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20 février 2022
Le cabinet Flichy Grangé Avocats a organisé la semaine dernière un webinaire sur la loi Santé au travail du 2 août 2021 dont la majeure partie des dispositions entrent en vigueur le 31 mars. L'occasion de préciser les apports des projets de décret qui circulent actuellement.
Loi Santé au travail : tout ce qui va changer au 31 mars 2022

L'entrée en vigueur des principales mesures de la loi Santé au travail du 2 août 2021 approche à grands pas. Son application est en effet fixée au 31 mars 2022. L'occasion pour le cabinet Flichy Grangé Avocats de faire le point sur les mesures qui concernent les services RH.

En introduction, Carole Grandjean, député LREM, co-rapporteure de la loi avec Charlotte Parmentier-Lecocq également députée de la majorité, a rappelé les grands enjeux du texte : lutter contre la désinsertion professionnelle avec plus d'efficacité, remédier à la baisse du nombre de médecins de travail, ajuster l'organisation à de nouveaux risques, faire de la médecine du travail un outil d'enjeu de santé publique et décloisonner santé publique et santé au travail.

Le renforcement de la prévention des risques en entreprise

Bruno Fieschi, avocat associé au sein du cabinet Flichy Grangé Avocats, rappelle que "la loi Santé intègre les risques psychosociaux dans l'évaluation des risques dans une démarche de prévention santé/sécurité et d'amélioration de la qualité de vie au travail. Cette extension se retrouve également dans la prévention des risques chimiques dans l'entreprise".

L'article L.4412-1 du code du travail prévoit désormais que "les règles de prévention des risques pour la santé/sécurité des travailleurs exposés à des risques chimiques sont déterminées par décret en Conseil d’Etat, en tenant compte des situations de polyexpositions". Le projet de décret qui circule actuellement précise que cette notion de polyexposition renvoie à une exposition successive ou simultanée. S'agissant des substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR), l'article R.4412-7 du code du travail précise que dans le cas d’activités comportant une exposition à plusieurs agents chimiques dangereux (ACD), l’évaluation prend en compte les risques combinés de l’ensemble de ces agents.

"Cette extension va se traduire également par un renforcement du CSE au stade de l'évaluation des risques professionnels, souligne Bruno Fieschi. En effet, au terme de l'article L.4121-3 du code du travail, "le CSE et la commission CSSCT devront désormais apporter leur contribution à l’évaluation des risques professionnels. Le CSE et/ou la CSSCT devient un interlocuteur à part entière au stade de l’évaluation des risques professionnels. Dans le cadre du dialogue social, il participe à l’évaluation des risques, conjointement avec l’employeur, y compris dans les entreprises de moins de 50 salariés", note l'avocat

Une mise à jour renforcée du DUERP

"La loi Santé au travail renforce l'obligation de transcription et de mise à jour du DUERP. En 2016, seules 45 % des entreprises avaient mis en place ou actualisé leur DUERP selon une étude de la Dares de 2019", indique Bruno Fieschi. Le projet de décret donne de plus amples informations. "Le principe reste celui d'une mise à jour annuelle dans les entreprises d'au moins 11 salariés, lors de toute décision d’aménagement important modifiant les conditions de santé/sécurité ou les conditions de travail et lorsqu’une information supplémentaire intéressant l’évaluation d’un risque dans une unité de travail est recueillie", précise l'avocat. "Le DUERP doit répertorier l'ensemble des risques professionnels auxquels sont exposés les salariés et d'assurer la traçabilité collective des expositions".

► A noter : lors du webinaire, il a été rappelé que la proposition de loi initiale prévoyait que le document unique "organise" la traçabilité collective des expositions. Le Conseil d’Etat, dans son avis du 4 février 2021, observe que la traçabilité des expositions est assurée par la conservation des versions successives du document unique et a suggéré d’indiquer que le document "assure" la traçabilité collective des expositions, pour éviter que la disposition ne soit lue comme imposant des mesures d’organisation dont la nature n’est pas précisée dans le texte.

"Le DUERP doit être conservé dans sa version initiale et ses versions successives à compter de la date d'entrée en vigueur du décret. La durée de conservation ne pourra pas être inférieure à une durée de 40 ans qui est la durée moyenne d'une carrière et la durée pendant laquelle certaines pathologies et cancers peuvent se déclarer", explique l'avocat.

Pour les entreprises dont l'effectif est égal ou supérieur à 150 salariés, ces dispositions entrent en vigueur au 1er juillet 2023 ; au 1er juillet 2024 pour les entreprises de moins de 50 salariés.

Le projet de décret précise que jusqu'à l'entrée en vigueur de l'obligation de dépôt, l'employeur conserve les versions successives du DUERP sur support papier ou dématérialisé.

► Ce dépôt dématérialisé s’effectue sur un portail numérique déployé et administré par un organisme géré par les organisations professionnelles d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel et permet en outre de faciliter l’accès au document unique et d’assurer sa conservation y compris pour les entreprises ayant cessé leur activité.

