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25 mai 2023
Un immeuble acheté par une société doit être réintégré dans le patrimoine du dirigeant de celle-ci dès lors que ce dernier est, au vu des circonstances, le véritable propriétaire de l’immeuble, peu important que la société ne soit pas fictive.
L'achat d'un immeuble par une société en réalité réalisé par son dirigeant
©Gettyimages

L'administration fiscale, détenant une créance de plus de 15 millions d’euros au titre de l’impôt sur le revenu et de cotisations sociales sur le dirigeant d'une société et estimant qu’un immeuble acquis par la société est en réalité la propriété exclusive du dirigeant, poursuit la société et son dirigeant en déclaration de simulation afin d’obtenir la réintégration du bien dans le patrimoine du dirigeant. Les intéressés contestent : le prix d’achat de l’immeuble a été payé par la société au moyen d’un prêt bancaire qu’elle a en partie remboursé grâce aux loyers perçus après la mise en location de l’immeuble ; la société a donc une activité réelle conforme à son objet social.

L’administration fiscale obtient néanmoins gain de cause (Cass. com. 5-4-2023 n° 21-21.881). En effet, l’existence d’une simulation par interposition d'acquéreur, laquelle n'est pas incompatible avec l'exercice d'une activité réelle de la société interposée, résultait des circonstances suivantes :

  • l’immeuble avait fait l’objet en juillet 2012 d’une promesse de vente au bénéfice du dirigeant, avec faculté de substitution, moyennant le prix de 15 200 000 € ; le 1er octobre 2012, la vente avait été conclue avec la société, substituée dans les droits du dirigeant ; cette société, immatriculée le jour même de la vente, avait été constituée entre le dirigeant, détenteur de 99 % du capital social (lequel ne s'élevait qu'à 10 000 €), et son fils ;
  • si un prêt de 16 000 000 € avait été consenti en septembre 2012 à la société pour trois ans, le remboursement du capital étant stipulé in fine et les échéances portant sur les intérêts trimestriels à terme échu, la société ne présentait pas les garanties permettant l'octroi d'un tel prêt et n'était pas en mesure d'acquitter les intérêts intermédiaires ; le dirigeant s'était porté caution personnelle et solidaire (à hauteur de 17 600 000 €) et avait accepté de déléguer partiellement au profit de la banque des créances d'assurances-vie (à hauteur de 16 650 000 €), aucune hypothèque n'étant inscrite sur l’immeuble acquis ; le remboursement des échéances du prêt, en cas de défaillance de la société, reposait donc uniquement sur le dirigeant ;
  • une dette fiscale importante à la charge du dirigeant préexistait à l'acquisition de l’immeuble ; si le dirigeant détenait dans son patrimoine des parts de la société, dont la valeur correspondait à celle de l'immeuble diminué de l'encours du prêt, cet immeuble était, sauf à voir aboutir l'action en déclaration de simulation, exclu du gage de ses créanciers ;
  • d’octobre 2012 à novembre 2013, les seules opérations portées au crédit du compte bancaire de la société étaient des virements émis par le dirigeant depuis son compte personnel juste avant ou après le prélèvement des échéances du prêt immobilier ; si, durant la période de location de l’immeuble (de novembre 2013 à septembre 2014), le compte de la société avait été alimenté par les loyers mensuels, ces derniers étaient insuffisants pour assurer le remboursement des échéances du prêt et le règlement des charges d'entretien, le dirigeant ayant continué à faire d’importants virements à la société et certaines des factures liées à l’immeuble étant établies à son nom ;
  • en 2013, le dirigeant et son fils avaient projeté de céder toutes les parts de la société pour 10 000 € à une société luxembourgeoise, détenue indirectement par le conjoint du dirigeant, mais la cession n'avait pas abouti.

A noter :

1° Lorsque les parties ont conclu un contrat apparent qui dissimule un contrat occulte, ce dernier (aussi appelé « contre-lettre ») est valable entre les parties mais il n’est pas opposable aux tiers, qui peuvent néanmoins s’en prévaloir (C. civ. art. 1201 ; ex-art. 1321 sous l’empire duquel l’arrêt commenté a été rendu). Les tiers qui souhaitent se prévaloir du contrat occulte peuvent exercer une action en déclaration de simulation (Cass. 3e civ. 31-3-2010 n° 08-16.693 F-D : RJDA 10/10 n° 904). Dans l’affaire commentée, l’administration fiscale ne pouvait pas saisir l’immeuble appartenant à la société pour le règlement des impôts et cotisations dus par le dirigeant et son conjoint, à moins d’obtenir que cet immeuble soit jugé comme appartenant au dirigeant.

La simulation peut notamment porter sur l’identité d’une des parties au contrat ; on parle alors d’interposition de personnes (par exemple, Cass. 1e civ. 28-11-2000 n° 98-14.618 P : Bull. civ. I n° 311) ou de prête-nom (Cass. 1e civ. 11-2-1976 nos 74-13.003 et 74-13.091 : Bull. civ. I n° 64). Dans certains cas, la société interposée peut être fictive, ce qui justifie que la simulation soit retenue par les juges (Cass. 3e civ. 18-12-2007 n° 06-21.897 F-D : RJDA 4/08 n° 367). La Cour de cassation précise, pour la première fois à notre connaissance, que la fictivité de la société interposée n’est pas pour autant une condition de la simulation.

La personne qui participe sciemment à une interposition afin de faire échapper un bien aux poursuites de créanciers s’expose à payer des dommages-intérêts à ces derniers (Cass. 3e civ. 31-3-2010 précité).

2° La simulation peut aussi être sanctionnée au titre de la fraude aux créanciers (C. civ. art. 1341-2 ; Cass. 3e civ. 31-3-2010 précité). Mais l'action paulienne alors ouverte aux créanciers, qui tend à leur rendre inopposable l'acte apparent, est soumise à des conditions de mise en œuvre plus restrictives que l'action en déclaration de simulation (créance certaine antérieure à l'acte attaqué et intention du débiteur de nuire à ses créanciers).

Documents et liens associés 

Cass. com. 5-4-2023 n° 21-21.881 F-D, X c/ Comptable public

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