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10 février 2023
Lors de l’octroi d’un prêt à une holding créée pour racheter une société, la banque n’a pas à mettre en garde le dirigeant de la holding, ancien salarié de la société cible, qui a acquis dans cette dernière des compétences pour apprécier l’endettement résultant du prêt.
Quand la banque n’a pas à mettre en garde le nouveau dirigeant de la société emprunteuse
©Gettyimages

Plusieurs salariés d’une SARL constituent une société holding en 2008 pour acquérir l’intégralité des parts de la SARL. L’achat est notamment financé par un prêt bancaire, dont l'un des salariés – devenu gérant de la holding – se porte caution dans la limite d’un certain montant. Deux ans plus tard, la holding est mise en redressement puis en liquidation judiciaires. Poursuivi en exécution du cautionnement par la banque, le dirigeant met en cause la responsabilité de celle-ci pour avoir omis de le mettre en garde, en qualité tant de dirigeant que de caution, contre le caractère disproportionné du prêt consenti à la holding. En vain.

Après avoir rappelé que le caractère averti de l’emprunteur, personne morale, s'apprécie en la personne de son représentant légal, la Cour de cassation estime, au vu des éléments suivants, que la holding avait la qualité d'emprunteur averti et que la banque n'était pas tenue d'un devoir de mise en garde à son égard : le dirigeant de la holding, salarié de la SARL, avait une expérience de cinq ans au sein de cette dernière entreprise ; il y exerçait les fonctions de responsable commercial et en avait doublé le chiffre d'affaires par la mise en place d'une réelle stratégie commerciale et en lui insufflant un nouvel élan. La SARL était la société cible de l'opération, un montage juridique ayant été effectué pour concrétiser le financement de son rachat par l'endettement. Il en ressortait que, même s’il n’avait pas auparavant exercé ses compétences dans une société holding, l’intéressé était toutefois à même de mesurer, par les compétences acquises dans la SARL, le risque d'endettement né de l'octroi du prêt souscrit par la holding, dont il était le gérant, et qui dépendait des résultats de l'entreprise cible.

A noter :

1° La banque qui consent un prêt à un emprunteur non averti est tenue à son égard, lors de la conclusion du contrat, d’un devoir de mise en garde en considération de ses capacités financières et des risques de l’endettement né de l’octroi du prêt (jurisprudence constante).

La qualité d'emprunteur averti d'une personne morale s'apprécie en la personne de son représentant légal au moment de l'engagement litigieux (notamment, Cass. com. 11-4-2018 n° 15-27.798, 15-27.133, 15-27.840, 15-29.442 P-B : RJDA 6/18 n° 524). Elle ne peut pas être déduite de la seule qualité de dirigeant et associé de la société emprunteuse (Cass. com. 22-3-2016 n° 14-20.216 FS-PB : RJDA 6/16 n° 472 ; Cass. com. 17-5-2017 n° 15-24.184 F-D), si elle n’est pas corroborée par une expérience de la vie des affaires ou une implication dans la gestion de la société emprunteuse (Cass. com. 31-1-2012 n° 10-24.694 F-D : RJDA 11/12 n° 999, 2e espèce ; aussi Cass. com. 14-5-2008 n° 07-17.939 F-D : RJDA 10/08 n° 1046). Ainsi n’ont pas été considérés comme avertis le cogérant d’une société, âgé de 23 ans, qui n’avait exercé ces fonctions que neuf mois pour remplacer une personne en congé maternité (Cass. com. 5-2-2013 n° 11-26.262 F-D : RJDA 5/13 n° 444), le gérant nouvellement désigné, jeune, au chômage et sans expérience des affaires en général ni du domaine d’activité de la société (Cass. com. 13-11-2012 n° 11-24.178 F-D) ou encore le dirigeant d’une société nouvellement créée, titulaire de diplômes en lettres et en documentation et ayant exercé des activités de documentaliste, mais sans expérience de la gestion d’une société commerciale (Cass. com. 11-4-2012 n° 10-25.904 FS-PB : RJDA 11/12 n° 999, 1e espèce).

En l’espèce, le dirigeant de la holding emprunteuse invoquait cette jurisprudence, faisant valoir qu’au moment de la signature du prêt il n’avait aucune expérience en tant que dirigeant de la holding ni dans l’activité exercée par cette dernière. Pour écarter cet argument, la Cour de cassation se réfère à la fois à l’expérience acquise par l’intéressé dans la SARL en tant que salarié et à l’objet du prêt, destiné à permettre à la holding de prendre le contrôle de la SARL.

2° La Cour de cassation met également à la charge de la banque un devoir de mise en garde à l’égard d’une caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n’est pas adapté aux capacités financières de la caution ou s’il existe un risque d’endettement né de l’octroi du prêt garanti, lequel résulte de l’inadaptation du prêt aux capacités financières de l’emprunteur (Cass. com. 15-11-2017 n° 16-16.790 FS-PBI : RJDA 3/18 n° 270 ; Cass. com. 9-10-2019 n° 18-12.813 F-D : RJDA 1/20 n° 47).

La réforme des sûretés (issue de ord. 2021-1192 du 15-9-2021) a partiellement codifié cette jurisprudence pour les cautionnements souscrits depuis le 1er janvier 2022 par une personne physique au profit d’un créancier professionnel. D’autre part, ce dernier est tenu de mettre en garde la caution lorsque l’engagement du débiteur principal est inadapté aux capacités financières de ce dernier ; à défaut, le créancier est déchu de son droit contre la caution à hauteur du préjudice subi par celle-ci (C. civ. art. 2299). L’inadaptation du cautionnement souscrit aux capacités financières de la caution relève de l’article 2300 du Code civil ; aux termes de ce texte, si le cautionnement souscrit par une personne physique envers un créancier professionnel était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné aux revenus et au patrimoine de la caution, il est réduit au montant à hauteur duquel elle pouvait s'engager à cette date. Aucun de ces nouveaux textes ne prévoit expressément que leur bénéfice est réservé à la caution non avertie.

Documents et liens associés

Cass. com. 4-1-2023 n° 15-20.117 F-B, X c/ Sté Banque CIC Nord-Ouest

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