La mise en œuvre de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif prévue à l’article L. 651-2 du code de commerce peut s’avérer délicate lorsque la société débitrice est une SAS ayant pour dirigeant une société. Une difficulté récurrente réside dans la détermination des dirigeants personnes physiques susceptibles, en sus de la société dirigeante, d’être soumis à cette action.
On sait que si la société dirigeante n’a pas désigné de représentant permanent au sein de la SAS, son représentant légal peut voir sa responsabilité engagée en qualité de dirigeant de droit de la SAS (C ass. com., 13 déc. 2023, n° 21-14.579, n° 801 F-B : Elnet, 9 janv. 2024, G. Lesage).
Qu’en est-il, en revanche, si la société dirigeante a désigné un représentant permanent, autre que son représentant légal, au sein de la SAS ? Faut-il rechercher la responsabilité du représentant légal de la société dirigeante, celle du représentant permanent, ou les deux ?
La Cour de cassation vient mettre un terme à ces interrogations dans un arrêt publié au Bulletin.
L’arrêt : le représentant permanent responsable en lieu et place du dirigeant de la société dirigeante
Le liquidateur d’une SAS dirigée par un société agit contre le représentant légal de celle-ci en responsabilité pour insuffisance d’actif. Il fonde son action sur l’application combinée de l’article L. 651-2 du code de commerce (responsabilité du dirigeant, y compris personne morale, ayant contribué par sa faute à l’insuffisance d’actif) et de l’article L. 227-7 du même code, selon lequel « lorsqu'une personne morale est nommée président ou dirigeant d'une SAS, les dirigeants de ladite personne morale (…) encourent les mêmes responsabilités civile et pénale que s'ils étaient président ou dirigeant en leur nom propre, sans préjudice de la responsabilité solidaire de la personne morale qu'ils dirigent ».
Le représentant légal estime cependant que, dans la mesure où un représentant permanent, autre que lui-même, a été désigné au sein de la SAS, seul celui-ci peut voir sa responsabilité engagée. Aussi reproche-t-il à la cour d’appel de l’avoir condamné sans avoir recherché si un tel représentant n’avait pas été désigné au sein de la SAS.
La Cour de cassation lui donne gain de cause en censurant la décision des juges du fond pour les motifs suivants :
- la responsabilité pour insuffisance d'actif est applicable aux personnes physiques représentants permanents des dirigeants personnes morales ;
- lorsqu'une SAS est dirigée par une personne morale qui a désigné un représentant permanent conformément aux statuts de cette société, la personne physique dirigeant cette personne morale ne peut voir sa responsabilité pour insuffisance d'actif engagée si elle n'a pas également la qualité de représentant permanent.
Cette solution, rendue au visa des seuls articles L. 651-1 et L. 651-2 du code de commerce, appelle plusieurs observations.
Le représentant permanent visé à l’article L. 651-1 inclut celui désigné au sein d’une SAS
L’arrêt est rendu au visa de l’article L. 651-1 du code de commerce, qui prévoit la responsabilité pour insuffisance d’actif des représentants permanents sans distinguer selon qu’ils ont été désignés en application de la loi (cas des SA et des GIE) ou de statuts (cas des SAS). La Cour de cassation s’en tient à cette absence de distinction pour considérer qu’un représentant permanent désigné au sein d’une SAS peut voir sa responsabilité pour insuffisance d’actif engagée (déjà dans ce sens, Cass. com., 19 nov. 2013, n° 12-16.099).
La désignation d’un représentant permanent exonère le représentant légal de la société dirigeante
Confirmation d’une solution implicite
Non seulement la responsabilité pour insuffisance d’actif du représentant permanent désigné au sein de la SAS est admise, mais elle exonère le représentant légal de la société dirigeante de cette responsabilité. Il s’agit là d’un enseignement majeur, qui méritait d’être affirmé clairement. La solution avait certes pu être déduite d’un précédent arrêt (Cass. com., 13 déc. 2023, n° 21-14.579, n° 801 F-B : Elnet, 9 janv. 2024, G. Lesage ; BRDA 3/24, inf. 2 ; JCP E, 6 juin 2024, n° 1167, B. Dondero). Elle ne ressortait cependant que d’une analyse a contrario faite dans le cadre d’une configuration inverse à celle présentement traitée puisque la question était alors de savoir si le représentant légal de la société dirigeante était responsable en l’absence de désignation d’un représentant permanent.
