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29 mars 2023
La chambre commerciale de la Cour de cassation s'aligne sur la position de la 3e chambre civile, qui applique aux contrats antérieurs à l'ordonnance du 10 février 2016 les dispositions du nouvel article 1124 du code civil selon lequel la révocation de la promesse avant l'expiration du temps laissé au bénéficiaire pour lever l'option n'empêche pas la formation du contrat promis.

Par un arrêt du 15 mars 2023, remarquable dans sa motivation, la chambre commerciale rejoint la position de la 3e chambre civile en appliquant à un contrat conclu avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, le principe selon lequel la révocation de la promesse avant l'expiration du temps laissé au bénéficiaire pour lever l’option n'empêche pas la formation du contrat promis. Si la solution est connue, la motivation n’en demeure pas moins intéressante.

Un protocole d’accord prévoyant une promesse unilatérale de cession d’actions

Dans cette affaire, deux sociétés avaient conclu un protocole d’accord cadre ayant pour objet l’entrée de la seconde au capital d’une filiale de la première. Le protocole prévoyait notamment une promesse unilatérale de cession d’une partie des actions de la filiale.

Avant la levée de l’option par le bénéficiaire de la promesse, la promettante se rétracte. Le bénéficiaire l’a alors assignée en exécution forcée de la promesse et en paiement de dommages et intérêts. Le juge du fond (CA Rennes, 6 juill. 2021) a rejeté les demandes de la société bénéficiaire de la promesse aux motifs que le contrat ayant été conclu avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 10 février 2016, il fallait lui appliquer la solution alors retenue par la jurisprudence, à savoir que « la levée de l'option par le bénéficiaire de la promesse unilatérale postérieurement à la rétractation du promettant exclut toute rencontre des volontés réciproques de vendre et d'acquérir ».

Saisie d’un pourvoi, la chambre commerciale de la Cour de cassation infirme l’arrêt d’appel au visa de l’article 1134 du code civil, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. Elle développe, de manière pédagogique, pourquoi il faut appliquer le droit postérieur à la réforme, ainsi que les effets d’un revirement de jurisprudence, eu égard au principe de sécurité juridique notamment.

L'application des dispositions issues de la réforme de 2016

Depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 10 février 2016, l’article 1124, alinéa 2, du code civil dispose que « la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n'empêche pas la formation du contrat promis ». Si, conformément à son article 9, les dispositions de l'ordonnance du 10 février 2016 ne sont applicables qu'aux contrats souscrits postérieurement à son entrée en vigueur, la Cour considère qu’« il apparaît nécessaire, compte tenu de l'évolution du droit des obligations, de modifier la jurisprudence de la Cour pour juger, désormais, à l'instar de la troisième chambre civile (Cass. 3e civ., 23 juin 2021, n° 20-17.554, en cours de publication ; 20 oct. 2021, n° 20-18.514, en cours de publication), que le promettant signataire d'une promesse unilatérale de vente s'oblige définitivement à vendre dès cette promesse et ne peut pas se rétracter, même avant l'ouverture du délai d'option offert au bénéficiaire, sauf stipulation contraire ».

En effet, la Haute juridiction retient désormais qu’« à la différence de la simple offre de vente, la promesse unilatérale de vente est un contrat, préalable au contrat définitif, qui contient, outre le consentement du vendeur, les éléments essentiels du contrat définitif qui serviront à l'exercice de la faculté d'option du bénéficiaire et à la date duquel s'apprécient les conditions de validité de la vente, notamment s'agissant de la capacité du promettant à contracter et du pouvoir de disposer de son bien ».

Remarque

La Cour de cassation précise elle-même que « pendant de nombreuses années », sa position sur ce point était la suivante : la levée de l'option par le bénéficiaire de la promesse unilatérale postérieurement à la rétractation du promettant exclut toute rencontre des volontés réciproques de vendre et d'acquérir, de sorte que la réalisation forcée de la vente ne peut être ordonnée (Cass. 3e civ., 15 déc. 2009, n° 08-22.008 ; 11 mai 2011, n° 10-12.875, Bull. 2011, III, n° 77 ; Cass. com., 13 sept. 2011, n° 10-19.526 ; 14 janv. 2014, n° 12-29.071).

