Conditions d’exercice du droit d’alerte et du droit de retrait
Le salarié doit signaler immédiatement à l’employeur toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection.
Le droit de retrait permet à chaque salarié de se retirer d’une situation de travail qu’il estime dangereuse pour sa vie et sa santé et, si nécessaire, de quitter les lieux pour se mettre en sécurité. Ce droit peut être exercé par un seul salarié ou par un groupe de salariés.
Le droit de retrait ne peut s’exercer qu’au cours de l’exécution du contrat de travail, et non quand celui-ci est suspendu, pour maladie par exemple ( Cass. soc., 9 oct. 2013, no 12-22.288 ).
Le droit de retrait est facultatif : ne pas en avoir fait usage n’est pas fautif.
Notion de danger
Le danger doit être grave et imminent
Qu’il s’agisse de l’exercice du droit d’alerte ou de retrait, la menace doit être susceptible de porter une atteinte sérieuse à l’intégrité physique ou morale du travailleur dans un proche délai. Cela ne se confond pas avec les risques habituels, inhérents à certains postes. Le danger s’apprécie au cas par cas, sous le contrôle du juge : un danger grave est celui susceptible de provoquer un accident ou une maladie pouvant entraîner la mort ou une incapacité permanente ou temporaire prolongée ; un danger imminent est celui susceptible de se réaliser brutalement dans un délai proche ( Circ. DRT 93-15, 25 mars 1993 ). En cas de divergences sur la réalité du danger ou la façon de le faire cesser, l’employeur doit réunir le CSE au plus tard dans les 24 heures et informer immédiatement l’inspecteur du travail et l’agence du service de prévention de la Carsat ou de la Cram, qui peuvent assister à cette réunion.
Pas besoin de prouver la réalité du danger
Le caractère effectif du danger n’est pas retenu par les juges. Il suffit que le salarié ait pu raisonnablement croire à l’existence de celui-ci au moment où il a exercé son droit de retrait. C’est ce que les juges doivent apprécier ( Cass. soc., 27 mars 2024, no 22-20.649 ). S’agissant d’un droit de retrait pendant la pandémie de Covid-19, ils doivent juste s’assurer que le salarié avait bien un motif raisonnable de penser que sa situation de travail présentait un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé. Ils n’ont pas à rechercher si l’employeur avait mis en œuvre les mesures alors prescrites par le gouvernement ( Cass. soc., 12 juin 2024, no 22-24.598, no 594 F-B ).
Remarque
Par exemple, le salarié peut faire valoir son droit de retrait en cas de fuite de gaz, alors que la fuite provenait en réalité d’une cause extérieure à l’entreprise, ce que le salarié ne pouvait savoir au moment où il a exercé son droit.
L’appréciation du danger : cause extérieure ou personnelle
Marge de manœuvre laissée au salarié
L’exercice du droit de retrait relève de l’appréciation subjective du salarié. La notion de danger doit s’apprécier de son point de vue, au regard de ses connaissances et de son expérience.
Une cause externe
La cause du danger peut être externe, c’est-à-dire résulter d’une défectuosité grave du matériel, d’équipements de sécurité défaillants…
Remarque
Exemples de situations permettant d’exercer le droit de retrait : températures négatives dans un atelier, dispositifs de sécurité notoirement défectueux, matériel non conforme aux règles de sécurité, freins de véhicules de travail défectueux et mal réglés. A l’inverse, ne constituent pas un danger grave et imminent pour la santé des courants d’air auxquels est exposée une salariée ou les conditions météorologiques (pluie et vent) invoquées par des salariés pour refuser de poser un plancher au 2e étage d’un bâtiment en construction.
Le danger peut être propre au salarié
Le danger grave et imminent peut aussi trouver sa cause dans un motif inhérent au salarié.
