Les deux gérants d'une SARL sont également associés à hauteur respectivement de 90 % et 10 % de la holding qui détient l'intégralité du capital de cette SARL. En vue d'obtenir la révocation de son cogérant, le majoritaire lui adresse un courrier dans lequel il lui notifie différents reproches, lui indique que leurs divergences de points de vue sont contraires à l'intérêt social et qu'il va proposer à l'associé unique de le révoquer avec effet immédiat. Il lui notifie également la suspension provisoire de son mandat avec effet immédiat. Le gérant est ensuite révoqué par décision de l'associé unique. Il agit alors en responsabilité contre la SARL, faisant valoir que sa révocation ne repose sur aucun juste motif et qu'elle est intervenue dans des conditions abusives, brutales et vexatoires.
La cour d'appel de Reims juge que la révocation du gérant reposait sur de justes motifs. Elle précise que la société pouvait révoquer son gérant pour justes motifs sur la base de griefs n'ayant pas été portés préalablement à sa connaissance et sur lesquels il n'a pas pu s'expliquer. En effet, si le manquement de la société à son obligation de loyauté est de nature à constituer une faute délictuelle, ce manquement n'emporte en lui-même aucune conséquence quant à la justesse des motifs de la révocation.
La cour d'appel considère que la révocation revêtait un caractère brutal, abusif et vexatoire (allocation de 5 000 € de dommages-intérêts au gérant révoqué) :
- la société avait manqué à son obligation de loyauté dans l'exercice de la faculté de révoquer le gérant ; en effet, s'il n'est pas nécessaire de communiquer au dirigeant les motifs de la révocation envisagée avant la réunion de l'organe social chargé de la prononcer, il faut que l'intéressé, fût-il révocable ad nutum, soit convoqué à cette réunion et qu'il puisse connaître les motifs de la décision et les discuter s'il est présent. Les griefs exposés au gérant au cours de la décision de l'associé unique n'ayant porté que sur ceux exposés dans le courrier alors que cette révocation avait aussi été décidée en considération d'autres griefs, le gérant n'avait pas eu connaissance et n'avait pas été mis en mesure de s'expliquer sur l'intégralité des motifs de sa révocation avant le vote ;
- la suspension des fonctions du gérant opérée par le courrier, qui n'est prévue ni par l'article L 223-25 du Code de commerce, ni par les statuts de la société, était vexatoire dès lors que cette mesure était motivée par un risque de dénigrement avec les salariés et la clientèle de la société, alors qu'aucune difficulté de cet ordre n'avait été relevée précédemment.
A noter :
1° Si la révocation d'un gérant de SARL est décidée sans juste motif, elle peut donner lieu à des dommages-intérêts (C. com. art. L 223-25, al. 1). En l'espèce, la cour d'appel a retenu comme juste motif le fait que le gérant n'exerçait pas ses fonctions de manière satisfaisante et qu'il avait des divergences de vues avec l'associé unique de la SARL ayant pour effet de compromettre le fonctionnement de cette dernière. En vertu d'une jurisprudence constante, la divergence de vues entre les associés majoritaires et le dirigeant sur la politique à mener justifie la révocation de celui-ci dès lors que cette divergence est de nature à compromettre le fonctionnement de la société. Tel est le cas d'une divergence sur les mesures à prendre pour redresser la situation de la société (CA Paris 17-1-2003 n° 02-3317 : RJDA 6/03 n° 606 ; CA Paris 22-9-2015 n° 12-17403 : RJDA 12/15 n° 839), d'une attitude systématique d'opposition du dirigeant à la nouvelle stratégie commerciale de la société (CA Paris 20-2-2007 n° 05/23812 : RJDA 11/07 n° 1120) ou d'une mésentente sur la fixation de la rémunération des associés minoritaires qui entraîne des pertes pour la société (CA Paris 17-9-2013 n° 12/12567 : RJDA 1/14 n° 47).
L'arrêt rappelle que les notions de juste motif de révocation et de révocation abusive sont indépendantes : le juste motif doit être pris en compte même si le dirigeant n'a pas eu connaissance de ce motif avant sa révocation et que de ce fait sa révocation est abusive (dans le même sens, Cass. com. 22-10-2013 n° 12-24.162 F-D : RJDA 2/14 n° 128).
2° La révocation revêt un caractère abusif notamment lorsqu'elle a été décidée brutalement sans respecter l'obligation de loyauté dans l'exercice du droit de révocation, c'est-à-dire sans que le dirigeant, avant que la révocation ne soit décidée, ait eu connaissance des motifs de sa révocation (Cass. com. 14-5-2013 n° 11-22.845 : RJDA 11/13 n° 899) et ait été mis en mesure de présenter ses observations (Cass. com. 24-2-1998 n° 564 : RJDA 6/98 n° 740, 1e espèce ; Cass. com. 22-11-2016 n° 15-14.911 F-D : RJDA 2/17 n° 84).
La durée nécessaire au dirigeant pour préparer sa défense est appréciée au cas par cas. il faut au moins que le dirigeant ait eu connaissance des motifs de sa révocation et ait été mis en mesure de présenter ses observations avant qu'il soit procédé au vote (Cass. com. 10-2-2015 n° 13-27.967 F-D : RJDA 7/15 n° 505). Ainsi, la Cour de cassation a jugé que la révocation d'un dirigeant n'avait pas été abusive dès lors qu'il avait été convoqué à la réunion du conseil d'administration dont l'ordre du jour était sa révocation et qu'il avait été mis à même de débattre contradictoirement des motifs de celle-ci au cours de la réunion (Cass. com. 22-3-2005 n° 490 : RJDA 10/05 n° 1119) et que la révocation décidée par une assemblée convoquée le matin pour l'après-midi n'était pas abusive, car le délai dont le dirigeant avait bénéficié pour assurer sa défense avait été suffisant (Cass. com. 6-11-2012 n° 11-20.582 : RJDA 2/13 n° 135).
La société n'a cependant pas respecté son obligation de loyauté dès lors qu'elle n'a pas communiqué au dirigeant l'ensemble des motifs de sa révocation (dans le même sens, Cass. com. 22-11-2016 n° 15-14.911 F-D : RJDA 2/17 n° 84 ; CA Paris 10-10-2006 n° 05-17037 : RJDA 2/07 n° 168).
3° Dans cette affaire, la cour d'appel apporte une précision intéressante concernant la possibilité pour une société de suspendre le mandat de son dirigeant le temps que le vote sur sa révocation intervienne. Faute de dispositions du Code de commerce ou des statuts prévoyant la possibilité d'y recourir, cette pratique est jugée abusive. Si une société souhaite pouvoir suspendre son dirigeant qui risquerait notamment de perturber le bon fonctionnement de la société, elle doit donc le prévoir dans les statuts. Si tel n'est pas le cas, une autre possibilité serait que les associés demandent la désignation d'un administrateur provisoire mais cette pratique constitue une mesure exceptionnelle destinée à remédier à une situation de crise aiguë rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d'un péril imminent (Cass. soc. 23-10-2012 n° 11-24.609 : RJDA 1/13 n° 36).
Documents et liens associés
CA Reims 14-6-2022 n° 20/01366, Sté Sodiceram c/ X
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