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26 octobre 2023
La clause de non concurrence post contractuelle ne doit pas être disproportionnée par rapport aux intérêts légitimes de la société au regard de l'objet du contrat, disproportion appréciée par rapport à la force ou la faiblesse du savoir-faire.

La clause de non-concurrence à effet post-contractuel est souvent source de contentieux. Le franchisé qui veut changer d’enseigne va se trouver contraint par cette clause, qui doit être encadrée et soumise à des conditions strictes.

L’arrêt de la cour d’appel de Paris du 28 juin 2023 est particulièrement intéressant car il juge que ces conditions ne sont pas remplies en l’espèce et il annule la dite clause.

L'article 14 du contrat de franchise signé entre les parties stipulait au titre de la clause de non- concurrence : « Pendant toute la durée du contrat, le franchisé s'interdit de créer, participer ou s'intéresser directement ou indirectement par lui-même ou par personnes interposées, à toute entreprise ou société concurrente du franchiseur et du réseau SPAR et, en particulier à tout commerce de distribution alimentaire.

En outre, le franchisé s'interdit d'exploiter ou de participer d'une quelconque manière, directement ou par personnes interposées, à l'exploitation, la gestion, l'administration, le contrôle d'un fonds de commerce ou d'une entreprise ayant une activité identique ou similaire à l'unité en franchise, et de s'affilier, d'adhérer ou de participer de quelque manière que ce soit, à une chaîne concurrente du franchiseur ou d'en créer une lui-même, et plus généralement de se lier à tout groupement, organisme ou entreprise concurrents du franchiseur.

De plus, cette interdiction sera valable pendant 1 an à compter de la date de cessation du présent contrat pour quelque cause que ce soit, et ce, dans un rayon de 30 kms du magasin exploité dans le cas d'une zone dite rurale et dans un rayon de 10 kms dans une zone urbaine.

La violation de cette clause outre les conséquences qu'elle pourrait avoir sur le contrat en cours d'exécution entraînera le versement par le franchisé d'une somme de 160.000 €, sans préjudice des autres droits et recours du franchiseur et de l'obligation pour le Franchisé de respecter l'obligation concernée.

Cette obligation s'étend, le cas échéant, au gérant, à son conjoint, à tout dirigeant de fait, ainsi qu'à toutes personnes ayant eu accès au savoir-faire du franchiseur, ce dont le Franchisé devra les avertir.».

Or, le franchisé de l’espèce serait sorti du réseau et aurait immédiatement arboré une autre enseigne.

L’arrêt de la cour d’appel de Paris apporte des précisions intéressantes quant à cette clause.

1. La première précision est banale. Cette clause ne serait pas conforme à l'article L. 341-2 du code de commerce créé par la loi du 6 août 2015 dite loi Macron, qui exige que la clause soit limitée au point de vente. Mais, il a été jugé que ce texte ne peut s’appliquer rétroactivement à une clause conclue avant l’entrée en vigueur de la loi (Cass. com., 16 févr. 2022, n°20-20.429). La cour d’appel en déduit que cet article n'est donc pas applicable au présent litige.

2. La cour d’appel précise ensuite que le droit de l’Union européenne est bien applicable, ce que conteste souvent Casino dans les arrêts relatifs à ce type de contentieux. La cour relève ainsi que « La clause figurant dans le contrat type de franchise sous l'enseigne Spar, réseau national (pièce n°38) repris par Distribution Casino France, est susceptible d'affecter la totalité du territoire français, partie substantielle du marché de l'Union. Il y a donc lieu de dire applicable le droit de la concurrence de l'Union et d'appliquer le règlement n° 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010 concernant l'application de l'article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées. »

Il faut rappeler que les juges ont l’obligation d’appliquer éventuellement d’office le droit de l’Union, dès lors qu’il y a affectation du commerce intra-européen (article 3§1 du Règlement n°1/2003 : « Lorsque les autorités de concurrence des États membres ou les juridictions nationales appliquent le droit national de la concurrence à des accords, des décisions d'associations d'entreprises ou des pratiques concertées au sens de l'article 81, paragraphe 1, du traité susceptibles d'affecter le commerce entre États membres au sens de cette disposition, elles appliquent également l'article 81 du traité à ces accords, décisions ou pratiques concertées »).