Remarque
Ainsi, un salarié peut exercer son droit de retrait au motif que son état de santé ne lui permet plus d’occuper son poste, qui le met en contact avec des animaux ou produits chimiques ( Cass. soc., 20 mars 1996, no 93-40.111 ). Le droit de retrait peut aussi être utilisé par un salarié affecté à un poste non aménagé dans le sens souhaité par le médecin du travail ( Cass. soc., 11 déc. 1986, no 84-42.209 ). Un salarié peut refuser de conduire un autobus dont la direction est trop dure et la suspension trop ferme, alors que le médecin du travail l’a déclaré apte à la conduite sous réserve que lui soit confié un véhicule à la direction souple ( Cass. soc., 10 mai 2001, no 00-43.437 ).
Le motif de danger doit être raisonnable
Le salarié ne doit pas exercer son droit de retrait à la légère. C’est une décision importante, lourde de conséquences. Si, en définitive, l’employeur constate qu’il n’avait pas de motif raisonnable de croire à un danger grave et imminent, et qu’il a abusé de son droit de retrait, une retenue sur salaire pour absence de service peut être effectuée et l’employeur peut éventuellement décider de prononcer une sanction disciplinaire ( Cass. soc., 11 juill. 1989, no 86-43.497 ; Cass. soc., 22 mai 2024, no 22-19.849, no 509 FS-B ).
Remarque
Attention : le droit de retrait a pour seul objectif la sauvegarde du salarié et ne peut servir à faire la promotion de revendications professionnelles.
Obligations du salarié
Avertir l’employeur et informer le CSE
Le salarié doit avertir immédiatement son employeur ou son représentant du danger de la situation. Il n’a pas besoin de l’accord de l’employeur pour exercer ce droit de retrait ; une simple information suffit. Il peut aussi informer les représentants du personnel, s’ils existent dans l’entreprise. Lorsque le CSE constate lui-même le danger ou en est informé par un salarié, il en avise aussitôt l’employeur et consigne cet avis dans un registre spécial.
Ne pas créer une autre situation de danger
Le droit individuel de retrait ne doit pas créer pour autrui une nouvelle situation de risque grave et imminent. Par exemple, si le salarié a le droit de se retirer de la situation dangereuse, il n’a pas pour autant celui d’arrêter les machines, si cela peut causer un danger pour les autres…
Formalisme
Aucun formalisme ne peut être exigé pour l’exercice du droit d’alerte et de retrait. Le règlement intérieur ne peut les subordonner à une procédure écrite ( Cass. soc., 28 mai 2008, no 07-15.744 ). S’il existe un CSE dans l’entreprise, ces droits ne peuvent être subordonnés à sa saisine pour qu’il déclenche la procédure ( Cass. soc., 10 mai 2001, no 00-43.437 ).
Conséquences du droit de retrait
L’exercice du droit de retrait ne peut entraîner ni sanction, ni retenue sur salaire, sauf si le salarié n’a pas un motif raisonnable de penser que la situation présente un danger. Il n’est pas tenu de reprendre le travail tant que le danger grave et imminent persiste.
Remarque
Exemple : procédure d’alerte initiée dans une société de transport suite à l’incendie d’un bus GPL. Malgré la levée de l’alerte par l’inspection du travail, certains salariés refusent de reprendre la conduite de ce type de bus, invoquant leur droit de retrait mais restant à disposition pour la conduite d’autres bus. Malgré cette mise à disposition, l’employeur peut pratiquer une retenue sur salaire, les conditions du droit de retrait individuel n’étant plus réunies.
Droit d’alerte en cas de risque sanitaire et environnemental
Si un salarié estime que les produits ou les procédés de fabrication utilisés par l’établissement qui l’emploie font peser un risque grave sur la santé publique ou l’environnement, il peut alerter immédiatement l’employeur ou s’adresser au CSE. Cette alerte est consignée par écrit (C. trav., art. D. 4133-1 et D. 4133-3 ). Si aucune suite n’y est donnée dans le mois ou en cas de divergence sur le bien-fondé de l’alerte, le salarié peut saisir le préfet de département. Toute mesure de rétorsion prise à son encontre est nulle, à moins de prouver que cette mesure est justifiée par des éléments objectifs et étrangers à sa déclaration ou à son témoignage. Sa mauvaise foi l’expose aux peines prévues en cas de dénonciation calomnieuse (C. pén., art. 226-10, al. 1er ).