Selon le projet de décret, le DUERP et ses versions antérieures sont tenus à disposition :

  • des travailleurs pour les versions à compter de leur entrée dans l’entreprise ;
  • des anciens travailleurs, pour les périodes durant lesquelles ils ont travaillé dans l’entreprise ;
  • des membres du CSE ;
  • du service de prévention et de santé au travail ;
  • des agents du système d’inspection du travail ;
  • des agents des services de prévention des organismes de sécurité sociale ;
  • des agents des organismes professionnels de santé, de sécurité et des conditions de travail des branches d’activité présentant des risques particuliers ;
  • des inspecteurs de la radioprotection.

"La consultation du CSE sur le DUERP et sur ses mises à jour est prévue quel que soit l'effectif de l'entreprise. Il pourra formuler un avis négatif en cas de désaccord sur l'évaluation des risques", rappelle Bruno Fieschi [rappelons qu'aucune consultation n'existait auparavant]. Le DUERP doit également être transmis aux services de santé au travail à chacune de ses mises à jour. "On passe d'une information quérable à une information portable", analyse l'avocat.

Programme annuel de prévention des risques professionnels.

Le nouvel article L.4121-3-1 du code du travail prévoit que l’évaluation des risques professionnels débouche sur le programme annuel de prévention des risques professionnels.

Ce programme doit :

  • fixer la liste détaillée des mesures devant être prises au cours de l'année à venir, notamment : les mesures de prévention des effets de l'exposition aux facteurs de risques professionnels, pour chaque mesure : ses conditions d'exécution, des indicateurs de résultat et l'estimation de son coût ;
  • identifier les ressources de l’entreprise pouvant être mobilisées ;
  • comprendre un calendrier de mise en œuvre.

Dans le cadre de la consultation sur la politique sociale, l’employeur doit présenter au CSE le programme annuel de prévention des risques professionnels.

Le projet de décret précise que les mises à jour du programme annuel sont effectuées à chaque mise à jour du DUERP.

De la QVT à la QVCT

"La loi Santé a modifié la négociation sur la QVT ; on parle aujourd'hui de QVCT [qualité de vie et conditions de travail] et non plus de QVT", explique Blandine Allix, avocate associée au sein du cabinet Flichy Grangé Avocats. Dans les entreprises dotées de sections syndicales d’organisations représentatives, il est obligatoire de négocier, au moins une fois tous les quatre ans sur la QVCT (et non plus seulement sur la QVT). A défaut d’accord ou en cas de non-respect de ses stipulations, l’employeur devra engager, chaque année, une négociation sur l’égalité professionnelle et la QVCT :

  • sur les thèmes obligatoires prévus à l'article L.2242-17 du code du travail (articulation vie privée et vie professionnelle, modalités du droit à la déconnexion, dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques, etc.) ;
  • sur le thème facultatif prévu à l'article L.2242-19 du code du travail : la prévention aux effets de facteurs de risques professionnels ;
  • et sur un nouveau thème facultatif prévu à l'article L.2242-19-1 du code du travail : la qualité des conditions de travail, notamment sur la santé et la sécurité au travail et la prévention des risques professionnels.

Renforcement de la formation des élus

A compter du 31 mars 2022, la formation santé/sécurité des membres de la délégation du personnel du CSE sera de cinq jours minimum pour l'ensemble des membres du CSE. En cas de renouvellement du mandat d'au moins trois jours, sauf pour les membres de la CSSCT dans les entreprises d’au moins 300 salariés (au moins cinq jours).

Le projet de décret précise que les Opco pourront prendre en charge les frais de formation, du salaire dans la limite du Smic horaire par heure de formation et des frais annexes (frais de transport, de restauration, d’hébergement etc.) pour les entreprises de moins de 50 salariés. Dans les entreprises d'au moins 50 salarié, la prise en charge est assurée par l'employeur.

► A noter que la formation des préventeurs ne se fera plus "à leur demande". Ces termes ont été supprimés ; il s'agit désormais d'une formation systématique probablement à l'initiative de l'employeur.

Passeport de prévention

Le passeport de prévention recense l’ensemble des attestations, certificats et diplômes obtenus par le travailleur dans le cadre des formations relatives à la santé et à la sécurité au travail. ce passeport est alimenté par :

  • l’employeur pour les formations dispensées à son initiative ;
  • les organismes de formation ;
  • le salarié pour les formations suivies à son initiative ;
  • le demandeur d’emploi

"L'entrée en vigueur du passeport formation n'est pas encore fixée ; nous attendons le décret. Elle doit intervenir au plus tard le 1er octobre 2022", précise Blandine Allix.

Le suivi médicale des salariés est étendu

La loi Santé au travail a créé une visite de mi-carrière. Le cabinet Flichy Grangé Avocats rappelle qu'elle doit être organisée :

  • soit de manière autonome, à une échéance déterminée par accord de branche ou, à défaut, durant l’année civile du 45e anniversaire du salarié ;
  • soit conjointement avec une autre visite médicale dans les deux ans précédant l’échéance précitée ;
  • ou, enfin, dès leur retour à l’emploi, pour les salariés désinsérés professionnellement et remplissant les conditions fixées par l’accord de branche ou à défaut âgés d’au moins 45 ans.

