Hérité du CHSCT, le CSE est désormais titulaire du droit d'alerte en situation de danger grave et imminent (C. trav., art. L. 4132-1 à L. 4132-5). Dans l'affaire ayant donné lieu à l'avis du 12 février, il est toujours question du CHSCT, lequel est resté en place à la Poste plusieurs années après la création du CSE, englobant ledit CHSCT. Pour plus de simplicité, nous évoquerons dans cet article le CSE, la solution dégagée par la Cour s'y appliquant de la même façon. En effet, les dispositions en cause n'ont pas été modifiées lors du passage à l'instance unique.
Demande d'avis quant à l'interprétation de l'article L. 4132-4 du code du travail
Dans cet arrêt, une réorganisation au sein de la Poste prévoit la délocalisation de plusieurs sites. Le CHSCT (CSE) initie une procédure d'alerte pour danger grave et imminent (DGI). L'enquête menée conjointement entre employeur et membres du comité aboutit à un désaccord, et les membres du CSE votent l'engagement d'une procédure judiciaire. Mais le déménagement a tout de même lieu.
Dans ce contexte, le comité saisit le juge des référés du tribunal judiciaire avec 2 requêtes :
- voir commettre un bureau d'études spécialisé en structure de bâtiments, avec pour mission d'apprécier la capacité portante des dalles des planchers des nouveaux locaux ;
- dans l'attente des résultats de cette étude, et du respect des éventuelles mesures prescrites, voir ordonner, sous astreinte, la suspension de la délocalisation des agents sur ledit site.
Mais le juge des référés n'est pas sûr de sa qualité à intervenir dans ce cadre. Il transmet donc à la Cour de cassation une demande d'avis rédigée en ces termes : « L'article L. 4132-4 du code du travail donne-t-il pouvoir au juge judiciaire pour statuer en cas de divergence entre l'employeur et la majorité des membres du CHSCT (CSE) sur la réalité d'un danger grave et imminent ? »
Articulation des textes relatifs à l'alerte en cas de DGI
La procédure d'alerte des représentants du personnel en cas de DGI est précisée par plusieurs articles du code du travail :
- lorsqu'un membre du CSE constate qu'il existe une cause de danger grave et imminent, il en alerte immédiatement l'employeur (C. trav., art. L. 4131-2 ) ;
- une enquête s'ensuit avec le représentant du comité qui a signalé le danger (C. trav., art. L. 4132-2) ;
- en cas de divergence sur la réalité du danger ou la façon de le faire cesser, le comité est réuni d'urgence dans les 24 heures et l'employeur informe immédiatement l'inspecteur du travail et l'agent du service de prévention de la Cram (C. trav., art. L. 4132-3) ;
- à défaut d'accord entre l'employeur et la majorité des membres du comité sur les mesures à prendre et leurs conditions d'exécution, l'inspecteur du travail est saisi immédiatement par l'employeur (C. trav., art. L. 4132-4) ;
- l'inspecteur peut alors mettre en œuvre, notamment, la procédure de référé prévue aux articles L. 4732-1 (possibilité de saisine du juge des référés judiciaire par l'inspecteur du travail pour voir ordonner toutes mesures propres à faire cesser le risque, telles que par exemple la mise hors service, l'immobilisation, la saisie des matériels..., en cas de risque sérieux d'atteinte à l'intégrité physique d'un travailleur) et L. 4732-2 (dispositions spécifiques pour les opérations de BTP) du code du travail (C. trav., art. L. 4132-4).
Or dans cette affaire, c'est le comité qui a saisi le juge des référés de ses demandes sur le fondement de l'article L. 4132-4, lequel article n'octroie pas expressément au juge judiciaire le pouvoir de statuer sur la réalité du DGI.
Prise en compte de l'objet des demandes dont est saisi le juge des référés du TJ
Pour répondre à la demande d'avis, la Cour de cassation pose un principe : « il convient de se reporter à l'objet des demandes dont est saisi le juge des référés du tribunal judiciaire dès lors que le danger grave et imminent, sur l'existence duquel il est invité par les parties à se prononcer, ne constitue que le fondement juridique des différents chefs de demandes ».
Puis il l'applique aux demandes effectuées.
La désignation d'un bureau d'étude spécialisé est une demande d'expertise au titre du risque grave
La première demande du comité au juge est en effet de commettre un bureau d'études spécialisé en structure de bâtiments. La Cour de cassation considère que cette requête s'analyse en une demande d'expertise. Or, le CSE dispose de la prérogative légale de décider d'une expertise pour risque grave constaté dans l'établissement sur le fondement de l'article L. 2315-94,1° (L. 4614-12,1° pour le CHSCT). Dans ce cadre, les contestations par l'employeur de la nécessité de l'expertise, du choix de l'expert, du coût prévisionnel, de l'étendue ou la durée de l'expertise sont de la seule compétence du président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond.