Conditions de l’exonération
L’arrêt pose deux conditions à l’exonération de la responsabilité pour insuffisance d’actif du représentant légal de la société.
D’abord, le représentant permanent doit avoir été désigné « conformément aux statuts » de la SAS. Cette précision implique en premier lieu que les statuts de la SAS aient prévu la faculté de désigner un représentant permanent en son sein. A défaut d’une telle prévision, la notification de la désignation d’un représentant permanent faite à la SAS ne devrait pas immuniser le représentant légal de la société dirigeante. On peut supposer qu’il en sera de même si la désignation a bien été prévue par les statuts mais qu’une condition substantielle y afférente, fixée par ces mêmes statuts, n’a pas été respectée.
Ensuite, le représentant légal ne doit pas avoir lui-même été désigné comme représentant permanent puisque, comme nous l’avons vu, sa responsabilité pourra alors être engagée sur le fondement de l’article L. 651-1 du code de commerce.
Enfin, même si l’arrêt ne le précise pas, il va de soi que s’il est établi que le représentant légal de la société dirigeante s’est comporté comme un dirigeant de fait de la SAS, sa responsabilité pour insuffisance d’actif pourra être engagée. Il ressort d’ailleurs de l’arrêt d’appel que le liquidateur avait tenté d’agir sur ce terrain à titre subsidiaire, mais les juges s’étaient abstenus de se prononcer sur ce point, considérant, à tort, que la responsabilité de l’intéressé pouvait être engagée en qualité de dirigeant de droit de la SAS (CA Lyon, 27 avr. 2023, n° 21/07129). Sans doute les arguments avancés par le liquidateur étaient-ils par ailleurs insuffisants pour établir la direction de fait puisqu’aucun acte positif permettant d’établir celle-ci n’était caractérisé.
Bilan et recommandations
En excluant l’application de l’article L. 227-7 du code de commerce en cas de désignation d’un représentant permanent, la Cour de cassation fait le choix de faire peser la charge de la responsabilité pour insuffisance d’actif sur ce dernier, et non sur le représentant légal de la société dirigeante. Cela s’entend puisque le représentant permanent est en principe appelé à exercer seul les pouvoirs de direction au sein de la SAS.
Pour que la désignation d’un représentant permanent produise l’effet exonératoire attendu, il faudra toutefois veiller à respecter la condition posée implicitement par l’arrêt en prévoyant la faculté de désignation dans les statuts de la SAS et en respectant les conditions de désignation fixées par ceux-ci.
Au-delà de ces exigences, certaines précautions devront être prises pour « certifier » le fait que le représentant permanent désigné a tous les attributs d’un dirigeant exécutif de SAS et garantir, corrélativement, l’effet exonératoire pour le représentant légal de la société dirigeante. Il peut être utile de rappeler ces recommandations :
- dans les statuts de la SAS, (1) conférer au représentant permanent le pouvoir d’agir en toutes circonstances au nom de la SAS et de la représenter à l’égard des tiers et (2) prévoir qu’il encourt les mêmes responsabilités civile et pénale que s'il était dirigeant de la SAS en son nom propre ;
- dans la délégation de pouvoirs consentie à la personne choisie comme représentant permanent : préciser que celle-ci est désignée en cette qualité en application des statuts de la SAS, puis reprendre les points 1 (pouvoirs) et 2 (responsabilité) susmentionnés ;
- notifier formellement à la SAS la désignation du représentant permanent en précisant que celle-ci est faite conformément à ses prescriptions statutaires ;
- faire inscrire au RCS le représentant permanent, dans un cadre distinct du cadre dans lequel est inscrite la personne morale dirigeante de la SAS, en qualité de personne délégataire du « pouvoir de diriger, gérer ou engager à titre habituel la société » (C. com., art. R. 123-54, 2° ; avis CCRCS n° 2015-04, 5 févr. 2015).