L’interdiction de concurrence qui s’impose au cédant de droits sociaux au titre de la garantie légale d’éviction doit être délimitée quant à l'activité interdite et quant au cadre spatio-temporel dans lequel cette activité est interdite, cette délimitation s'appréciant de manière concrète, au regard de l'activité et du marché concernés, vient de confirmer la Cour de cassation.
En l'espèce, l’acquéreur des actions d’une société éditant des logiciels avait agi en garantie d’éviction contre les cédants, leur reprochant d’avoir créé après la cession une société dans le même domaine d’activité. Une cour d’appel a pu déduire des éléments suivants que les cédants n’avaient pas pour autant méconnu les obligations résultant de la garantie d’éviction à laquelle ils étaient tenus :
- l’un des cédants avait créé la société concurrente trois ans et cinq mois après la cession ; l’autre cédant l’avait rejoint en tant que salarié quatre ans et cinq mois après la cession ; la mise en ligne de la première version d'un logiciel par la société concurrente était intervenue près de cinq ans après la cession, de même que le recrutement d'anciens salariés de la société cédée ;
- la garantie légale d'éviction était invoquée à propos de la cession des titres d'une société qui intervenait sur le marché du développement des produits informatiques et des prestations de services y afférentes, où l'innovation technologique est rapide, faisant ainsi évoluer les services et prestations offerts d'une année sur l'autre ; interdire pendant plusieurs années à des cédants d'une société intervenant sur un marché aussi innovant et évolutif que celui des prestations informatiques de se rétablir apparaîtrait disproportionné par rapport à la protection des intérêts du cessionnaire, laquelle doit se conjuguer avec la protection de la liberté d'entreprendre.
A noter :
En application du droit commun de la vente (C. civ. art. 1626 et 1628), le cédant de droits sociaux doit garantir l’acquéreur de toute éviction qui lui est personnellement imputable, même si l’acte de cession ne le prévoit pas et sans qu’une clause puisse l’en exonérer. De cette garantie, la Cour de cassation déduit, à la charge du cédant, une interdiction de commettre des actes de nature à constituer des reprises ou des tentatives de reprise du bien vendu ou des atteintes aux activités telles qu’elles empêchent l’acquéreur de poursuivre l’activité économique de la société et de réaliser l’objet social (jurisprudence constante depuis Cass. com. 21-1-1997 n° 94-15.207 PF : RJDA 6/97 n° 783).
Le cédant de droits sociaux est ainsi soumis à une obligation légale de non-concurrence.
La Cour de cassation avait déjà précisé que l’interdiction pour le cédant de se rétablir doit être proportionnée aux intérêts légitimes à protéger et que les juges doivent rechercher concrètement si, au regard de l’activité de la société dont les actions avaient été cédées et du marché concerné, l’interdiction de se rétablir se justifie encore au moment des faits reprochés (Cass. com. 10-11-2021 n° 21-11.975 FB : BRDA 1/22 inf. 1). Par l’arrêt commenté, la Haute Juridiction statue dans la même affaire que celle dont elle avait été saisie en 2021 et valide l’appréciation faite par la cour d’appel de renvoi (CA Paris 24-11-2022 n° 22/02374 : BRDA 1/23 inf. 1 nos 3 s.) : le rétablissement des cédants dans une activité concurrente plus de trois ans après la cession ne relevait plus de la garantie d’éviction dans un secteur économique très évolutif.
Sources et documents associés :