Par ailleurs, les lignes directrices de la Commission sur la notion d’affectation du commerce intra-européen (JOUE n° C 101, 27 avr. 2004) mentionnent le cas des ententes verticales au point 3.2.2. Il y est expliqué que les ententes « couvrant l'ensemble d'un État membre sont normalement susceptibles d'affecter le commerce entre États membres. Du reste, les juridictions communautaires considèrent souvent que l'entente qui s'étend à l'ensemble du territoire d'un État membre a, par sa nature même, pour effet de consolider des cloisonnements de caractère national, entravant ainsi l'interpénétration économique voulue par le traité ».

Dès lors, il est légitime de considérer que le réseau Spar, réseau national  repris par Distribution Casino France, et qui couvre tout le territoire français affecte le commerce intra-européen.

Ceci est d’autant plus vrai que dans les lignes directrices du Règlement 330/2010 d’exemption des restrictions verticales (applicable aux faits de l’espèce),  la Commission énonce que « 49. Les accords et pratiques doivent systématiquement être considérés dans le cadre économique et juridique dans lequel ils se produisent ». Il en résulte que si un accord fait partie d’un réseau, on doit tenir compte de la réalité du réseau (et non du seul contrat litigieux) pour apprécier l’affectation du commerce intra-européen et les effets sur le marché de l’accord.

Donc, le réseau Spar affectant le commerce intra-européen, la cour d’appel rappelle que « Les conditions d'exemption automatique des clauses de non-concurrence post-contractuelles prévues dans le règlement d'exemption sont les suivantes : a) l'obligation concerne des biens ou des services en concurrence avec les biens ou services contractuels ; b) l'obligation est limitée aux locaux et aux terrains à partir desquels l'acheteur a exercé ses activités pendant la durée du contrat ; c) l'obligation est indispensable à la protection d'un savoir-faire transféré par le fournisseur à l'acheteur ; d) la durée de l'obligation est limitée à un an à compter de l'expiration de l'accord ».

La cour ajoute que « Cette application ne change d'ailleurs pas les critères d'appréciation de la clause en droit national qui prévoit qu'une clause de non-concurrence, en ce qu'elle porte atteinte au principe de la liberté du commerce, doit être justifiée par la protection des intérêts légitimes de son créancier et ne pas porter une atteinte excessive à la liberté de son débiteur, c'est-à-dire être limitée quant à l'activité, l'espace et le lieu qu'elle vise ; elle ne peut, par exemple, empêcher le débiteur d'exercer toute activité professionnelle ; enfin, elle doit, au regard de la mise en balance de l'intérêt légitime du créancier de non-concurrence et de l'atteinte qui est apportée au libre exercice de l'activité professionnelle du débiteur de non-concurrence, être proportionnée (en ce sens Cass. com., 24 nov. 2009, n° 08-17.650 ; Cass. com., 16 févr. 2022, n° 20.12.885) ».

Ceci n’est pas tout à fait exact. La jurisprudence applicable quand le règlement d’exemption ne valide pas la clause peut parfois être légèrement plus souple (quand la loi Macron ne s’applique pas). Il est ainsi possible qu’une clause qui ne s’applique pas au seul point de vente soit validée, à condition qu’elle soit proportionnée.

