La protection du lanceur d'alerte prévoit l'aménagement des règles de preuve lorsque le salarié concerné est sanctionné ou fait l'objet d'une mesure discriminatoire.
En effet, l'article L. 1132-3-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, prohibe tout licenciement, sanction ou discrimination « pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions ». En cas de litige dans ce cadre, « dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ».
Comment s'articulent ces règles de preuve avec le statut protecteur des représentants du personnel ? C'est dans ce cas l'administration qui octroie ou non l'autorisation de licencier le salarié, et le juge administratif qui contrôle cette décision.
Dans cet arrêt inédit du 27 avril 2022, le Conseil d'État fixe les règles applicables.
Signalement par un salarié protégé de faits d'abus de bien sociaux
Dans cette affaire, un salarié, membre du comité d'entreprise, signale des faits susceptibles d'avoir été commis par certains salariés et des responsables de la société, pouvant selon lui recevoir une qualification pénale, notamment celle du délit d'abus de bien sociaux.
Il diffuse largement ces déclarations : signalement auprès de l'inspection du travail, de l'Urssaf et du centre des impôts, puis dénonciation dans un courrier adressé aux commissaires aux comptes de la société, avec copie au préfet et au procureur de la République.
Autorisation de licenciement pour faute fondée sur les signalements octroyée
Son employeur demande à l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier ce salarié protégé pour faute, en raison de ce signalement. L'inspecteur refuse mais le ministre du travail autorise le licenciement, et les recours du salarié protégé devant les juges administratifs sont tous rejetés.
Le salarié se pourvoit devant le Conseil d'État.
Contrôles de l'administration en cas de demande d'autorisation de licenciement pour faute fondée sur un signalement de faits répréhensibles
Le Conseil d'État commence par préciser les contrôles que doit effectuer l'autorité administrative en cas de demande d'autorisation de licenciement pour faute d'un salarié protégé fondée sur un tel signalement de faits répréhensibles.
Dans ce cas, explique le Conseil d'État, en application de l'article L. 1132-3-3 du code du travail, l'autorité administrative doit rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir :
- si les faits dénoncés sont susceptibles de recevoir la qualification de crime ou de délit ;
- si le salarié en a eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions ;
- s'il peut être regardé comme ayant agi de bonne foi.
Lorsque ces 3 conditions sont remplies, l'autorité administrative doit refuser d'autoriser le licenciement.
Quant au juge administratif, ce sont également ces 3 points qu'il doit contrôler. Il forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utile, conformément à l'article L. 1132-3-3 du code du travail.
Remarque : dans cette affaire, la cour administrative d'appel avait relevé que « les accusations relatives à des abus de biens sociaux et à des détournements de fonds n'étaient étayées par aucun élément probant et mettaient en cause la probité de salariés nommément désignés ainsi que la réputation et l'image de la société, le fait qu'elles eussent été formulées dans le cadre des fonctions syndicales de l'intéressé n'étant pas de nature à leur ôter leur caractère fautif ». La cour en déduit que « ces faits constituaient une faute suffisamment grave pour justifier le licenciement ». Pour le Conseil d'État, le cour a commis une erreur de droit, son contrôle devant porter sur les 3 points résultants de l'article L. 1132-3-3 et pas sur la preuve de la réalité des faits allégués et ses conséquences. Cette solution est conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation relative au licenciement des salariés non-protégés lanceurs d'alerte. En effet, un salarié ne peut pas être licencié pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis (Cass. soc., 8 juill. 2020, n° 18-13.593).
Pas d'application des règles de preuve aménagées en cas de licenciement pour faute fondé sur un signalement de faits répréhensibles
Le Conseil d'État complète son mode d'emploi en cas de licenciement d'un salarié protégé lanceur d'alerte.
Il écarte l'application des règles de preuve aménagées fixées par l'article L. 1132-3-3 lorsque le licenciement (ou la mesure contestée) est « expressément fondé sur ce signalement », comme dans cette affaire. En effet, explique le Conseil d'État, cet aménagement des règles de dévolution de la preuve s'applique lorsqu'un salarié conteste des mesures défavorables prises à son encontre comme étant « en réalité, motivées par une déclaration ou un témoignage », c'est-à-dire lorsque la sanction n'est pas expressément fondée sur le signalement en cause.
Remarque : le Conseil d'État ne le dit pas expressément mais il nous semble qu'il en résulte que si l'autorisation de licenciement est octroyée sur un motif autre, et que le salarié protégé estime qu'il a en fait été sanctionné en raison de sa dénonciation, les règles aménagées de preuves de l'article L. 1132-3-3 trouvent alors à s'appliquer. Dans ce cas, le salarié protégé qui conteste son autorisation de licenciement devra alors « présenter des éléments de fait qui permettent de présumer qu'il a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime ». Quant à l'employeur, il devra « prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé ». Le juge formera sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.