La Cour en conclut que le comité n'est pas recevable à solliciter du juge judiciaire statuant en référé une mesure d'expertise sur le fondement de l'article L. 4132-4 du code du travail.
Remarque
la Cour précise également qu'un syndicat n'est pas recevable dans sa prétention tendant à exercer une prérogative propre du comité et ce même en invoquant au nom de l'intérêt collectif de la profession le fondement juridique de la procédure d'alerte pour DGI.
Concrètement, donc, le comité aurait dû voter le recours à ce bureau d'études sur le fondement de son droit à expertise pour risque grave (et choisir un expert habilité pour ce faire). Et ç'aurait alors été à l'employeur de contester cette désignation dans les 10 jours, devant le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond. Dans ce cadre, le président du tribunal judiciaire aurait jugé de l'existence du risque grave (risque identifié et actuel).
La demande de suspension de la délocalisation est une demande de suspension de la mise en œuvre d'un projet de réorganisation
La deuxième requête du comité est une demande en suspension, sous astreinte, de la délocalisation des agents. Pour la Cour, cette demande s'analyse en une demande tendant à suspendre la mise en œuvre d'un projet de réorganisation.
Or, à cet égard, les articles L. 4732-1 et L. 4732-2 du code du travail, auxquels renvoie l'article L. 4132-4, prévoient des mesures qui peuvent être décidées par le juge judiciaire statuant en référé, et notamment l'arrêt temporaire d'une activité.
En effet, selon l'article L. 4732-1, l'inspecteur du travail saisit le juge judiciaire statuant en référé pour ordonner toutes mesures propres à faire cesser le risque, telles que la mise hors service, l'immobilisation, la saisie des matériels, machines, dispositifs, produits ou autres, lorsqu'il constate un risque sérieux d'atteinte à l'intégrité physique d'un travailleur résultant de l'inobservation notamment des dispositions du Titre III du Livre Ier, dont celles consacrées aux droits d'alerte et de retrait, et le juge peut également ordonner la fermeture temporaire d'un atelier ou chantier.
Il résulte toutefois de la combinaison des articles L. 4132-4 et L. 4732-1 du code du travail que, si l'objet de la demande de suspension du projet de réorganisation entre dans le champ des mesures susceptibles d'être ordonnées par le président du tribunal judiciaire statuant en référé, celui-ci ne peut être saisi, en application de l'article L. 4132-4, que par l'inspecteur du travail. Si tel est le cas, le juge judiciaire peut se prononcer sur l'existence d'un danger grave et imminent.
Concrètement, seul l'inspecteur du travail peut saisir le juge des référés du tribunal judiciaire pour demander l'arrêt temporaire d'une activité sur le fondement de l'exercice du droit d'alerte en cas de DGI. Dans ce cadre, le tribunal judiciaire est habilité à juger de la réalité du danger grave et imminent.
Le comité ne peut donc pas actionner ce recours. Du moins pas sur le fondement de l'article L. 4132-4 relatif à l'alerte pour DGI.
Possibilité d'un recours devant le juge des référés par le comité au titre de l'obligation de sécurité
La Cour de cassation va plus loin que sa réponse à la question posée et ouvre la possibilité d'une action en justice du CSE.
Elle explique que, selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, le juge des référés peut être saisi sur le fondement des dispositions de droit commun des articles 834 et 835 du code de procédure civile, au titre de l'obligation de sécurité instaurée par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.
Remarque
la Cour vise deux arrêts (Cass. soc., 7 déc. 2016, n° 15-16.769, concernant l'obligation de sécurité vis-à-vis de sous-traitants ; Cass. soc., 14 nov. 2019, n° 18-13.887, concernant l'obligation de sécurité en matière de risques psychosociaux).
Dans ce cadre, le juge des référés peut ordonner notamment la suspension d'une mesure constituant un risque de danger grave et imminent. Il lui appartient à cet égard d'apprécier si les conditions exigées par les articles 834 ou 835 du code de procédure civile sont réunies.
Ainsi, le CSE peut agir devant le juge des référés du tribunal judiciaire au titre d'un trouble manifestement illicite constitué par un manquement à l'obligation de sécurité. Le juge peut se prononcer même en présence d'une contestation sérieuse, et peut ordonner des mesures conservatoires ou de remise en l'état en prévention d'un dommage imminent.