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7 juin 2024
L’Union européenne obligera-t-elle les agences de notation à « scinder » la notation des facteurs E, S et G ? Bien répondre à cette question requiert une lecture attentive du texte législatif final. Explications.

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Mettre de l’ordre parmi les notations ESG, un secteur devenu clé pour les marchés financiers, mais dont les pratiques suscitent une large défiance... Tel est l’objectif du projet de règlement définitivement adopté par le Parlement européen le 24 avril dernier. Le préambule du règlement expose clairement le problème : « Lors de la consultation publique qui a eu lieu en 2022, les parties prenantes ont confirmé les préoccupations quant au manque de transparence des méthodes et objectifs de notation ESG et à la clarté des activités de notation ESG. La confiance ayant un rôle central dans le fonctionnement des marchés financiers, il convient de résoudre d’urgence ce manque de transparence et de fiabilité ».

Parmi les griefs récurrents à l’égard de ces agences on retrouve la difficulté à comprendre sur quoi portent précisément les notes publiées. La confusion est d’autant plus grande lorsque, comme c’est souvent le cas, la notation est « agrégée » - elle traite à la fois des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance. Typiquement, une entreprise de l’industrie lourde dont l’empreinte écologique serait le premier sujet de préoccupation parmi les investisseurs peut bénéficier d’une note globale relativement bonne seulement car ses pratiques en matière de gouvernances sont jugées vertueuses. Et ce, a fortiori si l’agence accorde un poids supérieur au facteur « G », la gouvernance. 

La réforme de l’Union européenne doit mettre fin à ce genre de pratiques trompeuses. Mais comment ?  « Les agences devront scinder les notes liées aux facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance. Si une seule note ESG est fournie, la pondération des facteurs E, S et G devra être explicite », indiquait Reuters le 6 février, après l’accord final entre les institutions de l’UE. Or difficile, à la lecture de cette dépêche largement reprise dans les médias, de déterminer si le règlement introduit une obligation stricte de « scinder » les trois facteurs, comme le réclamaient le Parlement européen et sa rapporteure, Aurore Lalucq (eurodéputée française du groupe des Socialistes et Démocrates), ou non.

Pourtant, le règlement semble limpide : « Des notations E, S et G distinctes sont fournies plutôt qu’une mesure ESG unique regroupant les trois facteurs » (article 23 paragraphe 2). Mais très vite, la porte est ouverte aux exceptions, le paragraphe suivant précisant qu’il est possible malgré tout de présenter une seule note agrégée.

Tout dépend d'une question : à qui la note est-elle adressée ?

« Bien saisir ce que prévoit le compromis final sur ce point requiert une lecture attentive de son annexe III », explique Vincent Vandeloise, responsable de la finance durable chez l'ONG Finance. Les informations que les agences seront tenues de divulguer diffèrent en fait selon qu’elles sont adressées au « public » (celles-ci sont listées à l’alinéa 1 de l’annexe III) ou bien à un « utilisateur de notation ESG » - soit « une personne physique ou morale » à laquelle la notation « est transmise sur abonnement ou par le biais d’autres relations contractuelles » (alinéa 2 de l’annexe III).

Lorsque la communication s’adresse au public, via leur site internet par exemple, les agences peuvent ne s’en tenir qu’à une note agrégée. Elles doivent cependant préciser « la pondération de chacune des trois grandes catégories de facteurs ESG (par exemple, 33 % Environnement, 33 % Social, 33 % Gouvernance) et l’explication de la méthode de pondération […] », lit-on au point h) de l’alinéa 1 de l'annexe III auquel se référait visiblement Reuters. On est donc loin d’avoir 3 notes distinctes, car il sera quasiment impossible de déduire une note isolée E, S ou G malgré cette transparence. Les investisseurs particuliers qui ne sont pas abonnés n’auront donc pas accès à une notation détaillée « ce qui est regrettable vu qu’ils sont généralement moins armés pour tout comprendre », note Vincent Vandeloise.

Asymétrie d'information

En revanche, quand la notation est envoyée à leurs abonnés la note agrégée doit s’accompagner du « résultat de l’évaluation pour chacune des catégories de facteurs ESG, présenté d’une manière qui garantit la comparabilité des catégories E, S et G », prévoit le point iii) de l’alinéa 2, a) de l'annexe III. On a donc bien, ici, une obligation de communiquer les trois notes distinctes, mais seulement aux particuliers ou entreprises qui sont abonnés à l’agence de notation. Ce n’est pas rien : selon l’expert en finance durable, « les institutions financières ont massivement recours [à ces notations] pour ensuite déterminer leur politique d’investissement durable ».

Le nouveau règlement européen est donc une avancée indéniable vers plus de transparence et va donner des informations plus détaillées à ceux qui ont les moyens de s’abonner aux agences de notation. Mais en fait de transparence, il établit une asymétrie de l’information entre abonnés et non abonnés. Une étape importante, certes, mais qui n’est pas directement accessible au plus grand nombre.

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Clément Solal, journaliste Vincent Couronne, docteur en droit européen