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17 octobre 2024
Deux tiers des États membres de l’UE n’ont pas transposé dans les délais ce texte clé de la politique ESG de l’Union. Les défenseurs de la CSRD doivent-ils s’inquiéter ?

En partenariat avec  Les Surligneurs .

La nouvelle a alerté les partisans de la finance durable en Europe. Jeudi 26 septembre, la Commission européenne a annoncé ouvrir des procédures d'infraction – un recours en manquement – à l’encontre de 17 États membres de l’UE (dont l’Allemagne, l’Espagne, la Pologne, le Portugal, les Pays-Bas, ou encore la Belgique) n’ayant pas pleinement transposé la directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) au sein de leur droit national dans les délais - la date butoir avait été fixée au 6 juillet dernier.

Or, le temps presse : ce texte qui obligera des milliers d’entreprises à déclarer une série d’informations ESG afin d’aider les investisseurs à identifier celles aux pratiques les plus vertueuses, doit entrer progressivement en application à compter du 1er janvier prochain. La France avait pour sa part entamé sa transposition dès le 6 décembre dernier.

Pour autant, les pays épinglés menacent-ils l’intégrité de la CSRD ? A priori non : le lancement par la Commission européenne de ce type de procédure est en fait relativement courant. Et si, au bout de la phase administrative de la procédure d’infraction, les 17 retardataires se refusaient à obtempérer, l’exécutif européen pourrait alors saisir la Cour de justice de l’UE (comme prévu à l'article 258 du traité sur le fonctionnement de l'UE) en vue d'éventuelles sanctions.

Néanmoins, « dans environ 90 % des dossiers d'infraction, les États membres se conforment aux obligations qui leur incombent en vertu du droit de l'Union avant que la Cour ne soit saisie », note la Commission dans une fiche d’information en ligne. En général, l’envoi par la Commission d’une mise en demeure de s’expliquer, puis d’un avis formel motivé suffit à convaincre les États de se mettre en conformité avec le droit de l’UE.

Les défenseurs de la CSRD ont néanmoins matière à s’inquiéter. Car la nouvelle intervient dans le contexte d’une contestation toujours plus vive de cette législation clé du Green Deal.

Celle-ci est vue comme un fardeau imposé aux entreprises concernées par la partie droite du spectre politique de l’UE, laquelle est désormais dominante au Parlement européen comme à la table des vingt-sept États membres (au Conseil).

Renégocier la CSRD

« Nous devons mettre à profit le délai d’ici à la pleine mise en œuvre de la CSRD pour la renégocier », a plaidé le ministre allemand de la Justice, le libéral (FDP) Marco Buschmann, lors d’un événement organisé le 27 septembre à Berlin par la fédération allemande des chambres de commerce et d'industrie (DIHK).

« Ce type d’appels risque de brouiller le message auprès des entreprises qui mettent déjà en place les nouvelles règles et de celles qui s’y préparent », estime-t-on chez Frank Bold, un cabinet juridique spécialisé sur les sujets ESG en Europe.

« La CSRD et ses ESRS [pour « European Sustainability Reporting Standards », normes méthodologiques détaillant les informations que les différentes entreprises ciblées doivent publier] constituent une solution de marché à un problème identifié de longue date par les entreprises, par les acteurs des marchés financiers, et par les autorités de régulation : le besoin d’améliorer la qualité et l’accès à des informations de durabilité pertinentes pour prendre des décisions », estiment encore ces experts, dans une réponse adressée par écrit à Lefebvre Dalloz et aux Surligneurs.

Une ambition revue à la baisse ?

En tout état de cause, on pense à Bruxelles que l’ambition de la CSRD sera - en parallèle de sa transposition - revue à la baisse. Mais à quoi, concrètement, peut-on désormais s’attendre ? A minima, l’option qui tient la corde serait de réduire le nombre de sociétés ciblées par le texte - à ce stade un total d’environ 42 500 entreprises à l’horizon 2029.

Les grandes sociétés cotées sur un marché réglementé de l'UE seront les premières à réaliser leur déclaration en 2025 (sur l’exercice 2024). Puis doivent suivre en 2026 les « grandes entreprises », soit celles dépassant deux des trois critères suivants : un chiffre d'affaires net de 50 millions d'euros, un bilan supérieur à 25 millions d'euros ou un effectif d'au moins 250 employés.

Une possibilité serait de revoir (une nouvelle fois) ces seuils à la hausse afin de limiter le nombre de sociétés tombant dans cet ensemble, comme le suggère l’ancien banquier central Mario Draghi dans son rapport en faveur de la compétitivité.

Chez Frank Bold, on ne cache pas une inquiétude, sans nier certains accrocs dans les premiers pas de la CSRD : « En réalité le coût de mise en application des ESRS est bas lorsqu’on compare au reporting financier. Mais le problème est qu’il s’agit d’une nouvelle obligation, et que les équipes ESG des entreprises manquent par conséquent des ressources adéquates. Et ce problème s’amplifie avec la pression exercée par les auditeurs - pour qui c’est aussi une nouvelle mission. Ces derniers ont l’air d’appliquer l’approche très exigeante, et en l'occurrence trop exigeante, à laquelle ils sont habitués sur les bilans financiers », estiment ces experts.

Les procédures d’audit demandées par la CSRD sont en effet restreintes à une « assurance limitée» , ce qui implique en théorie un examen moindre de la part de l’auditeur que dans un audit complet.

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Clément SOLAL, journaliste Vincent Couronne, docteur en droit européen