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16 janvier 2024
Le refus de proroger le terme de la société est susceptible de constituer un abus de minorité lorsque le vote de l'associé minoritaire est contraire à l'intérêt général de la société et a pour unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment de ceux de l'ensemble des autres associés.

Une SCI est constituée en 1959 et pour une durée de 60 ans entre les copropriétaires de lotissements édifiés autour d’un château dans le but d’en assurer la jouissance. En 2016, une AG est réunie lors de laquelle la résolution proposant la prorogation de la société pour 99 ans a été rejetée en raison de l’opposition d’associés minoritaires. Les associés majoritaires invoquent un abus de minorité et sollicitent la désignation d’un mandataire ad hoc pour voter en lieu et place des minoritaires lors de toute nouvelle AG convoquée pour proroger le terme de la société. La cour d’appel d’Aix-en-Provence fait droit à cette demande en retenant un abus de minorité, ce qu’approuve la Cour de cassation. Elle affirme ainsi clairement, et de manière inédite, que le refus de prorogation du terme de la société est susceptible de constituer un abus de minorité, lorsque le vote de l'associé minoritaire est contraire à l'intérêt général de la société et a pour unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment de ceux de l'ensemble des autres associés.

Le pourvoi se fondait cependant sur un argument solide, tiré du droit des contrats, pour écarter une telle qualification. Puisque nul ne peut exiger le renouvellement d’un contrat à durée déterminée (C. civ., art. 1212), le refus de proroger un contrat arrivé à son terme, corollaire de la liberté contractuelle, ne saurait être abusif. Mais la logique sociétaire l’emporte.

Quant aux critères de l’abus de minorité, la Cour de cassation rappelle classiquement que doit être caractérisé un vote du minoritaire contraire à l’intérêt général de la société, dans l’unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment de ceux de l’ensemble des associés. Sur ce point, il est intéressant de relever que l’argument du minoritaire fondé sur l’activité structurellement déficitaire de la société n’a pas permis de justifier son refus de proroger la durée de la société car la SCI n’avait pas été constituée en vue de dégager des bénéfices. Au contraire, il est jugé que compte tenu de la spécificité de la société et de son objet tenant à la mise à disposition des lieux en priorité aux associés, « il était de son intérêt général que son terme soit prorogé ». Au surplus, était bien en cause une opération essentielle à la survie de la société puisque le défaut de prorogation de la société emporte sa dissolution (C. civ., art. 1844-7), et l’intérêt égoïste du minoritaire s’infère de son intention purement spéculative d’obtenir, par la dissolution de la société, un boni de liquidation. Les critères de l’abus de minorité étaient donc bien caractérisés en l’espèce.

La solution peut être rapprochée d’un arrêt ayant qualifié d’abus de majorité la dissolution anticipée de la société votée par l’associé majoritaire sans motif sérieux, et donc contrairement à l’intérêt social, dans l’unique dessein de se soustraire à son engagement contracté envers l’associé minoritaire de procéder au rachat de ses titres (Cass. com., 8 févr. 2011, n° 10-11.788). En somme, qu’elle soit directement votée par un associé majoritaire, ou qu’elle résulte du refus d’un minoritaire de proroger la société, la mise à mort de la société ne peut être motivée par des intérêts purement personnels.

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Elsa Guégan, Professeur agrégée des facultés de droit
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