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« Comment faire en sorte que l’Europe devienne “une superpuissance des PME” » ? C’est le titre d’un récent rapport publié par Business Europe, le lobby patronal européen. Ce document pose « comme priorité numéro un des institutions de l’UE » de s’attaquer à « l’inflation réglementaire » qui, aux yeux de l’organisation, « s’accompagne de coûts majeurs de reporting et de mise en conformité pour les entreprises européennes et est particulièrement nocive pour les PME ».
Afin d’appuyer cette affirmation, les auteurs proclament qu’« entre 2017 et 2022 le législateur européen a imposé un total de 850 nouvelles obligations pour les entreprises, représentant plus de 5000 pages de législations », au sein d’un encadré mis en exergue (p. 3 du rapport).
D’où proviennent ces données ? Qu’est-ce qu’une « nouvelle obligation » ? Et dans quelle mesure ces dernières concernent-elles les PME ? Business Europe se réfère en fait à une étude de mars 2023 menée par le groupe de réflexion Confrontations Europe sur commande du Medef (membre de Business Europe).
Les 850 « nouvelles obligations » étant, en effet, listées dans ce document y sont définies comme « toute exigence légale imposant une action additionnelle (changement organisationnel ou opérationnel, publication d’information, formalité administrative, modification d’infrastructures, équipes supplémentaires, etc.) restriction, responsabilité, contrôle direct, ou coût pour les entreprises ».
La mise en pratique de cette définition très large, dont Confrontations Europe reconnaît d’ailleurs le caractère « subjectif », et l’utilisation faite de ces chiffres par Business Europe peuvent induire en erreur.
Des catégories d'entreprises ciblées
D’abord, une grande partie desdites « nouvelles obligations » listées ne vise que certaines catégories d’entreprises, parfois très réduites ; elles ne s’appliquent pas à l’ensemble, ni à une majorité des sociétés dans l’UE, comme l’expression « obligations pour les entreprises » peut le laisser penser. A fortiori, ces dispositions ne concernent pas toujours les PME.
Exemple marquant, le « reporting de durabilité », prévu par la directive européenne CSRD, dont Business Europe appelle, deux paragraphes plus bas, à ce qu’il « reste simple et équilibré pour les PME », ne s’applique en réalité que de manière marginale aux PME.
Les autres exemples sont légion. Ainsi, on dénombre dans l’étude de Confrontations Europe quarante « obligations » imposées « aux entreprises » en vertu d’un règlement d’avril 2017 « relatif aux dispositifs médicaux ». Il va de soi que ces dispositions-ci - telles que les « conditions » auxquelles « une investigation clinique peut être conduite sur des mineurs ou sur femmes enceintes ou allaitantes » - ne s'appliquent qu’à une infime minorité de sociétés dans l’UE.
Plus frappant encore, une quarantaine d’obligations recensées par ailleurs proviennent d’un règlement de juin 2019 sur le « produit paneuropéen d’épargne-retraite individuelle (PEPP) » : il s’agit pour l’essentiel des conditions à remplir pour distribuer ce nouveau produit financier européen.
Or, au fond, rien n’oblige les entreprises financières à proposer ledit produit… et donc à respecter ces obligations. De fait, le média spécialisé L’Agefi indiquait fin octobre 2023 qu’« aucun acteur français [n’avait] effectué une demande d'agrégation pour distribuer le nouveau support d'épargne retraite » et que seulement « un pays aurait déclaré avoir un acteur intéressé », à cette même période.
Gonfler les chiffres ?
Au moins deux autres choix des auteurs de l’étude conduisent à gonfler le nombre des « nouvelles obligations » créées par l’UE. D’abord, celui d’inclure dans leur liste les dispositions comprises dans des « actes délégués » - textes dont la fonction dans le droit de l’UE est comparable à certains égards à celle des décrets d'application dans le droit français.
Les colégislateurs peuvent habiliter la Commission européenne à adopter pendant une période donnée ces actes qui complètent ou modifient certains éléments non essentiels de l'acte législatif d’origine. Un acte délégué est ainsi voué à préciser des dispositions déjà prévues par l’acte législatif d’origine.
Un exemple concret :
- sont listées dans le document les obligations générales découlant du règlement de juillet 2017 « établissant un cadre pour l'étiquetage énergétique » ;
- puis ces mêmes obligations figurent de nouveau, déclinées avec plus de détails via deux actes délégués adoptés ultérieurement, pour les cas spécifiques des « lave-vaisselle ménagers » et des « appareils de réfrigération »,
- ces deux règlements délégués précisant l’application de l'article 11 paragraphe 5 du règlement d’origine sur l’étiquette énergie de A à G.
Il faut relever aussi que ces « nouvelles » obligations ne sont en réalité que l’évolution d’anciennes. Le règlement sur l’étiquetage énergétique remplace ainsi une directive de 2010.
Enfin, l’expression « nouvelles obligations » peut être contestée plus largement. Car régulièrement, les règlements ou directives adoptés par l’UE servent surtout à harmoniser des règles préexistantes au niveau national. Et parfois, les règles déjà en vigueur dans certains pays comme la France sont plus exigeantes que celles adoptées ensuite par l’UE. De sorte que la loi européenne fait alors office de standard minimum, davantage qu’elle ne crée de nouvelles obligations à travers les 27 États membres.