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26 octobre 2023
L'acquéreur des titres d'une société a été indemnisé par le cédant à hauteur de la perte de chance qu'il aurait eu de payer un prix plus faible s'il avait eu connaissance d'une modification des modalités de calcul de l'EBITDA qui lui était défavorable.

Un cessionnaire d'actions reproche à son vendeur de ne pas lui avoir donné l'information précontractuelle nécessaire sur un point déterminant de son consentement ayant trait à la détermination de l’EBITDA de la société cible. Il demande à être indemnisé du préjudice correspondant. Pour répondre à cette demande, les juges se prononcent successivement sur l’existence d’un manquement du cédant à son obligation d’information précontractuelle et le préjudice en résultant pour le cessionnaire.

Remarque

l’EBITDA (Earnings Before Interests Taxes Depreciation and Amortization) est un indicateur financier américain qui mesure la rentabilité d’une entreprise sans tenir compte de l’influence de sa politique d’investissement et de financement.

Défaut d'information précontractuelle sur une modification du calcul de l’EBITDA

L'acheteur a fait sa proposition d'achat, au cours d'un exercice de la société cible, sur la base des comptes de l'exercice précédent, mais en précisant que le prix ainsi proposé résultait d'un calcul fait à partir d'une certaine rentabilité projetée de l'exercice en cours fondée sur l’EBITDA, assortie d'un coefficient multiplicateur.

Après la réalisation de la cession, le cessionnaire s'aperçoit que certains éléments permettant de calculer l'EBITDA réalisé en fin d'exercice ont été modifiés, dans un sens négatif, sans que son vendeur l'en informe.

Il estime que le cédant a ainsi manqué à son devoir d'information précontractuelle et demande une diminution corrélative de son prix d'achat.

Les juges donnent gain de cause au cessionnaire. Ils estiment qu’au regard de la proposition d’achat formulée, le vendeur était informé de l’importance de l’EBITDA pour l’acheteur. En n'informant pas ce dernier des modifications négatives apportées à des éléments déterminants de son consentement, le vendeur a engagé sa responsabilité à son égard.

Remarque

solution fondée sur les dispositions suivantes : celle des parties qui connait une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant (C. civ., art. 1112-1, al. 1) ; le manquement à ce devoir peut entrainer la responsabilité de celui qui en était tenu (C. civ., art. 1112-1, al. 6). On notera qu’en l’espèce la preuve du caractère volontaire du défaut d’information litigieux n’a pas été apportée, de sorte que le dol n’a pas été retenu contre le cédant.

Détermination du préjudice : perte de chance de payer moins cher les titres

Le cessionnaire demande une diminution de son prix d'achat d'un montant égal à la diminution de l'EBITDA réalisé en fin d'exercice par rapport à l'EBITDA indiqué dans sa proposition d'achat initiale, assortie du coefficient multiplicateur retenu dans cette même offre. Il estime son préjudice à plus de 30 M d’euros (surévaluation de l’EBITDA de 2,5 M euros multiplié par 13).

La cour d’appel de Paris ne valide pas cette estimation, au motif principal que « le préjudice découlant du défaut d'information qui a été retenu ne peut consister qu'en une perte de chance pour la société cessionnaire d'avoir acquis à un prix plus bas que celui qu'elle a payé en exécution du contrat de cession. » L’estimation de ce préjudice implique de déterminer la baisse de prix manquée par la cessionnaire du fait du défaut d'information retenue à l'encontre du vendeur, puis la probabilité des chances qu’aurait eu le cessionnaire d'obtenir une baisse du prix de cession s’il avait été pleinement informé.

Base de calcul de la perte de chance

Pour différents motifs techniques qu’ils énoncent, les juges estiment que la surévaluation de l’EBITDA se situe non pas à 2,5 M d’euros mais à 900 000 euros environ. En appliquant le coefficient multiplicateur de 13 (chiffre arrondi), ils aboutissent  à une base de calcul de la perte de chance d’environ 12 M d’euros.

Détermination de la perte de chance de payer moins cher

La cour d’appel fixe à seulement 5 % la perte de chance du cessionnaire de faire baisser le prix de cession au regard des éléments suivants :

- le cédant a toujours fait savoir qu'il n'était pas vendeur au-dessous du prix finalement convenu, ce dont l'acheteur était parfaitement informé, au point de formuler une offre d'achat "ferme et définitive, non révisable". De fait, alors qu'au cours des négociations préalables, l'EBITDA prévisionnel, en fin d'exercice, avait déjà été ramené à un montant plus faible qu'initialement envisagé, l'acheteur avait abaissé le montant du coefficient multiplicateur pour maintenir le prix exigé par le vendeur ;

- postérieurement à la cession, l'acheteur a fait savoir sur une chaîne télévisée qu'il s'intéressait à la société cible depuis longtemps et qu’il avait suivi son développement en attendant que ses actionnaires se décident à vendre, vente qu'il ne voulait surtout pas "rater" ;

- la valeur d'une société ne dépend pas uniquement du calcul d'un EBITDA, une méthode, parmi d'autres, de détermination de la valeur d'une société, mais de nombreux autres éléments, relevant de l'ensemble de la société : produits, recherche et développement, réseau commercial, historique, potentiel... Ils en concluent que la diminution de prix ne peut être calculée exclusivement en fonction de la diminution de l'EBITDA réalisé.

Préjudice retenu

Le préjudice retenu est donc de 12 M x 0,05 = 600 000 euros (soit loin des 30 M réclamés par le cessionnaire, mais aussi des 2 M de préjudice retenus en première instance).

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Henri-Pierre Brossard, Docteur en droit
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