Initialement conçue comme un processus d’introduction d’un nouveau médiateur à la pratique de la médiation, puis utilisée en matière de médiation entre personnes physiques et notamment familiale, le champ de la comédiation s’est étendu en matière commerciale, particulièrement internationale et donne d'excellents résultats : bien constituée la comédiation produit ainsi l’effet d’une médiation augmentée.
Constituer un duo de comédiateurs : quels critères, pour quel but ?
Tout d’abord, il s’agit de constituer un véritable duo de comédiateurs. Les critères suivants peuvent servir de repères.
D’abord, l’harmonie est essentielle : dans les rapports entre comédiateurs, d’une part et à l’égard des parties et de leurs conseils, d’autre part.
Entre eux : en plus de bien se connaître eux-mêmes (Cf. l’ouvrage de référence « En soi, vers l’autre. Comment les professionnels du conflit peuvent utiliser l’introspection pour aider leurs clients » [titre original : Inside out] de Gary Friedman : Médias & Médiations 2017), les comédiateurs doivent se connaître assez bien l’un l’autre pour se comprendre facilement. Ils doivent en effet pouvoir faire attention l’un à l’autre, sans que cela ne soustraie une part de leur attention à l’égard des médiés. Cette complicité est un élément clé du duo de comédiateurs.
A l’égard des parties, les personnalités et styles de médiation des comédiateurs doivent être compatibles et idéalement complémentaires. Il ne s’agit pas de constituer un duo « méchant/gentil », mais d’offrir au processus de médiation une palette de réception des émotions, d’analyse des échanges, y compris non verbaux, bien plus large que celle dont ne dispose un seul individu et aussi une façon de s’adresser aux parties qui a bien plus de chance de les toucher. Les reformulations pourront être répétées, elles-mêmes reformulées, le comédiateur peut même apporter un peu de contradiction à son duo, sous réserve d’utiliser des précautions de langage qui ne permettront pas aux parties de douter de la solidité de leurs comédiateurs (« il me semble avoir compris plutôt que … »). Ensemble, les deux comédiateurs vont pouvoir recevoir et analyser un spectre plus large de données et faire développer un nombre plus large d’idées, qui sont le matériau de construction des solutions !
Un premier exemple se trouve en matière de litiges de construction, où il est fréquent d’avoir autour de la table des représentants du maître d’ouvrage, du maître d’œuvre, de l’architecte, de la copropriété, du syndic, des copropriétaires, des corps d’état, des bureaux d’études, des bureaux de contrôles, des assureurs… Chacun venant, heureusement, avec son conseil. Cela fait rapidement une vingtaine de personnes autour de la table. Lorsque l’un des comédiateurs suit un échange avec l’une des parties, l’autre comédiateur peut plus librement observer les réactions des uns et des autres et les questionner, les aider le cas échéant à formuler un propos. Cet exemple d’optimisation de la présence de comédiateurs peut paraître évident, mais la comédiation est aussi précieuse lorsque peu de parties s’opposent. La prise de parole d’un comédiateur permet à l’autre de prendre des notes pour ne rater aucune piste, de prendre du recul sur les émotions dans la pièce, y compris sur ses propres émotions !
L'interaction complice entre des comédiateurs peut être perçue comme un modèle collaboratif : eux aussi travaillent, ensemble et aux côtés des parties et de leurs conseils, à la recherche de solutions, cela favorise la coopération entre les parties et permet un élargissement du champ des solutions.
Ensuite, il nous parait intéressant de composer un duo mixte :
- un homme, une femme, afin que chaque médié et aussi chaque conseil, puisse se sentir à l’aise dans sa communication avec l’un ou avec l’autre. Chacun a en effet tendance à « choisir son médiateur » en comédiation, c’est-à-dire à s’adresser préférentiellement à celui avec qui il a le plus d’affinité ou pour qui il a le plus de respect.
- en fonction des origines géographiques ou ethniques, des appartenances religieuses, en fonction des parties en présence. En cas de médiation entre personnes physiques ou morales de deux pays différents, un duo de comédiateurs de chacun de ces deux pays permettra de lever toute incompréhension liée à la langue et/ou à la culture de l’autre, par exemple.
La constitution de tels duos a récemment été facilitée par un accord de reconnaissance croisée entre médiateurs qualifiés par les associations membres de l’AMS (Alliance of organisations for Mediation Standards : alliance mondiale entre organismes de certification de médiateurs). Cette reconnaissance permet à tout médiateur certifié en France par l’IFCM (Institut Français de Certification des Médiateurs, seul organisme français de certification) de demander la reconnaissance de sa qualification à Hong Kong, à Singapour, en Malaisie, au Brésil ou encore au Portugal et facilite la création de duos de comédiateurs ressortissants de ces pays. D’autres associations de certification vont rejoindre l’AMS au cours des mois à venir, permettant un élargissement des possibilités de co-médiations internationales.
