Actualité
5 min de lecture
19 juillet 2023
L’examen médical à l’issue duquel un salarié peut être déclaré inapte à son poste peut être organisé à la demande d’un salarié et réalisé pendant la suspension de son contrat de travail.
L’inaptitude d’un salarié peut être constatée, à sa demande, pendant son arrêt maladie
©Gettyimages

Un licenciement pour inaptitude avec dispense de reclassement

Une entreprise placée en redressement judiciaire fait l’objet d’un plan de cession totale à une société tierce, avec reprise de certains salariés. Un salarié occupant un poste de soudeur se porte candidat pour un départ volontaire, mais cette candidature est rejetée car il n’est pas prioritaire. La société tierce qui reprend son contrat de travail l’informe de son poste d’affectation, qui implique de nombreux déplacements. Quelques jours plus tard, il est placé en arrêt maladie. Il écrit à son nouvel employeur pour l’informer qu’il refuse sa nouvelle affectation, notamment en raison de problèmes de dos et de hanche qui justifient, selon lui, un travail en atelier.

Une semaine plus tard, le salarié prend l’initiative de solliciter une visite médicale auprès du médecin du travail. Celui-ci, après examen, le déclare inapte à son poste et écarte tout reclassement en indiquant que son maintien dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé. Le salarié est convoqué à un entretien préalable, puis licencié pour inaptitude physique. L’affaire est rondement menée puisque, entre son placement en arrêt de travail et son licenciement, un mois et demi seulement s’est écoulé.

Le salarié saisit le juge prud’homal d’une demande d’indemnisation. Selon lui, son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, car le médecin du travail ne pouvait pas le déclarer inapte pendant son arrêt de travail.

La cour d’appel le déboute de cette demande, et cette décision est confirmée par la Cour de cassation dans un arrêt destiné à être publié au bulletin de ses chambres civiles : non seulement l’inaptitude du salarié peut être constatée à l’occasion d’un examen réalisé à sa demande, mais cet examen peut être pratiqué pendant la suspension du contrat de travail.

Le salarié peut prendre l’initiative d’un rendez-vous avec le médecin du travail …

À l’appui de sa décision, la Cour de cassation rappelle les termes de l’article R 4624-34 du Code du travail, issu du décret 2016-1908 du 27 décembre 2016, pris pour l’application de la loi « Travail » du 8 août 2016, qui a profondément réformé les règles de surveillance médicale au travail.

Ce texte dispose que, indépendamment des examens de suivi régulier de son état de santé, le travailleur peut bénéficier, à sa demande ou à celle de l'employeur, d'un examen par le médecin du travail. Le travailleur peut notamment solliciter une visite médicale lorsqu'il anticipe un risque d'inaptitude, dans l'objectif d'engager une démarche de maintien en emploi et de bénéficier d'un accompagnement personnalisé.

A noter :

La possibilité pour le salarié de solliciter, de sa propre initiative, un examen médical auprès du médecin du travail n’est pas nouvelle : l’ancien article R 241-49 du Code du travail le prévoit depuis 1987. La nouveauté introduite par le décret de 2016 est le lien potentiel entre cette visite et le « risque d’inaptitude » susceptible d’être constatée par le médecin du travail.

… au cours duquel il peut être déclaré inapte …

La Cour de cassation précise ensuite que le médecin du travail peut constater l’inaptitude d’un salarié à son poste à l’occasion d’un examen sollicité par ce dernier.

Dans leur rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de la loi « Travail », les articles L 1226-2 et L 1226-10 du Code du travail prévoyaient que le salarié est déclaré inapte « à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail » consécutives à la maladie ou à l’accident. Ainsi, l’inaptitude devait en principe être constatée à l’occasion de la visite médicale de reprise, organisée par l’employeur après l’arrêt de travail, et qui met fin à la suspension du contrat de travail.

