La Cour de cassation n’avait jusqu’à présent jamais eu à se prononcer sur les conditions du retrait judiciaire d’un associé d’une société d’attribution d’immeubles en jouissance à temps partagé, notamment lorsque l’intéressé n’est plus apte à jouir personnellement de l’appartement concerné.
C’est désormais chose faite, dans un arrêt publié au Bulletin.
La Cour y énonce que « les justes motifs, prévus à l'article 19-1 de la loi n° 86-18 du 6 janvier 1986, autorisant le retrait judiciaire de l'associé d'une société d'attribution d'immeubles en jouissance à temps partagé s'apprécient par la mise en balance des considérations liées à la situation personnelle de celui-ci et l'intérêt collectif des associés restants au maintien de cette forme sociale d'offre touristique ».
Elle en déduit qu’une cour d’appel a valablement pu refuser le retrait d’une telle société à des associés qui ne pouvaient pourtant pas jouir personnellement de l’appartement en cause du fait de leur état de santé, dès lors qu’ils n’apportaient pas la preuve de l’impossibilité de céder leurs droits ou de louer l’appartement les semaines où ils en avaient la jouissance.
Rappel des possibilités de retrait offertes par la loi
Un associé d’une société d'attribution d'immeubles en jouissance à temps partagé qui souhaite s’en retirer peut requérir, à cet effet, l’accord unanime des autres associés de la société (L. n° 86-18, 6 janv. 1986, art. 19-1, al. 1). Une telle demande peut être formulée même lorsqu’elle résulte de convenances purement personnelles. En pratique, cependant, quel que soit le motif de la demande de retrait, l’obtention d’un accord unanime des associés apparaît illusoire puisqu’il en résulterait mécaniquement une augmentation de leurs charges annuelles.
Aussi, l’associé devra-t-il se résoudre, le plus souvent, à solliciter en justice son retrait. Un tel retrait ne pourra toutefois être obtenu que pour un juste motif, « notamment lorsque l'associé est bénéficiaire des minima sociaux ou perçoit une rémunération inférieure au salaire minimum interprofessionnel de croissance, ou lorsque l'associé ne peut plus jouir du lot qui lui a été attribué du fait de la fermeture ou de l'inaccessibilité de la station ou de l'ensemble immobilier concerné » (L. n° 86-18, 6 janv. 1986, art. 19-1, al. 1).
La décision de prononcer le retrait pour juste motif est à la discrétion du juge.
Remarque
le retrait est de droit, sous certaines conditions, pour les héritiers d’un associé décédé (L. n° 86-18, 6 janv. 1986, art. 19-1, al. 2), étant précisé que cette mise en œuvre « de plein droit » peut s’avérer illusoire lorsqu’un héritier détient son droit de jouissance en indivision avec une personne n’ayant pas cette qualité (pour une illustration, voir CA Chambéry, 30 mai 2023, n° 21/00478).
Prise en compte de l’état de santé de l’associé ou d’autres circonstances personnelles
L’emploi du terme « notamment » à l’alinéa 1 de l’article 19-1 de la loi n° 86-18 ne laissait aucun doute sur le fait que des considérations autres que celles mentionnées audit alinéa (minimas sociaux, SMIC, station fermée ou inaccessible) pouvaient justifier le retrait. Ceci est confirmé explicitement part la Cour, qui admet la prise en compte de « considérations liées à la situation personnelle » de l’intéressé.
Parmi ces situations figurent certainement celles qui sont subies et ne permettent plus à l’intéressé de jouir personnellement du bien en cause, telles qu’un état de santé déficient ou d’autres motifs pouvant apparaître impérieux (nécessité d’assister de manière durable un parent proche atteint d’une maladie, par exemple). La prise en compte, par le juge, de motifs professionnels paraît plus aléatoire dans la mesure où ceux-ci peuvent comporter une part de convenance personnelle et de réversibilité, contrairement à un état de santé irrémédiablement dégradé.
Une baisse significative des revenus, même s’ils demeurent à un niveau supérieur au SMIC, devrait également être prise en compte par les juges dès lors qu’elle rend difficile l’acquittement des charges afférentes à l’appartement concerné.
