Une société par actions simplifiée (SAS) fait l’objet d’un redressement par l’Urssaf pour avoir omis d’intégrer à l’assiette des cotisations sociales les rémunérations versées au président et au vice-président du conseil de surveillance de la société.
Après la confirmation de ce redressement par une cour d’appel, la société se pourvoit en cassation.
Elle fait valoir que les rémunérations litigieuses ne relevaient pas du régime général de la sécurité sociale au double motif suivant :
- seuls les présidents et dirigeants de SAS doivent être affiliés au régime général de la sécurité sociale aux termes du 23° de l’article L. 311-3 du code de la sécurité sociale, ce qui exclut les présidents et vice-présidents de conseils de surveillance de SAS ;
- selon les statuts de la société, le conseil de surveillance ne disposait d'aucun pouvoir de gestion ni d'administration, son rôle se limitant à contrôler la gestion opérée par le directoire et son président, lequel était expressément investi du pouvoir de diriger la société.
Le pourvoi est rejeté.
La Cour de cassation admet qu'ayant pour seule mission de contrôler les organes de direction de la société sans en assumer la gestion, les membres du conseil de surveillance ne sont en principe pas affiliés aux assurances sociales du régime général. Il est cependant fait exception à cette règle si ces membres exercent en réalité une fonction de direction, ajoute-t-elle.
En l’occurrence, la Cour considère que « malgré la création d'un directoire, les président et vice-président du conseil de surveillance avaient continué à accomplir, en toute indépendance, des actes positifs de gestion et de direction de la société », au regard des éléments suivants :
- si la mission du conseil de surveillance était en principe limitée à l'exercice d'un contrôle permanent de la gestion du directoire, une fonction de direction lui était également conférée par les statuts en ce qu’ils prévoyaient que le directoire devait obtenir l’autorisation préalable du conseil pour accomplir certains actes, limitant ainsi à tout moment l’exercice de son pouvoir de décision ;
- la société avait été constituée initialement sous la forme d'une société anonyme dont le PDG n'était autre que l'actuel président du conseil de surveillance de la société, devenue une SAS ;
- le directoire de la SAS avait été confié à deux membres de la famille du président du conseil de surveillance ;
- le président du conseil de surveillance était détenteur avec son épouse de la majorité du capital de la société et percevait une rémunération nettement supérieure à celle des membres du directoire.
Le redressement subi par la SAS au titre des rémunérations litigieuses est par conséquent confirmé.
Élément central de la solution : le pouvoir de direction du conseil de surveillance
La qualité de dirigeants attribuée aux deux membres du conseil de surveillance concernés est essentiellement fondée sur le pouvoir d’autorisation préalable accordé par les statuts audit conseil pour certains actes. Il ressort de l’arrêt d’appel (CA Paris, 8 oct. 2021, n° 17/12879) que cette autorisation devait être sollicitée par le directoire pour les actes suivants :
- toute décision d'investissement mobilier ou immobilier supérieur à 250 000 euros ;
- toute cession d'un élément d'actif isolé d'une valeur supérieure à 50 000 euros ;
- toute création ou cession de filiale ou participation supérieure à 10 % pour un montant net excédant 250 000 euros s'il s'agit d'une filiale, ou 250 000 euros s'il s'agit d'une simple participation ;
- tout engagement financier supérieur à 150 000 euros ainsi que tout aval ou caution et toute sûreté réelle quel qu'en soit le montant.
La cour d’appel, suivie par la Cour de cassation, déduit de ces éléments l’existence d’une fonction de direction au profit du conseil de surveillance. En d’autres termes, les juges voient essentiellement dans ce mécanisme d’autorisation un pouvoir d’immixtion dans la gestion du directoire plutôt qu’une modalité de contrôle de cet organe. Cette position n’est pas inédite. Le pouvoir statutaire d’autorisation préalable d’un conseil de surveillance de SAS à l’égard, cette fois, du président de la société, avait déjà été retenu par la cour d’appel de Paris pour établir la qualité de dirigeants des membres d’un tel organe (CA Paris, 23 févr. 2016, n° 14/24308, arrêt rendu en matière de responsabilité civile). Cependant, pour justifier l’existence d’un pouvoir d’immixtion dans la gestion, les juges avaient pris le soin de préciser que le seuil d’autorisation (15 000 euros pour toute opération hors budget) était modeste au regard des investissements de la société. Dans l’affaire sous commentaire, aucune précision de cet ordre n’a été apportée par les juges.
Autres éléments retenus pour établir la qualité de dirigeant
Si le pouvoir de direction reconnu au conseil de surveillance est présenté comme le fondement principal de la solution, les autres éléments, tous mentionnés par la Cour de cassation, ont certainement agi comme un faisceau d’indices décisif.
En rappelant que le président de conseil de surveillance de la société était, antérieurement à la transformation de celle-ci, son PDG, c’est-à-dire son dirigeant exécutif, la Cour souligne le fait que l’intéressé était idéalement placé pour continuer à diriger en fait la société.
Par ailleurs, autre point mentionné par la Cour, il détenait avec son épouse la majorité du capital social, ce qui pouvait induire une autorité de fait sur le directoire, par ailleurs confié à deux membres de sa famille (aucune collusion frauduleuse n’est cependant relevée).
Enfin, et surtout, la rémunération globale du président et du vice-président du conseil était de nature à éveiller les soupçons. Non seulement les intéressés s’étaient octroyé une rémunération, alors qu’il n’est pas rare que seuls des remboursements de frais soient accordés aux membres d’un organe de surveillance, mais celle-ci était plus de deux fois supérieure à celle perçue globalement par les deux membres du directoire (cf. arrêt d’appel préc.). Or, la fonction de membre d’un directoire est une occupation à temps plein, tandis que les membres d’un conseil de surveillance sont soumis à des exigences plus ponctuelles.
Une appréciation souple de la direction de fait
On peut admettre que l’ensemble des faits mis en exergue par les juges d’appel ait convaincu la Cour de cassation de donner raison à l’Urssaf. Il reste que ne sont à aucun moment caractérisés les « actes positifs de gestion et de direction de la société » sur lesquels la Haute juridiction fonde in fine la solution. En se contentant d’inférer leur existence d’éléments ayant trait au statut des intéressés (pouvoirs statutaires, qualité d’associé majoritaire et rémunération), la deuxième chambre civile se montre peu exigeante. A titre de comparaison, pour retenir une direction de fait en matière de responsabilité civile, la chambre commerciale impose une caractérisation explicite d’activités positives de gestion et de direction engageant la société (Cass. com., 10 janv. 2012, n° 10-28.067).