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24 janvier 2023
Par un revirement, la Cour de cassation accepte dorénavant que les victimes d'AT/MP obtiennent une réparation complémentaire pour les souffrances physiques et morales endurées après consolidation. Sans qu'il soit besoin de prouver que la rente perçue ne couvre pas déjà ces souffrances.

Lorsqu'elle est atteinte d'une incapacité permanente égale ou supérieure au taux de 10 %, la victime d'un AT/MP perçoit une rente égale au salaire annuel multiplié par le taux d'incapacité, réduit ou augmenté en fonction de la gravité de celle-ci (CSS, art. L. 434-1 et L. 434-2).

De plus, indépendamment de la majoration de la rente (CSS, art. L. 452-2), la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales qu'elle a endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle (CSS, art. L. 452-3).

La rente répare les pertes de gains professionnels, l'incidence professionnelle de l'incapacité et le déficit fonctionnel permanent

Ainsi, jusqu'à présent, la Cour de cassation estimait que la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent (Cass. crim., 19 mai 2009, n° 08-86.050 et 08-86.485 ; Cass. 2è civ., 11 juin 2009, n° 08-17.581, n° 07-21.768 et n° 08-16.089).

Pour obtenir une réparation distincte des souffrances physiques et morales, la victime devait démontrer que ces souffrances n'ont pas été indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent (Cass. 2è civ., 28 févr. 2013, n° 11-21.015).

Dans deux arrêts destinés à une large audience, la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, revient sur cette interprétation des textes.

Des décisions divergentes

Dans ces deux affaires, deux salariés sont morts des suites d'un cancer des poumons contracté suite à l'inhalation de poussières d'amiante dans le cadre de leur activité professionnelle, pris en charge par la caisse de sécurité sociale comme maladie professionnelle.

Leurs ayants droit saisissent la juridiction de sécurité sociale pour faire reconnaître l'existence de la faute inexcusable de leur employeur respectif.

Les cours d'appel la reconnaissent, mais n'allouent pas les mêmes réparations :

  • l'une accorde une réparation conforme à l'interprétation de la Cour de cassation : une rente, mais pas de versement d’indemnités liées aux souffrances physiques et morales de la victime après la consolidation ;
  • l'autre attribue une réparation plus large : une rente et une indemnisation spécifique du fait du préjudice personnel pour les souffrances physiques et morales endurées par le malade après la consolidation.

La notion de consolidation doit s'entendre au sens de l'état définitif des séquelles de la victime de l'AT/MP.

Remarque

l'une des affaires évoque :
- les souffrances physiques du salarié : des traitements médicaux conséquents sous la forme de chimiothérapie, d'examens, tels une scintigraphie osseuse mettant en évidence une évolution osseuse secondaire du carcinome bronchique à petites cellules sous chimiothérapie, présentant un caractère diffus (rachis, gril costal, scapula droite et bassin) dont l'indication est caractéristique de douleurs, ou un scanner mettant en évidence des lésions secondaires sous forme d'hyperdensités focalisées, de prise de contraste aussi bien cérébrale que cérébelleuse ou encore de soins douloureux, entrecoupés de phases d'hospitalisations, jusqu'au décès de la victime ;
- ainsi que ses souffrances morales : le caractère inéluctable et évolutif de la maladie affectant une personne relativement jeune (56 ans), qui conduira à son décès moins de six mois après la déclaration de la maladie, ses conditions dégradées de vie, se traduisant par l'impossibilité de réaliser seul les actes de la vie quotidienne.

Se pose alors la question de savoir si les victimes d'AT/MP (ou leurs ayants droit) peuvent prétendre à une indemnité complémentaire distincte de la rente prévue par le code de la sécurité sociale.

La rente ne répare plus le déficit fonctionnel permanent

L'Assemblée plénière de la Cour de cassation opère un revirement : désormais, la rente ne répare pas le déficit fonctionnel permanent, c’est-à-dire les souffrances que les victimes éprouvent par la suite dans le déroulement de leur vie quotidienne.

Ainsi, la Cour de cassation permet aux victimes (ou leurs ayants droit) d’obtenir une réparation complémentaire pour les souffrances physiques et morales endurées après consolidation, sans qu'il soit nécessaire de fournir la preuve que la rente prévue par le code de la sécurité sociale ne couvre pas déjà ces souffrances.

La Cour de cassation justifie sa décision :

  • si la jurisprudence antérieure était "justifiée par le souhait d'éviter des situations de double indemnisation du préjudice, elle est de nature néanmoins, ainsi qu'une partie de la doctrine a pu le relever, à se concilier imparfaitement avec le caractère forfaitaire de la rente au regard du mode de calcul de celle-ci, tenant compte du salaire de référence et reposant sur le taux d'incapacité permanente défini à l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale" ;
  • la preuve de ce que la rente n'indemnise pas le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent pouvait être difficile à apporter ;
  • "ce revirement marque aussi un rapprochement avec la jurisprudence du Conseil d’État qui juge que la rente d’accident du travail vise uniquement à réparer les préjudices subis par le salarié dans le cadre de sa vie professionnelle (pertes de gains professionnels et incidence professionnelle de l’incapacité)", tel qu'argumenté dans l'une des affaires.

Avec ces décisions, la Cour de cassation élargit le périmètre d’indemnisation d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, en cas de faute inexcusable de l’employeur.

Dans son communiqué de presse, elle explique que les victimes, comme leurs ayants droit, seront à l'avenir mieux indemnisées, notamment celles qui ont été exposées à l’amiante.

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