La procédure de liquidation judiciaire d’une SAS fait apparaître une insuffisance d’actif principalement imputable à une créance fiscale résultant d’un redressement. Le président et le directeur général (DG) de la société sont condamnés en première instance, pour des montants distincts et sans solidarité, à combler une partie du passif social sur le fondement de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif (C. com., art. L. 651-2).
Une décision d’appel exonère le président de sa responsabilité dans la mesure où il n’était pas encore en fonctions lors de la période au titre de laquelle le redressement fiscal a été opéré. Le DG fait, quant à lui, appel de sa condamnation dans une autre instance. Il considère que sa responsabilité ne peut pas valablement être engagée au regard des arguments suivants :
- si les statuts l’ont bien investi des « mêmes pouvoirs que le président », ils ont par ailleurs limité son pouvoir de représentation de la société vis-à-vis des tiers aux cas de « suppléance du Président » visés par ces mêmes statuts, de sorte qu’il n’a jamais disposé de la signature bancaire ni eu accès à la comptabilité ;
- il n’a jamais été rémunéré au titre de son activité au sein de la société, qui se limitait à un rôle d’« ambassadeur » (rôle de représentation sans capacité d’engagement, comprend-on).
La cour d’appel de Paris écarte ces arguments.
Elle observe que les pouvoirs de gestion et d’administration conférés par les statuts au DG faisaient de lui un dirigeant de droit. Cette qualité « lui imposait de vérifier la façon dont était administrée la société » et il ne pouvait « arguer de sa carence dans l’exécution de ses obligations pour s’exonérer de ses responsabilités ». Il aurait dû notamment vérifier que les factures réglées à un prestataire externe, qui se sont avérées fictives, correspondaient à un travail réellement effectué. Dans le même sens, il aurait dû s’assurer que les dons versés à des associations étaient profitables à la société et relevaient bien de contrats de parrainage autorisant leur déduction fiscale, étant précisé que ces versements avaient semble-t-il pour seul objet de financer la carrière automobile de l’un des petits-fils du DG. Il lui incombait, enfin, de s’assurer que les opérations comptables étaient effectuées de façon régulière et donnaient une image fidèle de l’activité de la société, ce qu’il s’est abstenu de faire, contribuant ainsi aux redressements opérés par l’administration fiscale.
La condamnation du DG est donc confirmée, mais la somme à payer est ramenée de 65 000 à 40 000 euros pour tenir compte notamment du fait qu’il n’avait perçu aucune rémunération au titre de son mandat social.
Ces solutions sont conformes à l’état du droit en ces matières.
Il est d’abord confirmé que la qualité de dirigeant de droit de la SAS n’est pas subordonnée à la détention du pouvoir de représentation de la société à l’égard de tiers. Elle peut être déduite des seuls pouvoirs de gestion et/ou d’administration conférés dans l’ordre interne par les statuts à des organes librement dénommés. Cela vaut naturellement pour les DG mais aussi, par exemple, pour les membres d’organes collégiaux de direction. Il faut par ailleurs rappeler que les actes d’une personne désignée comme directeur général (ou directeur général délégué) d’une SAS conformément aux statuts, et agissant en cette qualité, peuvent engager la société même lorsque le DG n’a pas été investi par les statuts du pouvoir de représentation externe (Cass. com., 9 juill. 2013, n° 12-22.627, n° 715 F - P + B). Il s’agit là d’une particularité qui contribue certainement à asseoir la qualité de dirigeant de droit des DG de SAS, à défaut de celle de représentant légal qui, elle, exige une reconnaissance explicite du pouvoir de représentation externe dans les statuts (Cass. com., 21 juin 2011, n° 10-20.878 ; Cass. com., 25 mai 2022, n° 20-21.460). En tout état de cause, il est rare en pratique que les statuts n'accordent pas ce pouvoir au DG, de sorte que celui-ci a généralement la qualité de représentant légal (a fortiori de dirigeant de droit) de la société.
Par ailleurs, il est acquis de longue date que l’absence de rémunération d’un mandataire social ne l’exonère en rien de ses responsabilités (Cass. com., 19 déc. 1977, n° 76-12.294 : Bull. civ. IV n° 305 ; Cass. com., 1er avr. 1981, n° 79-15.815 ; Cass. com., 21 juill. 1987, n° 86-10.306 : Bull. civ. IV n° 204). Cette circonstance peut cependant, comme en l'espèce, être prise compte pour fixer le montant de la sanction résultant de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif.