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21 août 2023
La cour administrative d’appel de Versailles condamne l’État pour ne pas avoir modifié les règles d’acquisition des congés payés par des salariés malades. Elle juge que sont contraires à l’article 7 de la directive 2003/88/CE, les dispositions du code du travail qui n’assimilent pas à du travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés les périodes pendant lesquelles l’exécution du contrat de travail est suspendue pour cause de maladie.

Invoquant une atteinte fautive portée par certaines dispositions du code du travail au droit aux congés payés des travailleurs tel qu’il résulte du droit de l’Union européenne, la CGT, FO et l’Union syndicale Solidaires saisissent la juridiction administrative. Elles demandent la condamnation de l’État à leur verser à chacune la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice subi par les salariés dont elles défendent les intérêts.

Dans une décision du 17 juillet 2023, la cour d’appel de Versailles leur donne gain de cause et condamne l’État à leur verser 10 000 euros chacun.

La non-conformité de certaines dispositions du code du travail au droit européen…

Le code du travail prévoit que le salarié a droit à un congé de 2,5 jours ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur et que la durée totale du congé exigible ne peut excéder 30 jours ouvrables (C. trav., art. L. 3141-3).

De nombreuses absences sont assimilées à du temps de travail effectif et plus particulièrement celles énumérées à l’article L. 3141-5 du code du travail. Il en est ainsi en cas de congés maladies en raison d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle.

En revanche, la période de suspension de son contrat de travail en raison d’un arrêt de travail pour origine non professionnelle ne permet pas au salarié d’acquérir des congés payés, ce cas de figure n’étant pas mentionné à l’article L. 3141-5 du code du travail.

La législation française est clairement contraire à la directive européenne sur le temps de travail de 2003 qui prévoit un droit à congés payés d’au moins 4 semaines (Dir. 2003/88/CE du 4 novembre 2003, art. 7), sans distinguer selon l’origine des absences et donc y compris en cas d’arrêt de travail pour maladie non-professionnelle (CJUE, 24 janv. 2012, aff. C-282/10).

… engage la responsabilité de l’État…

La directive européenne précitée ne peut pas être invoquée dans un litige entre salarié et employeur de droit privé. Elle n’a pas d’effet direct. Concrètement cela signifie que les juges ne peuvent s’y référer pour écarter les dispositions nationales contraires, si un salarié l’invoque pour réclamer des congés payés au titre d’une période d’absence pour maladie non-professionnelle (Cass. soc., 13 mars 2013, n° 11-22.285).

Remarque

cette directive est directement applicable et peut être invoqué par les salariés d’employeurs assimilés à une autorité publique (Cass. soc., 22 juin 2016, n° 15-20.111).

Toutefois, le salarié peut engager la responsabilité de l’État pour ne pas avoir mis le droit national en conformité et obtenir réparation du préjudice subi.

C’est dans ce contexte que les organisations syndicales précitées ont demandé la condamnation de l’État à leur verser à chacune la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice moral subi par les salariés dont elles défendent les intérêts.

Dans un premier temps, le tribunal administratif de Montreuil, approuvé par la CAA de Versailles le 30 juin 2020, rejette leur demande. Il retient que les confédérations n’établissaient pas l’existence d’un préjudice moral qui leur serait propre.

Mais dans une décision du 15 décembre 2021, le Conseil d’État annule cet arrêt. Il précise qu’un syndicat professionnel peut demander, devant le juge administratif, réparation du préjudice résultant de l’atteinte portée, du fait d’une faute commise par l’administration, à l’intérêt collectif de la profession qu’il représente sans avoir à justifier de l’existence d’un préjudice moral qui lui serait propre. Le Conseil d’État renvoie l’affaire devant la cour administrative d’appel de Versailles.

Dans sa décision du 17 juillet 2023, la CAA de Versailles juge que les organisations syndicales sont fondées à soutenir que l’article 7 de la directive 2003/88/CE, codifiant l’article 7 de la directive 93/104/CE, n’a pas été totalement transposé par les dispositions législatives du code du travail, qui laisse subsister des dispositions incompatibles vis-à-vis de cet article comme de l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

… qui doit indemniser les syndicats fondés à agir

Ce retard de transposition est susceptible, pour la cour administrative d'appel, d’engager la responsabilité de l’État en réparation du préjudice moral subi de ce fait par les salariés que représentent les organisations syndicales requérantes.

Le juge administratif reconnaît que les syndicats sont fondés à agir car elles justifient d’un préjudice moral résultant de l’atteinte portée à l’intérêt collectif que la loi leur donne pour objet de défendre. Elles peuvent dès lors demander réparation du préjudice ainsi subi, en conclut la cour administrative d'appel.

Alors que les organisations syndicales avaient demandé le versement à chacune de 50 000 euros, au regard de leur nombre d’adhérents et de leur audience au niveau national et interprofessionnel, le juge d'appel  limite l'indemnisation de leur préjudice à hauteur de 10 000 euros chacune. Pour fixer ce montant, elle tient compte du caractère diffus du préjudice invoqué et sa limitation dans le temps du fait des décisions du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation, laquelle a interprété les dispositions du code du travail, lorsque c’était possible, dans un sens permettant de donner plein effet à l’article 7 de la directive 2003/88/CE ou les a laissées inappliquées à l’invitation de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

Une solution en conformité avec la position de la Cour de cassation

Cette décision de la cour d'appel administrative de Versailles va dans le sens de la position de la Cour de cassation. Depuis 2013, dans ses rapports annuels elle demande au législateur à modifier le code du travail, en insérant le principe d’acquisition des droits à congés payés durant le congé maladie d’origine non professionnelle. Cette modification permettrait d’éviter la multiplication des actions en responsabilité contre l’État pour défaut de transposition de la directive de 2003 et mettrait fin à 20 ans de non-conformité au droit européen.

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