Mais cette référence implicite à la visite de reprise a été supprimée par la loi « Travail ». L’article L 4624-4 du Code du travail, sur lequel s’appuie le raisonnement de la Cour de cassation, énumère les conditions auxquelles est subordonné le constat d’inaptitude : une étude de poste, un échange du médecin du travail avec l’employeur et le salarié, et le constat médical que l’état de santé de ce dernier justifie un changement de poste. Aucune référence n’est faite au cadre dans lequel l’inaptitude est constatée, et il n’est pas exigé que ce constat ait lieu exclusivement dans le cadre de la visite médicale de reprise ou d’une visite organisée à la demande de l’employeur.

A noter :

Même sous l’empire des textes antérieurs à la loi « Travail », la Cour de cassation jugeait, de manière constante, que le Code du travail n'impose pas que l'inaptitude soit constatée au cours de la visite médicale de reprise : le médecin du travail peut la constater après tout examen médical qu'il pratique au cours de l'exécution du contrat de travail (par exemple, une visite périodique : Cass. soc. 8-4-2010 n° 09-40.975 FS-PB ; Cass. soc. 21-9-2017 n° 16-16.549 FS-PB). Y compris, donc, un examen médical sollicité par le salarié sur le fondement de l’article R 4624-34 du Code du travail.

… même si son contrat de travail est suspendu

C’est là que se situe la véritable nouveauté : la Cour de cassation juge que l’inaptitude peut être constatée par le médecin du travail même si l’examen médical initié par le salarié a lieu pendant son arrêt de travail pour maladie.

A noter :

Ce n’est pas la première fois que la Cour de cassation admet la possibilité d’un constat d’inaptitude au cours d’un arrêt de travail. Elle a en effet jugé que le licenciement pour inaptitude physique ne pouvait pas être jugé abusif au motif que le premier des deux examens médicaux nécessaires au constat de l’inaptitude, en application des textes en vigueur à l’époque des faits, avait été pratiqué pendant la prolongation d’un arrêt maladie (Cass. soc. 20-11-2013 n° 12-17.753 F-D). Mais il s’agissait d’un arrêt d’espèce, non publié, et la procédure de constat de l’inaptitude par le médecin du travail a, depuis le 1er janvier 2017, été réformée : le salarié peut être déclaré inapte à l’issue d’une seule visite médicale.

La décision, prise en application des textes du Code du travail dans leur rédaction en vigueur depuis le 1er janvier 2017, a-t-elle une portée générale et autorise-t-elle un constat d’inaptitude à tout moment, y compris en cours de suspension du contrat, quel que soit le type d’examen médical pratiqué ? Ou bien la solution est-elle limitée au cas où la visite médicale est organisée dans le cadre de l’article R 4624-34 du Code du travail, ce texte visant expressément l’anticipation du risque d’inaptitude ? La lecture de l’arrêt ne permet pas de trancher le débat.

On notera juste que la Cour de cassation prend soin de relever que :

- dans son avis d'inaptitude, le médecin du travail a bien spécifié que la visite médicale avait été organisée dans le cadre prévu par l'article R 4624-34 du Code du travail ;

- l’inaptitude a été régulièrement constatée par le médecin du travail, conformément aux dispositions de l’article L 4624-4, après une étude de poste et un échange avec l’employeur.

Documents et liens associés

Cass. soc. 24-5-2023 n° 22-10.517 FS-B, F. c/ Sté Axima concept

Avec le Feuillet Rapide social, suivez toute l'actualité sociale commentée et analysée pour assurer la relance d'activité pour vos clients ou votre entreprise :

Vous êtes abonné ? Accédez la revue à distance grâce à la version en ligne

Pas encore abonné ? Nous vous offrons un essai gratuit d'un mois à la revue Feuillet Rapide social.

Changements importants sur l’acquisition des congés payés en cas de maladie ou d'accident

Une véritable révolution jurisprudentielle : tout arrêt de travail pour maladie ou accident ouvre droit à congés, la prescription ne court pas si l’employeur est défaillant et les congés non pris avant un congé parental sont conservés. Modification du régime des congés payés : découvrez gratuitement l’analyse de notre rédaction dans Navis Social.

Aller plus loin
ELnet SOCIAL
180 études pour une réponse sûre et opérationnelle et 600 modèles, directement utilisables pour la gestion sociale de l’entreprise
à partir de 1309.92€ HT/mois
ELnet SOCIAL