Le benchmark de la vigilance climatique des multinationales est une étude juridique comparative menée par Notre Affaire à Tous. Elle mesure à partir des documents officiels (DEU : document d’enregistrement universel, stratégie climat, plan de vigilance…) les performances climatiques de 26 multinationales françaises (*) parmi les plus émettrices de gaz à effet de serre, qui appartiennent à des secteurs comme l’énergie, la finance, l’industrie, le transport, la construction et l’agro-alimentaire. La loi française de 2017 sur le devoir de vigilance oblige les entreprises à adopter des plans de vigilance mais elle ne prévoit ni contrôle, ni sanction… Et si les résultats de cette année marquent une amélioration par rapport au 1er benchmark, ils laissent penser qu’une démarche volontaire est insuffisante.
Noter les entreprises
L’objectif du benchmark est d’« identifier les lacunes du volet climat des plans de vigilance des entreprises étudiées », précise Anne Stevignon, juriste de Notre Affaire à Tous lors d’un webinaire organisé par l’ONG le 12 mars. Pour cela, il prend appui sur les obligations posées par la loi sur le devoir de vigilance du 27 mars 2017 et sur des critères de notation pour évaluer si elles se conforment à ces obligations.
Chaque entreprise est notée sur 100 sur les critères suivants : le traçage des émissions de GES de scope 1, 2, 3 (note sur 15) l’identification des dangers et la nécessité d’agir contre le changement climatique (note sur 15), les objectifs généraux de lutte contre le changement climatique (note sur 30), la mise en œuvre de mesures concrètes de lutte contre le changement climatique (note sur 30), la conformité du plan de vigilance (note sur 30).
Parmi les entreprises dont le taux de conformité est le plus élevé figurent Schneider Electric (77 sur 100), Michelin (60 sur 100) et Danone (59,5). Le taux le plus bas étant celui de Natixis, Casino (12,5 sur 100) et Bolloré (20 sur 100).
L’intégration du climat est inégale d’un plan de vigilance à l’autre. Toutes les entreprises intègrent l’enjeu climatique à leur plan de vigilance sauf Véolia et Casino. Elles n’obtiennent donc aucun point sur le critère 3 relatif au plan de vigilance. D’autres incluent le climat de façon très superficielle (Auchan) ou estiment que le climat va au-delà des exigences de la loi.
Mais beaucoup se cachent derrière des arguments pour limiter leur responsabilité individuelle et donc prendre les mesures nécessaires pour faire baisser leur impact sur le réchauffement.
Des modèles économiques incompatibles avec l’objectif de 1,5°
De plus en plus d’entreprises intègrent cependant leurs engagements, objectifs de décarbonation et mesures importantes dans leur plan de vigilance. Mais elles continuent à avoir des modèles économiques incompatibles avec l’objectif de 1,5° fixé par l’Accord de Paris, exposant les personnes et l’environnement à des atteintes et s’exposant à des contentieux.
Le benchmark s’est notamment intéressé aux actions menées en matière de réduction des gaz à effet de serre. Les émissions des scopes 1, 2 et 3 des 26 multinationales françaises étudiées s’élèvent à 2 577 MtCO2eq, ce qui signifie qu’elles ont le pouvoir – à elles seules – d’agir sur 4,51 % des émissions mondiales de GES. Et 17 multinationales refusent d’intégrer les émissions indirectes de scope 3 dans leur plan, soit en omettant de comptabiliser pleinement leur émission, soit en insistant sur la responsabilité collective.
De plus, « les objectifs affichés par ces multinationales ne permettraient de réduire leurs émissions d’à peine plus de12 % d’ici 2030 » indique le communiqué, alors que l’Accord de Paris en requiert 50 %. 17 entreprises sur 26 annoncent viser une trajectoire à 1,5° alors que les autres assument encore une trajectoire à 2° ou même se contentent de mentionner l’objectif de neutralité carbone en 2050. « Si le benchmark met en lumière des développements positifs, ces objectifs ne sont pas garantis par des mesures concrètes correspondantes. Selon nos projections, seules Stellantis, PSA et Danone seraient réellement alignées sur une trajectoire 1,5. », précise Anne Stevignon.
Nécessité de réglementer les multinationales en matière climatique
Enfin, les entreprises n’anticipent pas assez un dépassement de température à 1,5° avec un niveau de détail suffisant. « Aucune entreprise ne cite l’augmentation significative des risques d’emballement climatique », rappelle Paul Mougeolle, juriste de l’ONG également. Ce sont des points de bascule en matière climatique qui seraient irréversibles et qui sont particulièrement dangereux. « Les entreprises contribuent à ce risque mais ne l’identifient pas », précise-t-il.
Le constat est sans appel pour l’ONG : « l’autorégulation est un échec et sans normes contraignantes dont l’application est contrôlée, les entreprises ne seront pas au rendez-vous de la transition. », explique le communiqué. « Il y a encore très peu d’entreprises qui à la fois prévoient de faire leur part et reconnaissent avoir une obligation de faire leur part pour respecter l’accord de Paris », indique Justine Ripoll, responsable des campagnes de l’ONG lors du webinaire.
Ce benchmark démontre « l’absolue nécessité d’imposer au plus vite des règles plus contraignantes, plus claires et plus fortes aux entreprises pour les obliger à faire leur part et intégrer les enjeux climatiques dans leur stratégie », poursuit-elle. Ce n’est pourtant pas le tournant qui est pris au niveau européen avec le détricotage prévu du Pacte vert et notamment de la directive sur le devoir du vigilance (CS3D) qui prévoyait des sanctions importantes pour les entreprises. Plusieurs projets dits Omnibus, allant dans ce sens, ont été publiés par la Commission européenne le 26 février, dont les premiers votes débutent le 1er avril.
(*) Les 26 entreprises françaises dont les mesures de vigilance climatique ont été étudiées sont : EDF, ENGIE, TotalEnergies, AXA, BNP Paribas, Cr édit Agricole, Natixis, Soci ét é G én érale, Air Liquide, ArcelorMittal, Bollor é, Schneider Electric, Veolia, A éroports d lee Paris, Airbus, Air France – KLM, Michelin, Renault, Stellantis-PSA, Bouygues, Eiffage, Vinci, Auchan, Carrefour, Casino, Danone.