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28 juillet 2023
Patricia Savin est avocate associée du département environnement de DS Avocats qui a été accrédité par le Cofrac en qualité d’OTI (organisme tiers indépendant). Elle certifie actuellement les DPEF réalisées par les entreprises. Elle analyse le volet environnemental de l'avant-projet de normes ESRS soumis à consultation publique par l'executif européen.

La directive CSRD a prévu la publication de normes « standardisées » de reporting de durabilité (les normes ESRS) applicables à toutes les entités européennes qui atteignent certains seuils. Ce jeu de normes harmonisera le vocabulaire et le contenu des informations à publier par toutes les sociétés partout en europe. Un premier jeu de douze normes universelles (ESRS 1 à ESRS G1) doit être officiellement présenté par la Commission européenne d’ici la fin de l’année 2023 (à la suite des recommandations émises par l’EFRAG en novembre 2022 et de la consultation publique menée par les services de la Commission entre le 9 juin et le 7 juillet derniers).

Que pensez-vous du projet d’acte délégué soumis à consultation publique ?

Il est moins ambitieux que le projet présenté par l’EFRAG en novembre 2022. La Commission européenne a retenu – à ce stade – une approche pragmatique que certains acteurs qualifient d’opérationnelle ou d’« étapiste ».

Le rapport de durabilité représente un choc normatif pour les entreprises, surtout celles qui ne sont pas des établissements d’intérêt public (EIP) [les entreprises non cotées, ndlr] parce qu’elles ont, notamment, moins de moyens. La directive CSRD bouleverse beaucoup de données par rapport à l’existant, tant en termes d’obligations pesant sur les entreprises ou les OTI. A l’origine, le rapport extra-financier était une « liste de course sans odeur ni saveur » d’items sociaux et environnementaux à renseigner. Cela ne traduisait pas réellement l’emprunte environnementale ou sociétale d’une entreprise. Avec la déclaration de performance extra-financière (DPEF), le rapport a été recentré sur le modèle de l’entreprise et sur ses impacts sur l’environnement, principalement. Mais l’exercice, plus intelligent, a, petit à petit, glissé vers le « greenwashing ». La directive CSRD était donc bienvenue en ce qu’elle vise à une comparaison objective des données extra-financières. Il y a néanmoins un « gap » entre la DPEF et le futur rapport de durabilité pour l’ensemble des opérateurs qui y seront soumis.

Quels sont, selon vous, les éléments positifs de l’avant-projet ?

Tous les sujets environnementaux, de gouvernance et sociaux sont couverts, alors que ce n’était pas nécessairement gagné. Une forte mobilisation a eu lieu pour insister sur la nécessité de traiter l’ensemble des enjeux environnementaux comme « un tout » (le climat, la biodiversité, les ressources naturelles, la pollution, etc.) et de les appréhender dans leur globalité.

Autre élément positif concernant la directive CSRD : sa portée extraterritoriale. Elle présente un standard en matière de RSE à un niveau mondial. L’Union européenne a osé porter une exigence ESG qui s’impose tant à ses opérateurs économiques, qu’à ceux désirant pénétrer son marché unique.

Au contraire, quels sont les éléments négatifs que vous retenez ?

L’avant-projet conserve le caractère obligatoire du rapport de durabilité. Toutefois, la Commission pose des tempéraments en ayant recours au principe d’analyse de matérialité. L’entreprise qui devra mener cette analyse pourrait décider, de façon subjective, de mentionner ou non dans son rapport une information environnementale en tenant compte de son activité économique. Il lui sera donc possible de préciser dans son rapport de durabilité qu’elle ne communique pas d’information extra-financière en lien avec la biodiversité, le climat, etc. Il y aura ainsi de la subjectivité que certains commentateurs critiquent fortement. 

Néanmoins, une entreprise qui, en présentant un rapport dégradé, omettrait de renseigner et donc d’apporter une quantification à un thème environnemental, pourrait être rattrapée par le marché si ses concurrents publient un rapport exhaustif. Les agences de notation le verront. Elles réaliseront des comparaisons entre les acteurs d’un même secteur. Je pense qu’une régulation se fera ainsi par le marché. De plus, au titre de la directive SFDR, les établissements financiers ont, eux, l’obligation d’obtenir des informations de la part des entreprises qu’ils financent sur le thème du climat. Aussi, une entreprise qui ne se sentirait pas concernée par la publication d’information sur ses émissions de gaz à effet de serre - car elle ne fait pas partie des gros émetteurs – pourrait néanmoins se voir contrainte de produire cette donnée par un établissement financier, lui-même soumis à des obligations au titre de la règlementation SFDR. Il y a parfois de l’incohérence entre les différentes normes européennes qui vont probablement converger grâce aux pratiques des assujetties.

L’autre sujet environnemental « dégradé » dans l’avant-projet concerne la suppression de l’obligation de publier un plan de préservation et de restauration de la biodiversité d’ici 2030. L’enjeu de la biodiversité est important. Présenter un tel plan est compliqué pour les entreprises mais il les oblige à s’interroger sur le sujet. Il a une vertu pédagogique. Il faudrait peut-être prévoir des obligations échelonnées via différentes étapes pour les entreprises.

Qu’attendez-vous désormais ?

Dans un premier temps, nous attendons l’acte délégué de la Commission qui est le « décret d’application » de la directive CSRD. Il est fondamental.

En France, il serait pertinent que les professionnels habilités à vérifier les rapports de durabilité restent désignés par le vocable « d’organisme tiers indépendant » plutôt que par le terme de « prestataire de services d’assurance indépendant » (PSAI). Cela permettrait d’instaurer une continuité avec les avis émis pour les DPEF. Il est rappelé ici que les OTI sont des organismes qui vérifient la sincérité des données extra-financières dans une logique d’indépendance. Il est, à mon sens, très important de bien maintenir cette notion. C’est aussi la raison pour laquelle les PSAI doivent être pluriels : bureaux d’études techniques, avocats, experts comptables, commissaires aux comptes (CAC)… Les OTI, non CAC, devant bien sûr être accrédités par le COFRAC au titre de la norme ISO 17029.

propos recueillis par Sophie BRIDIER