Après avoir constaté des désordres lors de l’agrandissement de son immeuble et mis en cause le constructeur et l’assureur dommages-ouvrage, une société conclut une convention de gestion de sinistre avec un prestataire spécialisé. Ce dernier doit percevoir, à titre d’honoraires, 50 % des sommes versées par le constructeur et l’assureur et excédant le coût des travaux de reprise. La société ayant résilié la convention par anticipation, le prestataire lui réclame des dommages-intérêts d’un montant équivalant aux honoraires qu’il aurait perçus si la convention s’était poursuivie jusqu’à son terme.
Une cour d’appel accueille la demande du prestataire : il est incontestable que celui-ci aurait perçu la rémunération prévue si la convention était allée à son terme ; il n'existait aucune incertitude ni aléa sur le fait que la société obtiendrait des indemnités de l'assureur dommages-ouvrage, la réalité des désordres et leur caractère décennal n'étant pas contestés.
La Cour de cassation censure cette décision. Il résulte de l’ancien article 1147 (désormais art. 1231-1) du Code civil et du principe de la réparation intégrale du préjudice que les dommages-intérêts dus au créancier sont de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé sans qu'il en résulte pour lui ni perte ni profit. Le préjudice résultant de la résiliation anticipée d'un contrat, lorsque celle-ci emporte la disparition d'une éventualité favorable à laquelle était subordonnée la perception par le cocontractant d'un honoraire de résultat, s'analyse en une perte de chance, qui, mesurée à la chance perdue, ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée. Les honoraires à percevoir par le prestataire dépendaient d'une éventualité favorable, incertaine à la date de la résiliation, sinon quant au principe du moins quant au quantum de l'honoraire de résultat, de sorte que le préjudice né de la rupture fautive de la convention par la société s'analysait en une perte de chance.
A noter :
En cas de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle, la Cour de cassation définit depuis longtemps la perte de chance comme la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable (par exemple, Cass. 1e civ. 8-3-2012 n° 11-14.234 F-PBI : RJDA 7/12 n° 655 ; Cass. ass. plén. 27-6-2025 n° 22-21.812 et n° 22-21.146 BR : BRDA 18/25 inf. 13). La perte de chance impliquant l’existence d’un aléa, elle se distingue du gain manqué. Ainsi, la réparation d’une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut pas être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée (Cass. 1e civ. 9-4-2002 n° 00-13.314 F-PB : RJDA 8-9/02 n° 855 ; Cass. com. 6-5-2003 n° 00-10.502 F-D : RJDA 11/03 n° 1044). L'indemnité allouée ne peut donc pas être égale au bénéfice que le demandeur aurait retiré de la réalisation de l’événement escompté (Cass. 1e civ. 9-12-2010 n° 09-69.490 F-PBI : RJDA 5/11 n° 480 ; Cass. 1e civ. 26-9-2012 n° 11-19.464 F-D : RJDA 1/13 n° 9).
L'arrêt commenté applique ces principes à la rupture fautive d'un contrat prévoyant un honoraire de résultat calculé selon un pourcentage. En l'espèce, même s'il ne semblait pas discuté que le prestataire aurait été en droit de percevoir une rémunération, le montant de l'honoraire dû restait incertain lors de la rupture du contrat. Cette rupture n'avait donc fait perdre qu'une chance de percevoir la rémunération telle que prévue par le contrat s'il avait été exécuté jusqu'à son terme. L'indemnisation ne pouvait dès lors pas être égale à l'intégralité de l'honoraire stipulé.
Documents et liens associés :
Cass. 3e civ. 11-9-2025 n° 23-21.882 FS-B
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