Les dispositions relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux ne portent pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité ; le producteur reste responsable des conséquences de sa faute et de celle des personnes dont il répond (C. civ. art. 1245-17 ; ex-art. 1386-18).
Par quatre arrêts du même jour rendus à propos du Mediator, la Cour de cassation revient sur la problématique de l’articulation entre la responsabilité du fait des produits défectueux et la responsabilité civile de droit commun.
Responsabilité du producteur pour faute distincte du défaut de sécurité...
Dans les quatre affaires, quatre victimes présentent des lésions cardiaques après s’être vu prescrire du Mediator. Elles agissent en responsabilité contre le laboratoire pharmaceutique ayant fabriqué et commercialisé ce médicament sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux (C. civ. art. 1245 s. ; ex-art. 1386-1 s.). Le laboratoire leur oppose la prescription de leur action, introduite plus de trois ans après la connaissance du dommage. Les victimes invoquent alors, sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle de droit commun (C. civ. art. 1240 ; ex-art. 1382), un manquement du laboratoire à son devoir de vigilance et de surveillance en commercialisant un produit dont il connaissait les risques ou en ne le retirant pas du marché français contrairement à d’autres pays européens.
Ces actions sont déclarées irrecevables comme prescrites par les juges d’appel qui retiennent que la responsabilité extracontractuelle ne pouvait pas se substituer au régime de la responsabilité du fait des produits défectueux, la faute reprochée au laboratoire n’étant pas distincte du défaut de sécurité du produit. Or, les victimes avaient agi plus de trois ans après la connaissance du dommage.
Censure de la Cour de cassation : la victime d'un dommage imputé à un produit défectueux peut agir en responsabilité contre le producteur sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, si elle établit que son dommage résulte d'une faute commise par le producteur, telle qu'un maintien en circulation du produit dont il connaît le défaut ou encore un manquement à son devoir de vigilance quant aux risques présentés par le produit.
Par suite, la Haute Juridiction renvoie chaque affaire devant une nouvelle cour d'appel qui devra déterminer si, selon les faits, une faute peut ainsi être retenue à l'encontre du laboratoire pharmaceutique.
... pouvant résulter du maintien en circulation d'un produit dont le défaut est connu
La responsabilité du fait des produits défectueux est, on le sait, une responsabilité sans faute, encore dite « de plein droit », qui s'applique au dommage résultant du défaut de sécurité d'un produit. Il a déjà été jugé que ce régime n’exclut pas l’application d’autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle de droit commun dès lors qu'ils reposent sur des fondements différents, tels que la garantie des vices cachés ou la faute (CJCE 25-4-2002 aff. 183/00 ; Cass. com. 26-5-2010 n° 08-18.545 FS-PB : RJDA 8-9/10 n° 895 ; Cass. 1e civ. 17-3-2016 n° 13-18.876 F-PB : RJDA 6/16 n° 493).
Pour engager la responsabilité extracontractuelle du producteur sur le fondement de l'article 1240 du Code civil, il faut ainsi prouver que sa faute est distincte d’un défaut de sécurité du produit. Dans les arrêts précédents, la Cour de cassation n'avait pas retenu la responsabilité du producteur, à défaut de preuve d’une faute distincte (Cass. com. 26-5-2010 n° 08-18.545 précité ; Cass. 1e civ. 10-12-2014 n° 13-14.314 : Bull. civ. I n° 209). Les décisions commentées précisent, pour la première fois à notre connaissance, qu'une telle faute peut résulter du fait, pour le producteur, de maintenir en circulation un produit dont il connaît le défaut ou de manquer à son devoir de vigilance quant aux risques présentés par le produit.
La victime ayant subi un dommage causé par le Mediator peut donc choisir entre plusieurs fondements pour obtenir indemnisation :
- si elle agit en responsabilité du fait des produits défectueux, elle n’est pas tenue de prouver que le laboratoire a commis une faute ; dans ce cas, la Cour de cassation a eu l'occasion de préciser que celui-ci ne pouvait pas invoquer la cause d'exonération selon laquelle l’état des connaissances scientifiques et techniques au jour de la mise en circulation du Mediator ne permettait pas de conclure à sa dangerosité (C. civ. art. 1245-10) puisque ce médicament présentait des similitudes avec d’autres jugés dangereux dès 1997 et que des études internationales avaient conduit à son retrait dans d’autres pays européens (Cass. 1e civ. 20-9-2017 n° 16-19.643 FS-PBI : RJDA 1/18 n° 90) ;
- si elle agit sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, elle doit prouver que le laboratoire a commis une faute à l’origine du dommage qu'elle a subi ; cette faute peut résulter d’un défaut de vigilance ou de surveillance alors que l’état des connaissances scientifiques et techniques permettait au producteur de connaître la dangerosité du médicament.
Est exclu, en revanche, le régime de la responsabilité du fait des choses, qui, lorsqu'il est invoqué à l'encontre du producteur après la mise en circulation du produit, procède nécessairement d'un défaut de sécurité (Cass. 1e civ. 11-7-2018 n° 17-20.154 FS-PBI : RJDA 11/18 n° 872).
Un délai de prescription plus long
Les règles de prescriptions diffèrent selon le régime de responsabilité choisi.
Ainsi, l’action en responsabilité du fait des produits défectueux est soumise à un délai abrégé de trois ans à compter de la date à laquelle elle a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur, dans la limite de dix ans à compter de la mise en circulation du produit (C. civ. art. 1245-15 et 1245-16).
En revanche, si la victime agit sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, elle bénéficie d’un délai de prescription plus long, soit, en cas de dommage corporel, dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage (C. civ. art. 2226, al. 1).
Ainsi, comme l'indique la Cour de cassation dans un communiqué de presse, si la victime n'a pas pu agir en responsabilité des produits défectueux dans le délai de trois ans, elle conserve malgré tout la possibilité d'obtenir indemnisation de son dommage en prouvant la faute du producteur.
Documents et liens associés :
Cass. 1re civ. 15-11-2023 n° 22-21.174 FS-B, H. c/ Sté Les laboratoires Servier
Cass. 1re civ. 15-11-2023 n° 22-21.178 FS-D, H. c/ Sté Les laboratoires Servier
Cass. 1re civ. 15-11-2023 n° 22-21.179 FS-D, Z. c/ Sté Les laboratoires Servier
Cass. 1re civ. 15-11-2023 n° 22-21.180 FS-D, V. c/ Sté Les laboratoires Servier
Retrouvez toute l'actualité en matière de droit des sociétés, droit commercial et de la concurrence dans Navis Droit des Affaires !
Vous êtes abonné ? Accédez à votre Navis Droit des affaires à distance
Pas encore abonné ? Nous vous offrons un accès au fonds documentaire Navis Droit des Affaires pendant 10 jours.