Une société à responsabilité limitée (SARL) est déclarée responsable des désordres affectant les balcons et terrasses d'un immeuble dont elle était chargée de réaliser l'étanchéité. L’assurance décennale n’ayant pu jouer, la société est condamnée in solidum avec le maître d’œuvre à payer au syndicat des copropriétaires une somme conséquente à titre de dommages et intérêts. Concomitamment, le gérant de la société déclare une maladie grave.
Peu après, le fonds de commerce, qu’exploitait jusqu’alors la SARL en location-gérance et qui était détenu par son gérant, lui est cédé par celui-ci au prix de 850 000 €. Par acte du même jour, la SARL cède à son tour, au prix de 650 000 €, le fonds de commerce, à l'exception de la branche d'activité d'exploitation de carrières, à une société par actions simplifiée (SAS) dont le gérant de la SARL est associé minoritaire. Ces cessions ont pour effet d’appauvrir la SARL et de mettre, en fait, un terme à son activité, alors qu’elle est débitrice d’une dette d’environ 300 000 € au titre de la condamnation susmentionnée.
Dans ce contexte, l’assureur du maître d’œuvre exerce un recours subrogatoire en paiement contre la SARL, devenue insolvable, et assigne son gérant et la SAS sur le fondement de l’action paulienne.
Une discussion s’engage alors sur l’existence ou non d’une faute séparable des fonctions du gérant de la SARL de nature à engager sa responsabilité personnelle à l’égard de l’assureur.
La Cour de cassation approuve les juges d’appel d’avoir retenu l’existence d’une telle faute, dès lors qu’il ressort de leurs constatations que :
- le gérant de la SARL a fait acquérir par celle-ci une branche d'activité qu'il savait ne pouvoir être exploitée compte tenu de son état de santé dégradé, ce qui a entraîné une réduction de la trésorerie de cette société à hauteur de 200 000 euros sans réelle contrepartie,
- et qu'il a, en organisant la cession finale à la SAS du reste du fonds de commerce, que la SARL exploitait jusque-là en location-gérance, privé celle-ci de toute source de bénéfices, l'exposant ainsi sciemment au risque de ne pouvoir régler son créancier.
Remarque
un tiers ne peut engager la responsabilité personnelle d’un dirigeant qu’en établissant qu’il a commis une faute séparable de ses fonctions et qui lui soit imputable personnellement (Cass. com., 27 janv. 1998, n° 93-11.437 ; Cass. com., 20 mai 2003, n° 99-17.092), c’est à-dire une faute intentionnelle d'une particulière gravité, incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales (Cass. com., 20 mai 2003, préc., Cass. com., 4 nov. 2020, n° 18-19.747). En l’espèce, cette faute a été jugée établie. La solution fait écho à une précédente décision où la faute séparable d'un gérant d'une SARL a été retenue dès lors qu'il avait organisé l'insolvabilité de la société au moyen de sociétés tierces qu'il dirigeait (Cass. com., 5 févr. 2020, n° 18-19.044).