L'application immédiate du droit postérieur au litige : pas d’atteinte au principe de sécurité juridique

Une absence de « droit acquis à une jurisprudence constante »

La société promettante soutenait qu'un tel revirement ne devrait pas pouvoir être appliqué de façon immédiate au litige sans porter une atteinte injustifiée et disproportionnée au principe de sécurité juridique ainsi qu'au droit à un procès équitable et au droit au respect des biens, tels que garantis par l'article 6, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et par l'article 1er du Protocole n° 1 à cette Convention.

Toutefois, la Haute cour rappelle que les exigences de la sécurité juridique et de protection de la confiance légitime des justiciables ne consacrent pas de droit acquis à une jurisprudence constante (CEDH, Unédic c. France, n° 20153/04, § 74, 18 décembre 2008 ; CEDH, Legrand c. France, n° 23228/08, § 36, 26 mai 2011 ; CEDH, Allègre c. France, n° 22008/12, § 52, 12 juillet 2018). En effet, selon elle, une évolution de jurisprudence n'est pas en soi contraire à une bonne administration de la justice, dans la mesure où l'absence d'une approche dynamique et évolutive serait susceptible d'entraver tout changement ou amélioration (CEDH, Atanasovski c. « l'ex-République yougoslave de Macédoine », n° 36815/03, § 38, 14 janvier 2010 ; Legrand c. France, précité, § 37 ; Allègre c. France, précité, § 52).

Une solution prévisible appelée de ses voeux par une « majorité de la doctrine »

La Cour indique que la société MG ne pouvait ainsi se prévaloir d'un droit définitivement acquis, dès lors que l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, qui a rejeté la demande d'exécution forcée en nature de la vente, était, en tout état de cause, susceptible d'un pourvoi en cassation selon les formes et délais prévus par le code de procédure civile.

La Cour de cassation ajoute, et il n’est pas inintéressant de le relever ici, que le nouvel état du droit, issu du revirement de la troisième chambre civile, n'était pas imprévisible au jour où la société acquéreuse a formé son pourvoi.

Elle considère en effet, qu’« une très grande majorité de la doctrine l'appelait de ses voeux bien avant la conclusion du protocole du 21 juin 2012 et la réforme du droit des contrats du 10 février 2016, intervenue antérieurement à la rétractation par la société MG de sa promesse, qui y a mis fin pour les contrats conclus à compter de son entrée en vigueur, confirmant ainsi les doutes préexistants quant au bien-fondé, et donc au maintien, de la jurisprudence antérieure. Le revirement consacré par la présente décision n'a donc pas pour effet de priver, même rétroactivement, la société MG de son droit à un procès équitable ».

Les conséquences du revirement de jurisprudence

Enfin, les Hauts magistrats relèvent que les conséquences du revirement pour la société promettante n'apparaissent pas disproportionnées dès lors qu'en l'état de la jurisprudence antérieure, celle-ci aurait dû, en tout état de cause, payer des dommages et intérêts pour réparer le préjudice causé par sa faute, d'un montant destiné à replacer, autant que possible, la société bénéficiaire de la promesse dans la situation qui aurait été la sienne si la promettante ne s'était pas rétractée de façon illicite. Ils estiment que « si la société [promettante] perçoit comme une injustice le fait qu'il soit donné gain de cause à la société [bénéficiaire], cette situation est inhérente à tout changement de solution juridique, et l'application du revirement a pour seule conséquence de faire subir à la société [promettante1], plutôt qu'à la société [bénéficiaire], les conséquences de sa rétractation illicite, en lui imposant de céder ses titres pour respecter ses engagements ».

La Cour estime qu’en conséquence, il y a lieu d'appliquer à l’espèce le principe selon lequel la révocation de la promesse avant l'expiration du temps laissé au bénéficiaire pour lever l’option n'empêche pas la formation du contrat promis.

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