Il reste que ces considérations, même cumulées, ne permettront pas à elles seules d’obtenir le retrait pour peu que les juges s’en tiennent à la solution retenue par la Cour.
Nécessité d’établir l’impossibilité de louer le bien et de céder ses droits
Une exigence justifiée par l’intérêt collectif des associés restants
Même lorsqu’elle résulte d’un état de santé déficient, l’impossibilité, pour un associé, de jouir personnellement d’un appartement détenu en multipropriété ne lui permet pas d’obtenir le retrait judiciaire de la société. Il doit également prouver qu’il n’a pas pu céder ses droits, ni louer l’appartement les semaines où il en avait la jouissance.
Cette exigence ne ressort pas de l’article 1869 du code civil, qui prévoit le retrait judiciaire de droit commun, ni de la loi du 6 janvier 1986, relative aux sociétés d’attribution d’immeubles en jouissance à temps partagé. Il fallait donc la justifier, en l’occurrence par la nécessité de mettre en balance l’intérêt personnel de l’associé et « l'intérêt collectif des associés restants au maintien de cette forme sociale d'offre touristique ». On comprend que la Cour entend ici traiter le cas, fréquent dans ce type de sociétés, où les associés ne souhaitent pas dissoudre la société mais y sont contraints à la suite d’un accroissement de leurs charges du fait d’une multiplication des impayés de coassociés ayant déserté les lieux, notamment pour des motifs de santé et/ou de départ à la retraite. En sus de l’intérêt collectif des associés restants, il n’est pas exclu que la Cour ait également considéré l’intérêt économique des territoires locaux à la pérennité des résidences de tourisme qui y sont implantées.
Une exigence déjà largement posée par les juridictions du fond
En consacrant l’exigence d’une preuve de l’impossibilité de céder ses droits ou de louer l’appartement en cause, la Cour de cassation confirme les critères posés, non seulement par la cour d’appel de Chambéry au cas présent (CA Chambéry, 3 janv. 2023, n° 20/01286), mais également par d’autres cours d’appel, dans des cas où était également établi un état de santé déficient des associés les empêchant de jouir personnellement de leurs biens (CA Paris, 7 avr. 2016, n° 15/10212 : Elnet, 19 mai 2016, G. Lesage ; CA Versailles, 14 déc. 2021, n° 20/04545 ; CA Douai, 14 sept. 2023, n° 20/01738 ; contra CA Rennes, 13 févr. 2018, n° 16/05507).
On notera que la cour d’appel de Paris s’était montrée encore plus exigeante en reprochant à des associés ayant demandé leur retrait de n’avoir pas établi l’impossibilité de prêter l’appartement concerné à des proches (CA Paris, 7 avr. 2016, préc.). On peut douter que la Cour de cassation reprenne, si l’occasion venait à se présenter, cette condition à son compte au titre de « la mise balance » des intérêts en jeu. Les conditions posées sont en effet déjà particulièrement rigoureuses pour l’associé aspirant au retrait pour des raisons de santé. Elles avaient d’ailleurs été jugées excessives par l’avocat général, qui a rendu, certes en vain, un avis de cassation dans l’affaire présentement commentée.
Recommandations
Pour optimiser ses chances d’obtenir un retrait judiciaire, on conseillera à tout intéressé de mettre en vente son droit de jouissance et d’offrir « son » appartement à la location selon des modalités susceptibles d’être jugées probantes, c’est-à-dire :
- en mettant à contribution, non pas une, mais plusieurs agences immobilières (dans ce sens, CA Paris, 7 avr. 2016, préc.),
- en optant pour une mise en vente des droits sociaux correspondant aux estimations basses retenues par ces agences et pour une offre de location calibrée à hauteur des charges et frais d’agence,
- et en sollicitant ces agences suffisamment en amont de la demande de retrait pour que l’impossibilité de cession et de location puisse être raisonnablement constatée.
Sans doute est-il également souhaitable de proposer les mêmes offres au sein de la résidence concernée.
Si les agences sollicitées jugent le droit de jouissance invendable ou la mise en location illusoire, il conviendra d’en conserver la preuve écrite.