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21 octobre 2024
Doit être rejetée la demande d'expertise in futurum portant sur la totalité des conventions conclues par une société dès lors que cette mesure ne tend qu'à obtenir des informations sur des opérations de gestion, relevant d'une expertise de gestion.
Rejet d'une expertise in futurum ne visant qu'à obtenir des informations sur des conventions
©Getty Images

Une mesure d’instruction peut être ordonnée sur requête ou en référé s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige (CPC art. 145 ; expertise dite « préventive » ou « in futurum »).

Sur le fondement de ce texte, plusieurs actionnaires minoritaires d'une société anonyme demandent que leur soient communiquées toutes les conventions d'approvisionnement conclues entre la société et les sociétés du groupe appartenant à l'actionnaire majoritaire, afin qu'un expert puisse vérifier la réalité des prestations convenues et la conformité de leurs conditions financières au marché.

Une cour d'appel fait droit à cette demande au motif que la mesure était nécessaire pour permettre aux actionnaires minoritaires de comprendre la classification opérée par la société entre les conventions réglementées et les conventions courantes, dès lors que les éléments suivants révélaient des indices d'une information lacunaire de nature à alimenter la crainte de pratiques contraires à l'intérêt social :

  • la société avait refusé de communiquer aux actionnaires une copie des conventions courantes intra-groupe en violation des statuts ;
  • elle avait également refusé de communiquer la charte interne précisant les critères et les méthodes de qualification des conventions réglementées, qu'elle était pourtant tenue de rendre accessible publiquement sur son site internet en application des recommandations de l'Autorité des marchés financiers ;
  • elle avait déclassifié plusieurs conventions réglementées en conventions courantes ;
  • plusieurs conventions réglementées n'avaient pas été soumises initialement à l'assemblée avant d'être finalement désapprouvées par celle-ci.

Les actionnaires minoritaires justifiaient ainsi d'indices plausibles de griefs pouvant être développés dans le cadre d'un futur procès en responsabilité contre les dirigeants de la société.

Censure de la Cour de cassation, qui juge que les mesures ordonnées ne tendaient, en réalité, qu'à fournir aux actionnaires minoritaires des informations sur des opérations de gestion, relevant comme telles du mécanisme de l'expertise de gestion, et non pas à conserver ou à établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige.

A noter :

Pour ordonner une expertise in futurum, les juges du fond doivent constater l'existence d'un litige potentiel (Cass. com. 16-10-2019 n° 18-11.635 F-D). A cette fin, le demandeur doit produire des éléments objectifs démontrant la probabilité des faits dont il se plaint (Cass. 2e civ. 12-7-2012 n° 11-18.399 F-PB : Bull. civ. II n° 132). La société estimait que cette condition n'était pas suffisamment caractérisée mais la Cour de cassation ne s'est pas fondée sur cet argument pour censurer l'arrêt d'appel.

Comme le rappelle ici la Haute Juridiction, l'expertise in futurum coexiste avec l'expertise de gestion, qui permet à un ou plusieurs actionnaires détenant 5 % du capital social ainsi qu'au ministère public ou au comité social et économique (CSE) d'obtenir une expertise sur une opération de gestion en l'absence de réponse satisfaisante des dirigeants à une question portant sur cette opération (C. com. art. L 225-231 pour les sociétés par actions et C. com. art. L 223-37 pour les SARL).

Les deux expertises coexistent de façon autonome sans être exclusives l'une de l'autre, leurs domaines d'application pouvant se chevaucher, ouvrant ainsi une option aux demandeurs. A ce titre, l'expertise in futurum ne revêt aucun caractère subsidiaire par rapport à l'expertise de gestion, de sorte que les juges du fond ne sauraient rejeter une demande fondée sur l'expertise in futurum au motif que l'expertise de gestion était ouverte au demandeur (Cass. com. 18-10-2011 n° 10-18.989 F-PB : RJDA 1/12 n° 64). 

Toutefois, l'expertise in futurum a une finalité probatoire, alors que l'expertise de gestion a une finalité informative (I. Urbain-Parléani, L'expertise de gestion et l'expertise in futurum : Revue sociétés 2003 p. 223). Le rapport auquel l'expertise de gestion donne lieu est ainsi adressé au demandeur mais aussi au ministère public, au CSE, aux dirigeants et aux commissaires aux comptes ; il est en outre annexé au rapport de ces derniers en vue de la prochaine assemblée (C. com. art. L 225-231, al. 5 pour les sociétés par actions et C. com. art. L 223-37, al. 5 pour les SARL).

En rappelant les finalités respectives des deux expertises, la Cour de cassation semble indiquer qu'elle entend éviter que l'expertise in futurum ne soit détournée de sa finalité afin de d'échapper aux exigences plus strictes de l'expertise de gestion (sur ce risque, voir notamment J. Moury, La vitalité des mesures d'instruction in futurum ne doit pas masquer les conséquences fâcheuses qu'elle peut induire relativement à l'expertise de gestion : RTD com. 2020 p. 879). La mission confiée ici à l'expert visait davantage à apprécier l'opportunité des conventions qu'à rassembler la preuve d'irrégularités en vue d'un procès.

A notre avis, la coexistence des deux régimes d'expertise n'est pas pour autant remise en cause, étant d'ailleurs observé que les actionnaires minoritaires détenaient un pourcentage du capital inférieur au seuil de détention exigé pour l'expertise de gestion par les textes du Code de commerce.

Documents et liens associés : 

Cass. com. 11-9-2024 n° 22-24.160 F-B

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