier en profondeur les obligations légales issues de la directive - qui a été transposée par la majorité des États membres ou est en train de l’être dans les autres - pourrait créer de l’incertitude parmi les entreprises qui se préparent depuis des mois à s’y conformer. « Ce serait comme changer les règles alors que les équipes sont entrées sur le terrain et que le match a déjà commencé », explique Pierre Degonde, consultant en affaires publiques franco-européennes chez Euralia.
« Ces discussions vont susciter une forte incertitude juridique, abonde Abrial Gilbert-d’Halluin, ex-conseiller clé dans la négociation initiale de la CSRD, aujourd’hui collaborateur d’un eurodéputé PPE (droite). Des entreprises qui ont déjà trouvé leurs auditeurs, fait appel à des consultants, voire embauché des équipes dédiées, pourraient avoir à tout recommencer ». Elles pourraient même apprendre que leurs efforts initiaux ont été vains si elles échappent finalement aux règles…