L’ordonnance relative à la publication et à la certification d'informations en matière de durabilité a été publiée le 7 décembre dernier. S’il n’y a rien de nouveau par rapport à la directive CSRD, les entreprises doivent se structurer et s’organiser pour intégrer les nouvelles normes de durabilité.
A quels changements doivent s’attendre les entreprises au vu de la publication de l’ordonnance ?
Tout était déjà dans la directive CSRD. La transposition est conforme à ce qui était attendu et discuté avec la Chancellerie. Si on compare les directives CSRD et NFRD, c’est-à-dire le rapport de durabilité avec la déclaration de performance extra-financière (DPEF), la différence principale tient dans le principe de la double matérialité que nous n’avions pas auparavant, à savoir la mesure de l’impact de l’entreprise sur l’environnement et l’impact de l’environnement sur l’entreprise.
L’autre point très nouveau est de rentrer dans les différentes normes ESRS. Les entreprises doivent faire leur analyse de matérialité et ensuite bâtir une matrice par ESRS. Cela demande une organisation et une structuration très précises.
Enfin, les entreprises doivent anticiper le travail en équipe entre le financier et l'extra-financier. Par conséquent, la gouvernance sera différente de celle qui a été mise en œuvre précédemment avec la DPEF.
Regrettez-vous un élément ou l'absence d'un point abordé par l’ordonnance ?
Rien, car demander d'aller plus loin aurait été trop violent pour les entreprises. La France a levé l’option permettant d’assurer un contrôle des rapports par les commissaires aux comptes et les organismes tiers indépendants (OTI). C'est une satisfaction. Plutôt qu’un regret, j’attends éventuellement de savoir comment le tissu économique va s’approprier le sujet. Pour les entreprises qui avaient déjà "monté" la marche de la DPEF, il y a une étape supplémentaire à passer. Pour celles qui n’étaient pas dans le champ de la DPEF, le saut est en revanche très important.
Le rapport de durabilité ne ressemblera donc pas à la DPEF ?
La différence entre le rapport de durabilité et la DPEF est énorme. La DPEF partait des modèles d’affaires des entreprises. Ainsi, se posait uniquement la question de l’impact de leur activité sur l’environnement. De plus, l’information était plus ou moins précise. C’était d’ailleurs l’une des critiques de la DPEF. Avec la CSRD, nous sommes dans de l’ultra précis du fait des standards ESRS. Chaque entreprise doit annalyser toutes les lignes des ESRS, puis déclarer ce qui est matériel au regarde de ses activités. Il ne s’agit donc plus d’une simple narration du modèle d’affaire.
Autre point renforcé par la CSRD : le dialogue avec les parties prenantes. D’une DPEF à une autre, c’était plus au moins prégnant.
Les entreprises qui faisaient leur DPEF via le GRI (Global reporting initiative) avaient déjà des données précises et chiffrées. Elles pourront ainsi les réinjecter dans leur rapport de durabilité. Toutefois, pour celles qui n’avaient pas ces données, le travail de recherche sera plus important.
Comment allez-vous accompagner les entreprises dans ce processus ?
Nous intervenons auprès de nos clients en tant qu’accompagnateurs, formateurs et/ou OTI. D’abord, nous pouvons les accompagner pour se préparer à l’exercice de rédaction du rapport de durabilité, donc bâtir avec eux leur matrice et voir comment, en interne, chaque ESRS doit être renseigné. Par ailleurs, nous pouvons intervenir dans une phase de formation. Enfin, notre rôle peut être celui d’organisme tiers indépendant (OTI).
Quelles sont les premières étapes à mettre en place dès à présent pour réaliser son rapport ?
La première étape est de bâtir la matrice de matérialité. Il faut prendre l’acte délégué de juillet de 2023, rentrer dans le détail de chaque ESRS et déterminer ce que doit renseigner l'entreprise au regard de son activité.
Que faudra-t-il faire au moment des prochaines AG ?
L’entreprise devra nommer son OTI ou son commissaire aux comptes, c’est-à-dire l’auditeur qui aura la charge de certifier son rapport de durabilité. Il s'agit d'une nomination durant 6 ans.
Comment concilier cette ordonnance avec les autres réglementations, notamment le devoir de vigilance ?
En principe, même si c’est un peu tôt pour pouvoir l’apprécier, il y a de l’interopérabilité entre toutes les exigences réglementaires. L’objectif essentiel est d’éviter l’empilement de bases normatives et les incohérences réglementaires en matière de RSE qui obligent de refaire les exercices pour arriver à un même niveau. Il faut que chaque réglementation se réponde. Les informations doivent être réutilisables. Nous sommes tous dans l’attente de voir comment cela va se matérialiser mais nous avançons dans la bonne direction.
Que conseilleriez-vous aux directions juridiques pour anticiper la stratégie ESG de leurs société ?
En France, depuis la loi Pacte, il y a un renforcement des enjeux RSE au sein de chaque conseil d’administration. En effet, la loi Pacte a modifié le code de commerce et rend responsable les administrateurs. Ces derniers doivent veiller à ce que les décisions prennent en compte les aspects RSE. Au sein des conseils d'administration, il y a une montée en puissance très nette de la RSE qui n’était pas la préoccupation principale mais qui le devient. De plus en plus d’entreprises se dotent d’ailleurs de missions RSE.
De plus, la CSRD va renforcer de façon évidente le trio finance, juridique et développement durable. La grande force de la CSRD est d’obliger à penser en transversalité. Tout est totalement imbriqué d’autant que les agences de notation regardent de manière très précise ce que font les entreprises. Elles observent, dans le détail, l’impact et la trajectoire carbone. Demain, sera également regardée la trajectoire biodiversité : c’est-à-dire comment l’entreprise prend en compte ses externalités positives et négatives à l’égard de la biodiversité. Enfin, le dernier sujet concernera l’épuisement des ressources naturelles.