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28 février 2024
Selon la cour d’appel de Paris, une décision prise à l'unanimité des associés d'une SAS peut valablement déroger aux conditions de révocation d'un dirigeant prévues par les statuts de la société.

Un litige oppose une SAS à son ancien directeur général, lequel exige des dommages-intérêts au titre de la révocation de son mandat réalisée sans juste motif d’une part, et dans des circonstances brutales et vexatoires d’autre part (sur ce point, voir « Révocation abusive d’un dirigeant : illustration »).

Quant à l’exigence d’un juste motif, les statuts de la SAS stipulaient que le directeur général peut être révoqué à tout moment et sans qu'un juste motif soit nécessaire, par décision du président. Les associés de la SAS avaient toutefois décidé, à l’unanimité, de nommer ce directeur général en approuvant des conditions de révocation différentes de celles prévues dans les statuts, notamment en ce qu’elles prévoyaient que le directeur général ne pouvait être révoqué que pour trois motifs bien spécifiques.

La contradiction entre les prévisions statutaires et la décision de nomination interrogeait donc sur la modalité à retenir : la révocation du directeur général devait-elle être justifiée par l’un des motifs énoncés dans la décision de nomination ?

Pour répondre à cette question, la cour d’appel de Paris retient que la décision prise à l'unanimité des associés lors d'une assemblée générale démontre la volonté expresse des associés de déroger aux statuts. Pour elle, « sans que soit méconnu le principe de primauté des statuts sur un acte extra-statutaire en ce qu'ils établissent les règles de fonctionnement de la SAS, cette décision s'impose à la société quand bien même les statuts n'auraient pas fait l'objet d'une modification ». Par conséquent, elle décide de faire application des conditions de révocation approuvées par la décision de nomination, détaillées dans une annexe jointe à la résolution.

Cette solution, rendue à propos d’une question essentielle, mérite d’autant plus l’attention qu’elle contraste avec la position de la Cour de cassation. En effet, interrogés sur les rapports entre les statuts et les actes extra-statutaires, les Hauts magistrats avaient retenu la solution inverse, à savoir la primauté absolue des statuts d’une SAS, sans dérogation possible, dans un arrêt en date du 12 octobre 2022 (Cass. com., 12 oct. 2022, n° 21-15.382, à propos d’une décision d’un associé unique contraire aux statuts ; Elnet 29 nov. 2022, E. Guégan).

La solution de la cour d’appel de Paris paraît toutefois plus équilibrée que celle de la Cour de cassation en ce qu’elle reconnaît expressément la primauté des statuts, conformément à la lettre de l’article L. 227-5 du code de commerce, sans pour autant exclure la faculté de déroger ponctuellement à la règle statutaire. Ainsi, il est certain que doivent figurer dans les statuts les conditions dans lesquelles la société est dirigée, ce qui inclut les modalités de révocation des dirigeants (Cass. com., 9 mars 2022, n° 19-25.795 ; Elnet 22 mars 2022, G. Lesage), et en cas de contradiction entre deux règles de fonctionnement de portée générale, il est logique que les statuts prédominent. Cependant, ce n’est pas méconnaître cette hiérarchie que d’admettre une certaine flexibilité, dans l’intérêt d’un fonctionnement plus souple de la société. Pour cette raison, il est opportun de permettre aux associés de déroger à l’unanimité à la règle statutaire sans avoir à modifier celle-ci. La Cour de cassation le permet d’ailleurs pour les SARL (Cass. com., 12 mai 2015, n° 14-13.744 ; Cass. com., 19 janv. 2020, n° 18-15.179) et les SNC  (Cass. com. 11 oct. 2023, n° 22-10.646 ; Elnet 15 déc. 2023, E. Guégan). On peut souhaiter qu’elle révise sa position dans le même sens pour les SAS.

Remarque

la décision de nomination du directeur général prévoyait en outre que la révocation ne donnerait lieu à aucune indemnisation. Cependant, la cour d’appel de Paris écarte les dispositions concernant l'absence d'indemnisation au motif qu’elles ne s’appliquent que lorsque les conditions de la révocation sont réunies, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Elle retient donc qu’il y a bien lieu de réparer par l'octroi de dommages-intérêts la révocation décidée sans juste motif, dont la société est responsable.

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Elsa Guégan, Professeur agrégée des facultés de droit
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