Mais la cour d’appel appliquant les différents critères relève tout d’abord que « La clause de non-concurrence post-contractuelle peut être considérée comme inhérente à la franchise dans la mesure où elle permet d'assurer la protection du savoir-faire transmis qui ne doit profiter qu'aux membres du réseau et de laisser au franchiseur le temps de réinstaller un franchisé dans la zone d'exclusivité. En ce sens, la clause litigieuse insérée au contrat de franchise Spar est destinée à la protection des intérêts légitimes de la société franchiseur Distribution Casino dont la réalité du savoir-faire transmis n'est pas utilement contestée par la société Capalim. Elle est par ailleurs limitée dans le temps et dans l'espace ».

Toutefois elle va décider que la clause de non-concurrence post-contractuelle litigieuse est disproportionnée par rapport aux intérêts légitimes de la société Distribution Casino au regard de l'objet du contrat et qu’il y a lieu de l'annuler. En effet, elle va apprécier la disproportion par rapport à la force ou la faiblesse du savoir-faire.

Tout en admettant que la société CASINO a un savoir-faire reconnu par la Cour de cassation (Cass. com., 8 juin 2017, n° 15-22.318), la Cour d’appel va considérer que ce savoir-faire a une « faible technicité et spécificité, en sorte qu'une restriction d'activité telle que prévue par la clause litigieuse n'apparaît pas indispensable pour assurer sa protection ». Elle ajoute que la société Distribution Casino ne démontre pas en quoi la clause litigieuse restrictive de l'activité professionnelle du franchisé dans une zone rurale en Haute-Corse (rayon de 30 km) est nécessaire pour la protection de son savoir-faire. 

En reliant la faiblesse du savoir-faire et la disproportion de la clause, la cour d’appel consacre une conception à deux vitesses du savoir-faire selon l’expression de Nicolas Eréséo (Lettre de la distribution, sept. 2023). Un savoir-faire peut être une contrepartie suffisante pour valider le contrat et justifier le paiement des redevances, mais ne pas légitimer une clause de non-concurrence post-contractuelle de 30 kms autour du point de vente.

On peut toutefois penser que si la clause avait été prévue pour le seul point de vente, le savoir-faire léger de Casino aurait suffi à la légitimer.

3. La cour rejette enfin la possibilité pour Casino de réduire la clause disproportionnée pour échapper à la nullité.

Si en droit social, il arrive qu’il y ait réduction (Soc., 25 mars 1998 : Bull. civ. 1998, V, n° 174 ; D. 1999, somm. p. 107, obs. Y. Serra,), il reste qu’en droit économique, ce n’est pas le cas. Le présent arrêt de la Cour d’appel de Paris ne pose toutefois pas une règle de droit impliquant le rejet de la réduction, mais se contente de relever que « la lettre du 31 mai 2016 (…) ne constitue nullement un courrier par lequel le franchiseur limite l'effet de la clause au seul point de vente, étant observé que ce courrier a été envoyé quelques jours avant l'échéance du contrat en réponse à la notification du franchisé de son intention de ne pas le renouveler ».

Mais de toute façon, la mise à l’écart de la réduction s’impose. D’abord, la proposition de réduction unilatérale d’une clause contractuelle n’a aucun effet si elle n’est pas acceptée par l’autre partie, qui peut en demander l’annulation. Ensuite, si le juge français peut décider d’admettre ou de refuser la réduction quand il applique le droit français, l’effet d’une réduction sur les conditions posées par le règlement d’exemption ne pourrait être consacré que par une interprétation de la CJUE. Enfin et surtout, pourquoi respecter ex ante les exigences posées par les textes ou la jurisprudence, s’il suffisait ex post en cas de litige de proposer leur respect, sans rien risquer d’autre. Si les juges voulaient rendre inefficace la protection des franchisés contre les clauses de non-concurrence post-contractuelles excessives, ils ne s’y prendraient pas autrement.

Heureusement, en l’espèce, la clause disproportionnée est bien annulée par la cour d’appel de Paris, qui repousse ainsi l’argument tiré d’une éventuelle réduction.

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Jean-Baptiste Gouache, Avocat à la cour d'appel de Paris
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