Enfin, les compétences techniques et les secteurs d’activités des médiateurs peuvent influer sur le choix d’un comédiateur. Il est toujours préférable, lorsque l’on traite de différends très techniques, d’avoir un duo de médiateurs qui, sans forcément être expert de la matière, puisse entrer dans ses considérations techniques, afin qu’aucune piste de résolution ne lui échappe. Il peut être intéressant de constituer un duo technicien – juriste, toujours dans l’idée d’un accès facile des médiateurs à la matière traitée et sans tomber dans l’écueil où l’un des comédiateurs interviendrait comme sachant. Il nous paraît évident, après une pratique de plusieurs années, que les parties ont des intérêts et des expectatives face aux médiateurs. La connaissance des matières traitées par le médiateur contribue à instaurer un climat de confiance et encourage les conversations ouvertes lors des sessions plénières.
Les avantages de la comédiation tout au long du processus
Lors des différentes étapes d’une médiation, le fait que deux médiateurs portent leur attention sur les parties et sur le litige est vertueux.
Bien sûr, il y a le partage des tâches - contacts, relances, etc. -, inhérent à tout travail en équipe, mais il y a également une vraie synergie apportée : la comédiation apporte des ressources et une énergie additionnelles (deux cerveaux au lieu d'un et surtout, quatre oreilles au lieu de deux !).
La préparation de la comédiation est plus rapide -chacun pouvant se reposer sur l’autre lors des séances plénières-, plus intensive et, éventuellement, plus spécifique, grâce aux compétences réunies.
Lors des réunions, la présence de deux comédiateurs permet de créer davantage de liens avec et entre les parties, les conseils, grâce aux échanges informels permettant souvent de se reconnaître à travers un point commun ou un centre d’intérêt commun (âge, genre, hobby, expertise, ...).
Lors d’apartés, souvent avec une partie et son conseil, ou un ensemble de parties et leurs conseils respectifs, les comédiateurs peuvent animer des échanges plus riches, plus dynamiques. La diversité des styles de médiation est exploitée au maximum pour s’adapter à la situation : lequel s’entretient à part avec telle partie ? Un seul comédiateur, pour son style plus percutant ou au contraire plus souple ? Les deux ?
Lors d’une médiation d’un litige portant sur un chantier pluriannuel, nous avions prévu une réunion sur la journée, avec un déjeuner pris ensemble. Ce déjeuner intervenait après que les échanges avaient permis de dresser un premier tableau du litige. L’un de nous était à la table des opérationnels, l’autre à celle des dirigeants des trois sociétés en litige. En débriefant sur les éléments échangés lors du repas, nous, comédiateurs, n’avions pas du tout entendu la même version de l’histoire ! Il y avait l’histoire que chacun se sentait autorisé à raconter devant son directeur et celle que chacun avait vécue et relatait plus librement pendant les agapes. Ceci nous a permis de réutiliser ces différences en les questionnant, aux moments opportuns, lors de l’après-midi. Nous avions gagné du temps et, après la restitution d’un groupe de travail technique que nous avions constitué (nous parlerons de notre « médiation de chantier » dans un autre article ! : https://mediation-resolution.net/services/mediation-de-chantiers/), il n’a fallu qu’une réunion plénière supplémentaire pour parvenir à un accord.
Le coût de la comédiation
Ce qui peut effrayer les parties, c’est bien sûr le coût de la comédiation. La comédiation doit-elle coûter deux fois plus cher que la médiation ? Probablement pas, mais uniquement pour des raisons commerciales. La comédiation doit-elle être ramenée au même tarif que la même médiation assurée par un seul des deux médiateurs ? Probablement pas et même certainement pas, pour tous les avantages cités ci-avant, qui permettent d’affirmer que la comédiation résout plus vite, embrasse la plus grande part du litige et de sa cohorte de non-dits, apporte un service augmenté, pour une solution qui, quand elle point, est encore plus complète.
Ingénieure et juriste, Garance Goujard a occupé pendant dix ans des fonctions dans un grand groupe de construction avant de créer sa première société d’expertise et de conseil en 2010. Formée à la médiation à l’université d’Avignon puis à Harvard, elle est médiatrice près les cours d’appel de Nîmes et de Lyon.
garance@mediation-resolution.net
Diplomé des Beaux-Arts de Paris et de Harvard, Claude Amar est architecte, développeur hôtelier et investisseur immobilier. Il est également médiateur certifié par plusieurs organisations, en France et dans le monde entier. En sa qualité de médiateur agréé il est régulièrement désigné par les cours d'appel pour résoudre des différends commerciaux et industriels
claude@mediation-resolution.net