Cette visite est réalisée soit par le médecin du travail, soit par un infirmier de santé au travail "exerçant en pratique avancée". Cette visite vise à établir un état des lieux de l’adéquation entre le poste de travail du salarié et son état de santé, à date, en tenant compte des expositions à des facteurs de risques professionnels. Elle a également pour objectif d'évaluer les risques de désinsertion professionnelle, en prenant en compte l’évolution des capacités du travailleur en fonction de son parcours professionnel, de son âge et de son état de santé. Enfin, elle doit sensibiliser le salarié aux enjeux du vieillissement au travail et à la prévention des risques professionnels. A l'issue de cette visite, le médecin du travail formule des propositions écrites (mesures prévues à l’article L. 4624-3 : mesures individuelles d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail ou du temps de travail) après échange avec le salarié et l’employeur.

S'agissant de la visite de reprise, le projet de décret la prévoit :

  • au retour du congé de maternité, pour les salariées en suivi individuel renforcé de leur état de santé, ou à la demande de la salariée ou de l’employeur, ou encore lorsque le médecin du travail l’estime nécessaire ;
  • pour les absences pour maladie professionnelle ;
  • pour les absences pour accident du travail d'au moins 30 jours ;
  • pour les absences pour maladie ou accident non professionnel d'au moins 60 jours.

S'agissant de la visite de préreprise en cas d’arrêt de travail d’une durée de plus de 30 jours selon le projet de décret, elle sera organisée par le médecin du travail à son initiative ou à celle du médecin traitant, des services médicaux de l’assurance maladie, du travailleur.

La loi Santé au travail crée un rendez-vous de liaison. Il est organisé à l’initiative du salarié ou de l’employeur en cas d’absence (dont la durée sera fixée par décret) justifiée par l’incapacité résultant d’une maladie ou d’un accident, constaté par certificat médical et contre-visite s’il y a lieu. Il vise à informer le salarié qu’il peut bénéficier d’actions de prévention de la désinsertion professionnelle, de l’examen de préreprise et des mesures d’aménagement du poste et du temps de travail.

Enfin, des changements sont à noter s'agissant de la visite post-exposition ou post-professionnelle pour les salariés exposés. L'examen doit être pratiqué par le médecin du travail :

  • dans les meilleurs délais après la cessation de leur exposition à des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité ;
  • ou, le cas échéant, avant leur départ à la retraite.

S'il constate une exposition du travailleur à certains risques dangereux, le médecin du travail doit mettre en place une surveillance post-exposition ou post-professionnelle, en lien avec le médecin traitant et le médecin conseil des organismes de sécurité sociale. Cette surveillance tient compte de la nature du risque, de l'état de santé et de l'âge de la personne concernée.

► A noter : la loi prévoit la possibilité d'organiser les visites à distance par visio-consultation. Il faut que le salarié en soit d'accord et et que la confidentialité des échanges soit garanti.

Dossier médical partagé du salarié

"Le dossier médical partagé (DMP) est un dossier numérique visant à favoriser la prévention, la qualité, la continuité et la coordination des soins entre les professionnels de santé, rappelle le cabinet Flichy Grangé Avocats. Il est ouvert par l’assuré ou, avec son consentement, par la CPAM ou par un professionnel ou un établissement de santé. Il est destiné à contenir l’historique des soins et traitements des 12 derniers mois et toutes autres informations médicales (résultats d’examen par exemple) ou utiles au suivi médical du patient (allergies, personnes à prévenir en cas d’urgence …)".

Y ont accès les professionnels de santé autorisés par le patient (médecin traitant, infirmier, pharmacien…).

Blandine Allix souligne une nouveauté : "le salarié, comme le médecin du travail, peuvent y accéder, l'objectif étant d'éviter les silos entre la médecine du travail et la médecine de ville avec l'accord du salarié". "Il y a eu beaucoup de discussions sur ce sujet du décloisonnement de la santé de ville et de la santé au travail", précise la députée Carole Grandjean.

Le travailleur doit être informé préalablement de la possibilité de restreindre l’accès au contenu de son DMP.

Quant au dossier médical de santé au travail (DMST), il ne sera plus seulement accessible au médecin du travail, mais également au collaborateur, à l'interne en médecine du travail, à l'infirmier, au médecin praticien correspondant (collaborant avec les SPSTI). Il contiendra davantage d'informations :

  • informations relatives à l'état de santé du travailleur, aux expositions auxquelles il a été soumis ;
  • avis et propositions du médecin du travail ;
  • ensemble des données d’exposition du travailleur à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels ou toute donnée d’exposition à un risque professionnel qu’il estime de nature à affecter l’état de santé du travailleur.

Les mesures relatives au décloisonnement du DMP et du DMST entreront en vigueur à un date fixée par décret et au plus tard le 1er janvier 2024.

Autant dire que les services RH ne vont pas chômer dans les semaines à venir afin d'anticiper et de mettre en oeuvre cette nouvelle réforme de la santé au travail !

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Florence Mehrez
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